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Aram Belhadj, économiste tunisien: « Les opportunités pour la Tunisie au sein de la CEDEAO sont énormes » (entretien)

Par Yacine Temlali
octobre 5, 2017
Aram Belhadj, économiste tunisien: « Les opportunités pour la Tunisie au sein de la CEDEAO sont énormes » (entretien)

Pour Arama Belhadj, intégrer la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest(Cedeao) est un choix rationnel mais ne doit pas se faire au détriment de la construction du grand Maghreb, estime M. Belhadj, car des organisations comme la Cedeao ou le COMESA (Marché commun de l’Afrique orientale et australe, NDLR), « restent des entités regroupant des Etats faibles et des pays instables faisant face à des conflits armés et au terrorisme ».

 

Maghreb Emergent : La Tunisie veut intégrer la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao). La démarche est imminente et elle aboutira, selon Youssef Chahed, en décembre, à l’occasion de la prochaine rencontre de la Cedeao à Lomé. Quels sont les avantages qu’offre une adhésion à cette communauté ? La Cedeao est-elle une communauté prospère ?

Aaram Belhadj : Il est à noter de prime abord que l’Afrique subsaharienne est le prolongement naturel de l’Afrique du Nord. Par conséquent, une démarche consistant à tisser des liens et des partenariats de la part d’un pays comme la Tunisie avec une organisation régionale, telle que la CEDEAO, n’est pas choquante. En plus, la CEDEAO est un bloc qui a des acquis remarquables dont la préservation et le renforcement s’avère inévitables. Il s’agit, en effet, d’une zone convoitée aussi bien par des grandes puissances que par des pays émergents, très riche en ressources naturelles et réalisant des taux de croissance non anodins.

Vraisemblablement, le gouvernement tunisien a finalement compris qu’il existe une articulation entre la politique, la diplomatie et l’économie et que renforcer la coopération Sud-Sud, notamment les relations avec la partie subsaharienne, ne peut être qu’avantageux sur plusieurs plans.

Politiquement, le gouvernement semble envoyer des messages clairs disant que la Tunisie n’est pas moins intéressée par la coopération régionale et qu’elle demeure rattachée à son propre continent. Diplomatiquement, le gouvernement paraît avoir pigé que la sécurité nationale ne pourra être assurée qu’à travers la coopération régionale. D’autre part, les responsables veulent probablement montrer que la Tunisie reste un pays ouvert, capable d’accueillir des ressortissants africains de tout bord (étudiants, acteurs de la société civile, compétences, etc.). Economiquement, le gouvernement semble avoir compris finalement que les opportunités en Afrique subsaharienne, notamment au sein de la CEDEAO, sont énormes. La Tunisie possède en effet un avantage comparatif industriel et des atouts dans le domaine des services le plaçant comme acteur favori à l’échelle régionale et continentale.

Qu’est-ce que la Tunisie et les entreprises tunisiennes vont concrètement gagner en faisant partie de la CEDAO?

Les avantages macroéconomiques que je viens d’énumérer pourront être le résultat des gains microéconomiques potentiels d’une éventuelle appartenance à une communauté régionale telle que la CEDEAO. En effet, en étant un espace d’affaires attrayant, cette organisation pourra être une zone d’intégration très profitable pour les entreprises tunisiennes leur offrant une opportunité d’exportation de leur expertise et leur savoir-faire.

Il est à souligner dans ce cadre que la Tunisie possède des atouts dans de nombreux domaines industriels dont l’Afrique subsaharienne reste demandeuse nette. Il s’agit surtout des industries de transformation et des industries électriques et électroniques. Les petites et moyennes entreprises opérantes dans le secteur des services auront également toutes les chances de réussir en Afrique. Le bâtiment, les grands travaux, les énergies renouvelables, les technologies de l’information sont également des domaines opportuns pour les opérateurs économiques tunisiens souhaitant conquérir l’Afrique.

La Tunisie est déjà membre du Common Market for Eastern and Southern Africa (Comesa), Aller sur tous les fronts, est-ce une démarche porteuse ? L’économie tunisienne est-elle suffisamment outillée pour se positionner sur l’ensemble du marché africain simultanément ?

De tout temps, la stratégie de diversification des partenaires a été très porteuse sur plusieurs plans, à moins qu’elle ne fût menée dans le désordre. La consolidation des échanges et la saisie d’opportunités d’investissement et de demande qu’offre un marché de taille, tel que le marché africain, ne peuvent être que bénéfiques pour un pays comme la Tunisie.

Par ailleurs, une telle stratégie suppose au préalable la présence d’un activisme diplomatique, économique et financier. Autrement, il faudrait d’abord accroître les représentations officielles dans les pays hôtes afin de débloquer les contraintes administratives et renforcer la prospection « sur place ». De même, il faudrait multiplier les délégations commerciales afin de diversifier les réseaux tuniso-africains et conquérir des niches sectorielles émergentes. Il faudrait aussi renforcer la présence des institutions financières tunisiennes sur le continent afin d’accompagner les acteurs économiques nationaux. Enfin, il faudrait renforcer les liens aériens afin de faciliter le processus de régionalisation des entreprises tunisiennes en Afrique.

Il reste à signaler deux points importants. Premièrement : cet activisme ne devra pas être opéré au détriment de la construction du grand Maghreb. Renforcer les complémentarités entre les économies maghrébines pourra, en effet, aider les pays de la partie nord à réussir leur intégration avec la partie subsaharienne. Deuxièmement : la Tunisie devra prendre en considération des éléments extra-économiques caractérisant les communautés régionales du continent. Après tout, des organisations comme la CEDEAO ou le COMESA restent des entités regroupant des États faibles et des pays instables faisant face à des conflits armés et au terrorisme, en plus des problèmes récurrents de gouvernance et de leadership.

Interview réalisé par Amar Ingrachen

 

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