A Oueslatia, la ville tunisienne où il a grandi, Anis Amri buvait parfois de l’alcool et ne priait pas, disent ses frères, mais après avoir traversé la Méditerranée pour trouver du travail, il a échoué dans une prison italienne et en est ressorti « profondément changé ».
Aujourd’hui, le jeune homme qui a eu 24 ans ce jeudi, est le principal suspect de l’attaque au camion-bélier qui a fait 12 morts et une cinquantaine de blessés lundi sur un marché de Noël à Berlin et ses frères. Ses frères Walid et Abdelkader disent craindre qu’il ait été radicalisé pendant son séjour derrière les barreaux.
Abdelkader, qui veut encore croire à l’innocence de son frère, reconnaît qu’Anis Amri, parti en Europe à 19 ans, n’était plus le même homme quand il a retrouvé la liberté l’an dernier après avoir purgé sa peine en Sicile.
« Quand il a quitté la Tunisie, c’était quelqu’un de normal. Il buvait de l’alcool et il ne priait même pas », a déclaré son autre frère, Walid, à la chaîne Sky News Arabia.
« Il n’était pas religieux. Mon père, mon frère et moi allions prier mais lui, jamais. »
Tout semble indiquer que cinq ans après son départ, Anis Amri, dont les empreintes digitales ont été retrouvées sur la porte du camion-bélier et une pièce d’identité sous le siège du chauffeur([nL5N1EH1OT]), a pourtant bien été mêlé à l’attaque revendiquée par l’organisation djihadiste Etat islamique (EI).
« S’il l’a fait, c’est un déshonneur pour nous », a déclaré Abdelkader aux journalistes, sans s’expliquer un tel geste.
« Il est allé en Europe pour des raisons économiques, pour travailler et aider notre famille », raconte-t-il, précisant ne plus avoir été en contact avec son frère depuis dix jours.
L’Italie n’a pas pu l’expulser
Un responsable de la police italienne a déclaré à Reuters qu’Anis Amri était arrivé sur l’île de Lampedusa, sans doute après avoir été sauvé en mer, en février 2011, quelques semaines après la « révolution de Jasmin » qui a renversé l’autocrate Zine al Abidine Ben Ali.
Il a d’abord été hébergé dans un centre d’accueil sur l’île, que les migrants ont en partie incendié pour protester contre leur détention, avant d’être transféré à Catane, en Sicile, où il a été inscrit à l’école.
Mais en octobre 2011, il a été arrêté après une tentative d’incendie d’un bâtiment, dit le policier, puis condamné pour vandalisme, vol et menaces. Il a passé près de quatre ans en prison, à Catane, puis à Palerme, jusqu’à sa libération en mai 2015 et son transfert dans un centre de détention en vue de son expulsion du territoire italien.
Le responsable de la police n’a pas su dire s’il s’était radicalisé pendant sa détention et le directeur des services pénitentiaires n’a pas répondu aux sollicitations de Reuters.
Le tribunal de Palerme a ouvert une enquête jeudi pour tenter d’en savoir davantage, a-t-on appris de source judiciaire.
Les autorités italiennes ont tenté d’expulser Anis Amri mais, comme leurs homologues allemandes plus tard, elles se sont heurtées au manque de coopération de la Tunisie, qui a dit ne pas être sûre qu’il soit tunisien.
Le jeune homme a donc été relâché au bout de 60 jours et il lui a simplement été demandé de quitter le pays. D’après ses frères, il a obtempéré mais pour se rendre en Allemagne en profitant de l’afflux de migrants de l’été 2015.
Liens avec un réseau djihadiste
Il est arrivé jusqu’en Rhénanie-du-Nord-Westphalie, où il a déposé une demande d’asile politique. Celle-ci a été rejetée en juin dernier mais Anis Amri a une nouvelle fois échappé à l’expulsion.
Les autorités allemandes ont reconnu que le Tunisien était entre temps apparu dans les radars des services antiterroristes, qui l’ont soupçonné de vouloir se procurer des armes et recruter des complices en vue d’un attentat, avant de relâcher récemment leur surveillance faute d’éléments probants.
En Rhénanie-du-Nord-Westphalie, croit savoir la presse allemande, Anis Amri était en contact avec un groupe islamiste dirigé par un homme se faisant appeler Abou Walaa, un Irakien de 32 ans qui a été arrêté en novembre en compagnie de quatre hommes.
Les cinq sont poursuivis pour avoir créé un « réseau djihadiste » qui tentait de recruter des musulmans pour aller se battre en Syrie dans les rangs de l’EI.
D’après le journal Bild, Anis Amri se serait aussi proposé comme kamikaze sur des sites de messagerie instantanée utilisés par les djihadistes.
A Oueslatia, une bourgade déshéritée située non loin de la ville sainte de Kairouan, dans le centre de la Tunisie, un tel parcours n’est pas inhabituel. Selon des habitants, plusieurs autres jeunes de la ville sont partis combattre en Syrie, en Irak ou en Libye depuis 2014.
Les autorités tunisiennes estiment qu’en tout, près de 4.000 de leurs ressortissants ont rejoint les groupes djihadistes.