Nommée le 31 mars dernier, deux jours avant la démission de l’ex-président Abdelaziz Bouteflika, au poste de ministre de l’Industrie, Djamila Tamazirt, qui a remplacé Youcef Yousfi, est allée bien au-delà de la simple tâche de gestion des affaires courantes qui lui a été confiée suivant l’article 102 de la Constitution.
Mise au placard de cadres installés par l’ex-ministre Mahdjoub Bedda, “recrutement” de cadres démis de leurs fonctions après le limogeage de Bouchouareb Abdesslam, pressions sur les P-DG de groupes industriels du secteur public marchand … L’ex-patronne du groupe AGRODIV, mise officiellement en retraite en 2018 sur recommandations de plusieurs cadres dirigeants, “se venge” des auteurs de son éviction, selon ses “détracteurs”.
Directrice financière et comptable de l’EPE ERIAD de 1999 à 2006, DG puis PDG de cette même entreprise de 2007 à 2014 avant de devenir PDG du groupe AGRODIV de 2015 à 2018, Djamila IKHNECHE, souvent présentée sous son nom de jeune fille Tamazirt, a un parcours controversé. Népotisme, abus de fonction, malversations … des affaires qui lui ont coûté son poste en 2018.
Pourtant, quelques mois après sa mise en retraite, elle a regagné le ministère de l’Industrie, cette fois-ci comme ministre à qui on a confié la gestion des affaires courantes.
Quand Tamazirt poursuit en justice … Ikhneche
En 2005, Directrice financière et comptable de l’EPE ERIAD d’Alger, Mme. Tamazirt Djamila a exigé, selon des documents en notre possession, une revalorisation salariale car “elle n’ouvrait pas le droit à un départ volontaire”. Une demande vite rejetée par la Direction. Nommée deux années plus tard P-DG du même groupe, elle reprend cette affaire, cette fois-ci auprès de la section sociale du tribunal d’El Harrach, à Alger.
Selon un jugement en notre possession, Mme. Djamila Tamazirt, en sa qualité d’ex-Directrice financière et comptable, a déposé plainte contre le groupe ERIAD, représenté par son DG qui n’est autre que Djamila Ikheneche ! Le tribunal, se basant sur une expertise émise par un juge en 2008, ordonne à l’accusée de remettre à la plaignante son dû de 2.37 millions de Da et 20.000 Da de dommages et intérêts.
Mme. Tamazirt “s’est excusée auprès de ses responsables et s’est désistée auprès de la DRH”, nous indique une source au ministère. Toutefois, cette décision de justice, n’ayant pas fait l’objet d’un appel, reste applicable à tout moment.
Bradage des équipements, népotisme …
Djamila Tamazirt, alors P-DG du groupe ERIAD, s’est particulièrement “distinguée” par l’affaire du complexe de fabrications de pâtes alimentaires de Corso, située à Boumerdès. Elle est soupçonnée d’avoir ordonné le bradage des équipements de cette usine avant la cession de la majorité des parts de son capital au groupe industriel Amor Benamor, dirigé alors par Laid Benamor.
Dans un entretien accordé le 11 mars 2019 à El Watan, Laid Benamor a déclaré que “l’expertise, réalisée par un organisme étatique (ENACT), a estimé les biens de l’Eriad, hors l’assiette du terrain à 1.3 milliard de dinars”.
Selon des documents en notre possession, un premier rapport de l’ENACT (Entreprise nationale d’agréage et de contrôle technique) a fait ressortir une valeur des équipements du complexe de Corso à 1.62 milliards de Da.
Une expertise vite rejetée par Mme. Djamila Tamazirt, qui commande une seconde étude technique, portant le même numéro de référence mais ne mentionnant, cette fois-ci, aucune évaluation financière des équipements. En réalité, un lot a été cédé à 1.2 milliard de DA à Eriad de Corso. D’autres lots ont été cédé à des filiales, tandis qu’une dernière partie a été cédée aux enchères à plus de 44.6 millions de dinars.
Cette dernière procédure comporte elle-même son lot “d’irrégularités”. Des cadres de la société Eriad “se sont ingérés” dans la vente aux enchères “à la place du liquidateur”, lit-on sur des documents en notre possession. Cette affaire est en instruction au tribunal territorialement compétent, c’est-à-dire celui de Boumerdès.
Les griefs reprochés à l’actuelle ministre lors de sa mise à la retraite en 2018 ne se limitent pas à cette affaire. Il lui était également reproché le recrutement de plusieurs de ses proches lorsqu’elle était P-DG du groupe Agrodiv. Son frère et sa soeur était à la tête d’un point de vente du groupe situé à Tizi Rached, dans un local attribué par l’APC éponyme, où une autre membre de la famille était employée, relève-t-on. D’autres proches, sa belle-famille notamment, étaient des directeurs de filiales locales de ce groupe industriel.
La liste ne s’arrête pas là. Un cas de malversation a également suscité plusieurs interrogations. Djamila Tamazirt a fait appel à un notaire externe pour établir les actes de constitution d’une filiale créée suite à la fusion de plusieurs autres, dans le cadre d’une restructuration du groupe en 2014. Toutefois, selon l’article 39 de la Loi des finances pour 2010, Mme. Tamazirt avait la possibilité de faire appel à l’administration des Domaines territorialement compétente afin de lui établir, à titre gracieux, ces actes notariés.
