Selon le quotidien El Watan, qui publiait ce lundi 27 janvier un dossier consacré aux affaires de Ali Haddad, patron du groupe ETRHB, celui-ci a pu bénéficier depuis l’arrivée au pouvoir d’un certain Abdelaziz Bouteflika en 1999, de 124 marchés publics d’un montant de 78 410 milliards de centimes, dont la plus grande partie a été octroyée pendant la période 2012-2018. Environ 56 430 milliards de centimes ont été dépensés dans le secteur des travaux publics sur 99 marchés obtenus. 23 autres relevant du secteur de l’hydraulique ont fait l’objet d’une enveloppe atteignant les 21 719 milliards de centimes.
Par ailleurs, le document nous apprend qu’environ 452 crédits ont été accordés à Ali Haddad, pour un montant total de 211 000 milliards de centimes, dont 1167 000 milliards de centimes accordés par des banques publiques. En tête de ces établissements, on retrouve le Crédit Populaire Algérien (CPA) avec 73 000 milliards de centimes, soit 43% des prêts consentis. Ces crédits ont engendré 88 incidents de remboursement sur lesquels seulement 4 ont été régularisés.
Des révélations pareilles, l’article d’El Watan en regorge. Des chiffres qui dépassent tout entendement à en donner le tournis, mais également des noms de ministres et autres personnalités influentes dans les plus hautes sphères de l’Etat ont été dévoilés. Des personnalités gravitant autour de l’ex-patron du FCE (Said Bouteflika, Ahmed Ouyahia, Abdelmalek Sellal, Abdesselam Boucheouareb, Abdelghani Zaalane, Amara Benuounes, Amar Ghoul, Boudjemaa Talai, Abdelkader Zoukh, Abdelkader Bouazghi), ainsi que des réseaux occultes constitués de sociétés étrangères (le portugais Teixeira, les turcs Mapa et Ozgun, les chinois CSCEC et Chec, l’italien Rizzani Todini, les espagnoles Ofcc, Inerica, Enyse) et de partenariats douteux, ont été mis à la lumière du jour grâce aux informations de l’enquête préliminaire qui a été menée récemment.
Le tout, sous les yeux des structures de contrôle financier comme la Cellule de traitement du renseignement financier (CRTF) ou la Banque d’Algérie, qui n’ont pu déceler la moindre anomalie dans la gestion de cette gigantesque manne financière.
Des passe-droits, des pratiques de mafia et une fuite de capitaux organisée !
Dans ce méli-mélo de contrats et de marchés publics obtenus par le groupe ETRHB durant des années d’activité, beaucoup l’ont été de manière « frauduleuse » faisant l’objet d’entorses au règlements régissant l’octroi de marchés et des concessions. L’enquête publiée par el Watan nous apprend, entre autres, que « des projets confiés à Ali Haddad ont vu leur prix augmenter et fait l’objet, par la suite, d’avenants qui ont suscité de lourdes pertes financières. Cité à titre d’exemple, le montant des travaux d’aménagement des gorges de Kherrata, sur la RN9, arrêté à 3 526 333 646 DA et 89 350 880 millions d’euros, a connu, après la signature de l’avenant (02) une hausse de 1 250 954 582 DA et de 8 903 685 euros, soit une augmentation de 59% pour la partie en dinars et de 99,6% pour la partie en devises, avec une prolongation du délai de réalisation de 14 mois. »
Pour ne citer que lui, le marché de la réalisation de la ligne de tramway Alger-Est, soumissionné avec Meditrail et Alstom comme chef de file pour un montant de 3263 milliards de centimes, a fait l’objet d’un transfert d’environs 2300 milliards de centimes en devises, vers l’étranger. « Ce marché a connu 19 avenants ayant suscité une hausse de 88% du montant initial, ce qui est contraire à la réglementation qui limite à 10% seulement la hausse par rapport au montant initial, en cas d’avenants», explique-t-on dans cette enquête !
