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Algérie

Belkacem Boukherouf, économiste : « Avec plus de 800 milliards de dollars dépensés, on aurait pu construire un Portugal »

Par Saïd Djaafer
juin 26, 2017
Belkacem Boukherouf, économiste : « Avec plus de 800 milliards de dollars dépensés, on aurait pu construire un Portugal »

 

L’économiste Belkacem Boukherouf souligne dans un entretien à Maghreb Emergent l’ampleur de la défaillance de la gouvernance algérienne qui dépense – beaucoup – sans gérer. Le fait que ce soit le gouvernement qui parle de diversification de l’économie au lieu des entreprises est révélateur d’une grave distorsion. C’est le gouvernement qui empêche les « entreprises de se diversifier et de renforcer la performance globale de notre économie ».

  

«L’Algérie est effectivement sortie de l’ère de l’aisance (financière) dès 2014. Mais la situation est acceptable », a déclaré Abdelmadjid Tebboune lors de la présentation du plan d’action de son Gouvernement en mettant en avant le fait que nos réserves de change sont encore supérieures à 100 milliards de dollars. Pensez-vous que la situation est aussi tenable que le dit le Premier Ministre ?

Il est tout à fait normal qu’en perspective de la rentrée sociale, le nouveau premier ministre, et pour sa première expérience dans la conduite d’un gouvernement, se veuille rassurant quant à la capacité du pays à faire face à une crise financière aigüe qui, en réalité, ne date pas de 2014. La crise est là depuis bien longtemps puisque les gouvernements successifs ont souvent mobilisé des lois de finances complémentaires pour faire face aux besoins de l’économie. Les plans de relance édictés par le Président n’ont jamais atteint la performance voulue et notre économie a englouti des sommes gigantesques pour de piètres réalisations.

 Avec plus de 800 milliards de dollars dépensés, l’on aurait pu construire ex-nihilo un pays entier de la taille du Portugal. Or ce qu’on voit aujourd’hui est tout sauf cela. Un pays toujours en chantier, des secteurs à l’abandon et sans performances et surtout des perspectives illisibles quant à l’avenir socio-économique du pays. Voilà un problème chez nos gouvernants : l’essentiel est d’avoir de quoi dépenser et cela suffit pour gérer.

Compter sur les réserves de change de manière aussi statique relève de la myopie politique et managériale. Les réserves de changes constituent un paramètres intéressant mais pas suffisant de la régulation de l’action économique. Avant, on avait le prix du pétrole ; aujourd’hui on a les réserves de change. C’est le même raisonnement. Les réserves de change ne sont qu’un signe monétaire, un moyen mais pas un réel vecteur de développement de stabilité. Surtout comme dans notre cas où l’essentiel de nos réserves sont placés aux Etats-Unis et en Europe, en portefeuilles souverains donc, trop risqués et peur porteurs.

 

Pour sortir de cette situation de crise, le Gouvernement parle de « diversification de l’économie et d’encouragement de l’investissement productif ». Mais, concrètement, il ne livre ni analyse ni objectif chiffrés. Peut-on redressera une économie en agissant au coup par coup ?

Il est tout à fait anachronique que le gouvernement parle de la diversification de l’Economie. La diversification est une stratégie de développement adoptée par des entreprises souhaitant prendre position sur de nouveaux marchés pour, à la fois, augmenter leur chiffre d’affaires et leur profit mais aussi diminuer le risque associé à leur activité principale.

Que des entreprises le disent, cela se comprend mais que le gouvernement le dise, c’est un anachronisme majeur. Ce discours révèle une réalité : c’est le gouvernement qui empêche nos entreprises de se diversifier et de renforcer la performance globale de notre économie. C’est juste une question de gouvernance qui fait que l’horloge de l’idéologie économique du moment est celle d’un dirigisme sournois duquel les instituions n’arrivent pas à se libérer.

L’instauration d’une bureaucratie économique a assis un esprit paternaliste sur l’action entrepreneuriale nationale et a régenté les capacités des entreprises à s’insérer dans une économie de plus en plus mondialisée. Je le répète encore : ce n’est pas au gouvernement qu’incombe la tâche de la diversification mais aux entreprises. Le gouvernement a la mission régalienne de la régulation notamment par la libération de l’initiative, l’encadrement et l’encouragement de l’entrepreneuriat, l’impartialité et l’égalité de traitement des acteurs, l’autonomisation des collectivités locales, etc.

 

Comment le Gouvernement va-t-il financer son plan d’action ?

C’est toute la limite de nos gouvernants et des décideurs en matière économique : le populisme tient lieu de discours et de philosophie d’action. Le gouvernement a pour mission de définir une stratégie de développement national qui inclut tous les aspects de la vie du citoyen et non pas seulement le volet économique. Parce que le développement est aussi social, culturel, politique et écologique.

Il est vrai que l’économique est prépondérant mais ne peut aucunement être suffisant pour élever le niveau de développement du pays. On l’a vu les années précédentes : l’Etat a dépensé des milliards sans que cela n’ait un impact profond sur le niveau de vie, le pouvoir d’achat, la précarité et la santé du citoyen. C’est donc une question globale.

