Si le récent remaniement ministériels et les changements opérés hier à la tête d’importantes sociétés publiques signifient une orientation de la politique économique algérienne dans un sens plus libéral, le risque est grand que cette réorientation réveille les « classes dangereuses » qu’on veut maintenir loin de la politique*.
Après le remaniement ministériel, le président de la république a « ordonné » des changements « sans délai » à la tête de certaines institutions financières publiques et entreprises publiques économiques ».
L’insistance sur ce « sans délai » pour des décisions déjà prises est destiné à envoyer un « signal » que les choses vont changer rapidement en matière de politique économique.
« Changer quelque chose pour que tout reste en place… » C’est, une fois de plus, en référence au Guépard de Lampedusa que beaucoup d’analystes et les dirigeants de l’opposition ont fait la lecture du remaniement ministériel du jeudi 14 mai 2014.
Le rectificatif, inédit, apporté à ce remaniement quatre jours plus tard pour mettre fin à un possible conflit de compétences entre Ramtane Lamamra et Abdelkader Messahel avait conforté ceux qui n’avaient vu dans le remaniement qu’un geste destiné à montrer que le pouvoir existe encore et que la présidence est « active ».
Quelques analystes ont, cependant, vu dans le départ de Youcef Yousfi de l’Energie, de Zohra Derdouri des PTIC et dans l’arrivée de Abderrahmane Benkhalfa aux Finances des éléments qui ont du « sens » au plan économique.
Un « signal » que l’heure des changements dans le domaine de la politique économique – et sociale – est venue en raison de l’épuisement d’un modèle fondé sur la mobilisation et la redistribution des ressources financières tirées des exportations des hydrocarbures.
El Kadi Ihsane, directeur du journal économique en ligne Maghreb Emergent, a été l’un de ceux qui ont donné un « sens » du point de vue économique au dernier remaniement. D’abord le constat, déjà fait notamment par Nabni, de l’épuisement du modèle en vigueur depuis des décennies. « L’Algérie ne sait plus exporter assez de volumes d’hydrocarbures et ne sait pas engager une transition énergétique. Elle ne sait pas mobiliser les capitaux qui soulagent le budget de l’État. Elle ne sait pas entrer dans l’ère numérique ».
Voilà qui explique les trois changements qui feraient sens. Il y a deux ans, cela ne relevait pas de « l’urgence » et l’échéance politique consistait à « faire réélire Abdelaziz Bouteflika coûte que coûte ».
Deux ans plus tard, la chute des prix du pétrole – et donc des recettes – à laquelle s’ajoute une baisse des exportations rend les choses urgentes, les « contraintes du long terme se sont rapprochées. La faible performance de l’amont pétrolier algérien et le refus de réduire le gaspillage domestique de l’énergie font déjà crise ».
Le cap économique a changé en 2009
Peu avant sa désignation surprise à la tête des Finances, Abderrahmane Benkhalfa, a développé des idées iconoclastes par rapport au discours économique officiel dominant.
Il est vrai qu’il est dans une logique libérale qui était celle d’Abdelaziz Bouteflika avant la bifurcation de 2009 où l’on a commencé à parler de « nationalisme économique ».
La loi de finances complémentaires pour 2009 a été l’instrument législatif de ce « changement de cap » avec l’introduction de la règle dite du 51/49 pour les investissements étrangers, l’introduction d’un droit de préemption au bénéfice de l’Etat, l’instauration du Credoc, etc.
Officiellement, il s’agissait de freiner l’explosion des importations. Dans les faits, elles ont continué d’augmenter, les chiffres réguliers des Douanes ou de la Banque centrale confirmant l’échec à aboutir à cet objectif proclamé.
Dans les idées « révolutionnaires » de Abderrahmane Benkhalfa avant qu’il ne devienne ministre, c’est pratiquement toute la politique en vigueur depuis 2009 qui est retoquée, que ce soit pour le délicat thème des subventions et des transferts sociaux ou sur la parité du dinar…
Les changements qui touchent le secteur des banques et des douanes ainsi que Sonatrach pourraient être interprétés comme un signal que la « réorientation » de la politique économique est engagée.
En attendant la couleur de la nouvelle politique économique
Mais, on sait en Algérie, que les idées « personnelles » des ministres passent au second plan par rapport aux choix du président. Les ministères « économiques » (finances, énergie et TIC) ont changé de main mais cela ne veut pas dire forcément qu’il y a un changement de politique.
Les attentes sociales sont encore là alors qu’un nouveau cap « libéral » souhaité par les entrepreneurs privés- les oligarques selon Louisa Hanoune – ne peut être que « moins social ».
Or s’attaquer aux subventions comme le soutiennent les économistes libéraux en estimant qu’il n’y a pas « d’autre choix » pourrait réveiller ces « classes dangereuses » qu’on veut maintenir loin de la politique.
Pour le moment – et en attendant de voir la couleur de la nouvelle « politique économique – on est encore dans le constat : quelque chose a bougé mais tout est en place.
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(*) Cet article a été publié initialement sur le Huffington Post Algérie.