Des analystes estiment que ce coup de balai dans les hautes sphères va permettre au prince Mohamed de faire avancer son ambitieux programme de réformes.
Le prince héritier d’Arabie saoudite, Mohamed ben Salman, a confirmé sa montée en puissance en ordonnant ce week-end une spectaculaire vague d’arrestations pour corruption touchant les plus hauts cercles de la famille royale et des milieux d’affaires.
Onze princes, des dizaines d’anciens membres du gouvernement, quatre ministres en exercice et d’importants hommes d’affaires ont été arrêtés à la demande d’un nouvel organe de lutte contre la corruption. Cette institution a été créée samedi soir par le roi Salman qui en confié la présidence au prince héritier, son fils préféré de 32 ans, sorti de l’ombre il y a trois ans et qui ne cesse de monter en puissance.
Parmi les personnalités arrêtées figure le prince Alwalid ben Talal, neveu du roi, homme d’affaires milliardaire et principal actionnaire de la société d’investissement Kingdom Holding, présente un peu partout dans le monde. Il est notamment accusé de blanchiment d’argent et d’extorsion de fonds, apprend-on de source autorisée.
Cette épuration anti-corruption dans les cercles politiques et financiers du royaume a visé aussi le prince Miteb ben Abdallah, relevé de ses fonctions de ministre de la très puissante Garde nationale et remplacé par Khaled ben Ayyaf.
Le prince Miteb, fils préféré du défunt roi Abdallah et considéré un temps comme possible prétendant au trône avant l’ascension du prince Mohamed, est accusé de détournement de fonds et d’embauches fictives.
Il aurait aussi accordé de nombreux contrats publics à ses propres entreprises, dont un à hauteur de 10 milliards de dollars pour fournir à l’armée des gilets pare-balle et des talkie-walkie.
Détenus au Ritz-Carlton
« La patrie ne pourra pas exister tant que la corruption ne sera pas éradiquée et que les corrompus n’auront pas rendu compte de leurs actes », dit le décret royal qui crée le nouvel organisme anti-corruption.
Il s’agit de répondre aux « agissements d’esprits fragiles qui ont fait passer leur propre intérêt et leurs gains avant les intérêts publics », précise le décret.
Le prince Mohamed, MbS, comme on le surnomme, avait amorcé cette révolution de palais au mois de juin. Il avait alors évincé son cousin et aîné, le prince Mohamed ben Nayef, qui était promis au trône et qui occupait le poste de ministre de l’Intérieur.
Au fil de l’année écoulée, MbS est devenu l’ultime décideur du royaume dans de nombreux domaines de la politique, que ce soit la défense, l’économie ou les affaires étrangères.
Désormais à la tête de la Garde nationale, le futur roi, qui occupe déjà les fonctions de ministre de la Défense, a consolidé sa mainmise sur les différentes forces de sécurité du royaume, longtemps partagées entre les différentes lignées de la famille souveraine. MbS dirige la guerre menée au Yémen voisin.
Il s’est aussi engagé dans une querelle avec le Qatar qu’il accuse de soutenir le terrorisme, ce que Doha nie.
Plusieurs des détenus seraient gardés dans les locaux du palace Ritz-Carlton, dans le quartier diplomatique de Ryad, apprend-on de source proche du gouvernement.
Le portail extérieur de l’hôtel était fermé dimanche matin et des gardes ont empêché un journaliste de Reuters d’y accéder, en mettant en avant des raisons de sécurité alors que des véhicules privés ont pu y accéder via une autre entrée.
Frustration
« Cette répression rompt avec la tradition de consensus qui prévalait au sein de la famille royale, habituée à travailler dans le secret comme cela fut par exemple le cas au Kremlin à l’époque de l’Union soviétique », estime James Dorsey, enseignant à la S. Rajaratnam School of International Studies de Singapour.
« Pourtant, ajoute-t-il, les limogeages et les mises en détention laissent entendre que le prince Mohamed, plutôt que de forger des alliances, resserre son emprise sur la famille royale, l’armée et la garde nationale pour endiguer une opposition qui semble étendue, tant au sein de la famille royale que dans l’armée, contre ses réformes ou la guerre au Yémen. »
Un économiste salarié d’une grande banque du Golfe, qui s’exprimait sous le sceau de l’anonymat, assure que personne en Arabie saoudite ne peut penser que ces arrestations puissent être dictées par la volonté de lutter contre la corruption.
« Il s’agit de consolider le pouvoir et d’une frustration devant le rythme insuffisant des réformes », dit-il.
Des analystes estiment que ce coup de balai dans les hautes sphères va permettre au prince Mohamed de faire avancer son ambitieux programme de réformes, qui plaît à la jeunesse mais beaucoup moins à la vieille garde du royaume.
Le prince Mohamed essaie de mettre fin à des décennies de conservatisme en encourageant les divertissements et le tourisme.
En septembre, le roi a annoncé que l’interdiction de conduire faite aux femmes serait levée.
Le prince héritier, qui a réduit considérablement les dépenses publiques, prévoit de vendre une partie des actifs de l’Etat, et notamment une partie du géant pétrolier Saudi Aramco.
Parmi les personnes arrêtées figurent l’ancien gouverneur de Ryad, le prince Turki ben Abdallah. Il aurait profité de son influence pour octroyer des contrats à des sociétés qu’il détient, notamment dans le cadre du projet de métro à Ryad.
L’ancien ministre des Finances, Ibrahim al Assaf, qui fait partie du conseil d’administration du géant pétrolier Saudi Aramco, est accusé de détournement de fonds en lien avec les travaux d’agrandissement de la grande mosquée de La Mecque.
Parmi les autres personnes détenues se trouvent aussi Bakr ben Laden, président du géant immobilier Saudi Benladen, et Alwalid al Ibrahim, propriétaire du groupe télévisuel MBC.