Il est stipulé dans cet article que “les actes portant création d’entreprises publiques économiques, augmentation de capital d’entreprises publiques économiques ainsi que ceux opérant transfert de droits réels immobiliers entre entreprises publiques économiques, dans le cadre de la réorganisation et/ou la restructuration d’entreprises publiques économiques, dûment autorisés par résolution du Conseil des participations de l’Etat, sont établis par l’administration des domaines”.
Une démarche bel et bien entamée par la P-DG d’Agrodiv, qui a justifié le recours à un notaire par le refus de l’Administration des domaines du dossier de constitution de la filiale pour “non-conformité” du dossier des transferts des patrimoines.
Seul hic: le choix du notaire reste néanmoins curieux puisqu’il s’agissait d’un avocat, radié du barreau suite à une plainte déposée par les dirigeants du groupe … AgroDiv, qui lui ont confié en 2000 une affaire d’assignation des débiteurs avec plus de 1500 chèques impayés. Le même avocat n’a pas entamé cette affaire et les délais permettant d’assigner les débiteurs ont été dépassés. Exigeant ses honoraires, le même avocat a refusé de remettre ces pièces justificatives à son ex-client.
Infraction à la loi de la monnaie et du crédit
Parallèlement à ses postes de P-DG des groupes Eriad Alger et Agrodiv, Djamila Tamazirt est également associée dans une société établie en France, détentrice du fonds de commerce d’un bar-restaurant, appelé “La Pergola” et situé au Levallois-Perret, dans la région Ile-De-France.
Mme. Djamila Tamazirt détient 50 des 700 parts du capital de cette société, fondée en 2010, et dénommée “SARL LINDA”. Les statuts, dont le HuffPost Algérie détient une copie, dévoilent que le deux autres associés résident depuis la constitution de l’entreprise à la commune Saint-Maur-des-Fossés, en île-de-France. Toutefois, l’adresse de l’actuelle ministre de l’Industrie est basée à Alger. Ses avoirs en France, aussi minces soient-ils, constituent une infraction à l’article 126 de l’ordonnance N° 03-11 du 26 août 2003 relative à la Monnaie et au Crédit, modifiée et complétée par l’Ordonnance N° 10-04 du 26 août 2010 et par la Loi N° 17-10 du 11 octobre 2017.
Le règlement N° 07-01 du 03 février 2007, relatif aux règles applicables aux transactions courantes avec l’étranger et aux comptes devises, énonce dans son article 8 que “hormis les cas expressément prévus par l’article 126 de l’Ordonnance N° 03-11, la constitution d’avoirs monétaires, financiers et immobiliers à l’étranger par les résidents à partir de leurs activités en Algérie est interdite”.
“Elle se venge”
A sa nomination à la tête du ministère de l’Industrie, Djamila Tamazirt a déclaré la guerre aux cadres dirigeants, auteurs d’un rapport transmis au ministre et à l’origine de sa mise en retraite en 2018.
Le premier à payer les frais de cette démarche n’était autre que le Secrétaire général du ministère, Kheireddine Medjdoubi. Ne pouvant aucunement procéder à la nomination ou à la cession de fonctions de cadres supérieurs de l’Etat sans accord préalable de la Présidence, selon plusieurs notes du Premier ministre Nourreddine Bedoui, la dernière datée d’avril 2019, la ministre de l’Industrie a opté pour une méthode surprenante: le SG s’est ainsi vu refuser l’accès à son bureau au ministère fin avril 2019.
Selon le site Bourse Dz, cette interdiction a été constatée par un huissier de justice, dont le document a été rendu public. Il a été mis en congé prolongé, apprend-on.
Actuellement, c’est Ali Oumellal, directeur de la gestion du secteur public sous Abdeslam Bouchouareb, qui “occupe, illégitimement” le poste de SG. Ce responsable était impliqué dans la cession des parts de l’espagnol Villar Mir de la compagnie Fertial au profit du groupe ETRHB. Limogé par Mahdjoub Bedda, il a justement été repêché par le groupe de Ali Haddad, apprend-on encore.
Des directeurs de groupes industriels du secteur marchand du ministère de l’Industrie, sont également dans le collimateur de Mme. Tamazirt. Selon des sources internes à la tutelle, elle a maintes fois tenté de plaider le remplacement de plusieurs P-DG avant d’essuyer le refus du Premier ministère, qui a considéré comme “infondé” l’argument de “mauvaise gestion” avancé par la ministre, compte tenu de résultats bénéficiaires de plusieurs groupes industriels.
Depuis son installation à la tête du ministère, trois chefs de cabinets se sont succédés à Ahmed Messili avant que Mme. Nassima Souilah, chargée de Communication sous Abdeslem Bouchouareb, ne soit “recrutée”.
Selon le journal Ennahar, elle a également procédé à la nomination de Djamel Manaa, ex-PDG du groupe Divindus sous Abdeslam Bouchouareb, faisait partie des cadres auditionnés par la justice dans le cadre des affaires de corruption, a été nommé membre du Conseil d’administration du groupe MADAR (Ex-SNTA).
La Direction générale de la gestion du secteur public, occupée par Djamel Eddine Choutri avant son limogeage fin mai, est toujours sans responsable.
Ces mêmes sources s’interrogent notamment sur “l’insouciance” de la ministre à conserver la stabilité du Secteur marchand alors que le pays vit une crise économique accentuée par une crise politique inédite dans l’histoire du pays.
Le HuffPost Algérie a mainte fois tenté de contacter le ministère. Aucune réponse aux appels sur les numéros affichés sur le site et la page Facebook de cette institution. Après avoir tenté de contacter le département de communication et demandé des numéros aux mêmes sources internes, on nous rétorque “que la communication du ministère a été vidée”.