Les exemples dans ce genre pullulent : “ Autre contrat suspicieux, celui de la réalisation de la ligne ferroviaire de 185 km, reliant Relizane-Tiaret-Tisemsilt. Confié au groupement Infrafer-Crgl, le moins disant, ce marché a fait l’objet de recours de la part de l’ETRHB associée avec l’espagnole FCC, mais aussi de Cosider associé à l’italienne Astaldi, qui ont été rejetés par la Commission nationale des marchés en octobre 2009. Non content de ce refus, Haddad saisit, par courrier, le Premier ministre, alors Ahmed Ouyahia, lequel instruit les ministres des Finances et des Transports pour annuler l’attribution provisoire des marchés de réalisation de la ligne ferroviaire Relizane-Tisemsilt ainsi que celle Saïda-Tiaret, attribués à un groupement algéro-chinois et les affecter pour la première ligne à Haddad-FCC et la seconde à Cosider-Astaldi », selon l’enquête. « Ce contrat, pour un montant de près de 90 milliards de dinars, va connaître six avenants pour atteindre la somme de 102,687 milliards de dinars », précise-t-on.
« En 2016, l’ETRHB introduit une demande de réévaluation à la hausse des prix unitaires, acceptée par le ministre des Travaux publics et des Transports, Boudjemaa Talai, alors qu’un rapport du DG de l’Anesrif (Agence nationale d’étude et de suivi des réalisations ferroviaires) affirme que cette réévaluation a engendré une perte sèche de 8 milliards de dinars et que le reste de l’autorisation du programme a atteint 392 millions de dinars précisant que la hausse des besoins du projet est estimée à 25,700 milliards de dinars », rapporte l’enquête.
Une situation qui a poussé le ministre à saisir Abdelmalek Sellal, alors Premier ministre, par une correspondance dans laquelle il l’informe que l’exécution de l’accord de réévaluation avec l’ETRHB et l’application des montants de change au moment de la signature du même accord ont causé un préjudice financier de 9,600 milliards de dinars, alors que les travaux ne sont qu’à 28% de leur réalisation, tout en demandant des autorisations de programme complémentaire de 15 milliards de dinars pour financer les avenants signés et les travaux restants. »
Sur des dossiers liés aux concessions de structures portuaires et des assiettes foncières à haute valeur, il est révélé que « 2600 m2 sont octroyés à Ali Haddad dans l’ancienne poissonnerie de Mostaganem, pour une durée de 15 ans, afin de stocker le bitume importé ».
En janvier 2018, l’ex-ministre des Transports, Abdelghani Zaalane, « lui accorde le renouvellement, pour une durée de 20 ans, de concessions de trois structures portuaires au port d’Alger, 64 447 m2, au quai 36, 3735 m2 au môle El Hadjar et 5860 m2 au quai 26, servant à la construction d’une unité de bitume. »
Toujours selon l’enquête, à Alger, « il obtient 9 terrains, tous octroyés par l’ex-wali, Abdelkader Zoukh, dans les communes de Bab Ezzouar, Bir Mourad Raïs et Dar El Beïda. Six d’entre eux ont une superficie de 41 502 m2, octroyés dans le cadre de l’Agerfa et le Calpiref. Il a également obtenu 5 autres assiettes d’une superficie de 181 ha, et un terrain de 50 000 ha à El Bayadh. »
Une fortune personnelle colossale !
Grace à toutes ces manœuvres, l’ex protégé de Said Bouteflika a pu au fil des années se constituer un capital patrimonial en béton ! El Watan révèle, entre autres, comment Ali Haddad a pu investir dans l’immobilier, à l’étranger. On y apprend qu’ il s’est s’offert à Barcelone, en Espagne, l’hôtel Palace « pour un montant de 55 millions d’euros, dont 44 millions proviennent d’un crédit alloué par une banque espagnole, alors que 10 millions d’euros ont été avancés par deux sociétés (5 millions d’euros pour chacune des sociétés Mapa et Teixeira Duarte), des chefs de file dans des groupements avec Haddad en Algérie. »
Enfin, l’enquête publiée par le journal algérien précise qu’ « avec l’arrivée de Abdelmadjid Tebboune à la tête du gouvernement en juin 2017, tout a été bloqué jusqu’à son départ en 2017, où Ali Haddad va signer 9 contrats, entre le 26 septembre et le 27 décembre de la même année, qui s’est terminée avec 18 marchés raflés par le patron de l’ETRHB.»
Kheireddine Batache