 Pour élaborer une stratégie, il faut partir d’un diagnostic de l’Etat de développement du pays pour ensuite fixer des objectifs et définir les moyens nécessaires à leur réalisations à court, moyen et long termes. Pour ce faire, un effort de prospective et de d’analyse, aussi bien qualitative que quantitative, doit être consacré.

 En l’absence de cela, il est difficile de parler de performance et même de rationalité. Les besoins réels en développement ne sont pas connus et il est de même pour les mobilisations financières nécessaires. Il y a énormément de ressources en jachère qu’il convient de mobiliser et pas seulement les financières : de la ressource humaine en abondance, de la ressource managériale que recèle le privé, de la ressource institutionnelle par la rationalisation des dépenses et la facilitation de l’acte d’investir, etc.

Se concentrer sur le seul aspect financier de l’action économique conduira inévitablement à l’échec. Ce n’est plus une question de volume des dépenses dont nous souffrons mais de qualité des dépenses. Le train dépensier de l’Etat est irrationnel et il faut arrêter la saignée des dépenses publiques.

 

La réforme du système des subventions figure, selon Tebboune, parmi les priorités du Gouvernement. Cette réforme viserait à réduire les montants alloués à cet effet et qui dépassent 27 milliards de dollars. Or, le montant des impôts non recouvrés dépasse les 120 milliards de dollars et les exonérations fiscales faites çà et là à des entrepreneurs sans obligations de résultats sont faramineuses. Pourquoi le Gouvernement veut chercher de l’argent chez les classes moyennes et défavorisées qui sont majoritaires à bénéficier de ses subventions au lieu d’en chercher dans les poches des patrons ?

Les subventions de l’Etat et les transferts sociaux sont colossaux tout comme l’évasion fiscale qui est alarmante. Ce double enjeu de réduction de ces deux poches doit obéir à une stratégie globale qui définit, oriente et coordonne les trois politiques budgétaire, fiscale et de change. L’on ne doit pas parler de réduction des subventions mais de leur rationalisation puisque le problème réside dans la répartition de cette rente, souvent captée par des acteurs ayant un positionnement stratégique dans le processus de prise de décision.

 Le cas des subventions dans le domaine de l’agriculture, notamment dans la filière de l’alimentation animale et de la filière laitière sont révélateurs du niveau de la prévarication que subit la subvention étatique : détournements, surfacturation, gonflements artificiels des dépenses et j’en passe. Même la fameuse allocation scolaire de 3000 DA, destinée aux enfants démunis subit sa part de détournement. Une enquête approfondie révèlerait un grave préjudice aux deniers publics.

 L’Etat gagnera, donc, à rationaliser les dépenses publiques et à resserrer l’étau sur les évadés fiscaux et les acteurs de l’informel, notamment dans le domaine du commerce de détail livré aux mains d’acteurs peu soucieux de leurs obligations fiscales légales. Des dispositifs de contrôle doivent être mis en œuvre aux côtés de dispositifs facilitateurs d’insertion des acteurs dans l’investissement formel. En matière d’investissement, le partenariat public-privé peut être une panacée s’il est conduit avec équité et transparence.

 

Tebboune parle de « l’assainissement du climat des affaires », discours qu’on a trop souvent entendu mais sans qu’il ait un prolongement dans la réalité. Selon vous, assainir le climat des affaires devrait se traduire par quelles mesures ?

Le climat des affaires dans une économie est décrit par l’ensemble des facteurs d’encouragement au développement des affaires ou des contraintes qui peuvent en limiter sa portée. Plusieurs paramètres y sont mis en avant pour l’appréciation du climat dans une économie. Ils peuvent être d’ordre économique, institutionnel, politique, social ou autre.

L’on peut citer entre autre la qualité des institutions, la liberté d’entreprise, le niveau de corruption, la stabilité gouvernementale et politique, la qualité des lois et des règlements, la qualité du système bancaire et la facilité d’accès aux financements, l’intégration, technologique et la qualité des ressources humaines et le niveau de l’éducation. En plus de ceux-là, s’ajoutent la taille du marché cible, l’effort de la recherche-développement, la pression fiscale, etc.

L’Algérie est mal classée globalement sur presque tous les critères. Ce qui suppose un effort total de réformes, d’émancipation et de libération de la mentalité des gouvernants et des décideurs en matière économique. C’est plus une question d’ordre culturel. Pour exemple, nous pouvons évoquer le système bancaire algérien qui demeure le plus archaïque d’Afrique : très bureaucratique, peu accessible, suscitant la défiance, peu intégré technologiquement, proposant une palette de produits réduite et ne couvrant pas les besoins des acteurs, en plus de l’image corrompue et de son incapacité à se déployer à l’international. Ce n’est pas une réforme qu’il en faut mais une refonte. Il en est de même pour toutes les institutions.

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