Les autorités se sont félicitées de l’élimination du chef de la phalange Okba Ibn Nafaa, connu sous le nom de Lokman Abou Sakhr. Elles n’en semblent pas moins naviguer à vue dans leur lutte contre les djihadstes accentuée depuis l’attaque du musée du Bardo. Elles pointent l’incompétence de certains responsables sécuritaires tandis que la police, elle, évoque un manque de moyens et d’expérience.
Après une dizaine de jours de traque, l’Algérien à la tête de la phalange Okba Ibn Nafaa, Khaled Chaib, connu sous le nom de Lokman Abou Sakhr, a été abattu dans la région de Gafsa, au sud du pays, par les forces de sécurité tunisiennes. Trois autres personnes sont toujours activement recherchées Il s’agit d’un Tunisien et de deux Marocains selon les informations de presse.
Recherché depuis l’attaque meurtrière perpétrée par deux Tunisiens contre le musée du Bardo, le 18 mars dernier, et qui a fait une vingtaine de morts et une cinquantaine de blessés, les autorités tunisiennes croient que le groupe Okba Ibn Nafaa est à l’origine de plusieurs autres opérations terroristes menées sur le sol tunisien.
L’opération qui s’est soldée par la mort de Lokman Abou Sakhr « est une opération délicate, exécutée pour la première fois depuis le début de la lutte contre le terrorisme », a déclaré à la presse, durant ce week-end, le Chef du gouvernement tunisien Habib Essid.
Les autorités semblent ramer à l’aveugle
Lors d’une conférence de presse la semaine dernière, le ministre tunisien de l’Intérieur, Najem Gharsalli, s’était voulu rassurant, s’empressant d’annoncer le démantèlement de la cellule terroriste derrière l’attaque du musée du Bardo. Il avait ainsi indiqué que « vingt-trois personnes, dont une femme, qui constituaient une cellule terroriste » avaient été arrêtées. Et ce ministre d’ajouter qu’il s’agit là d’un coup de filet qui a permis de mettre hors d’état de nuire « 80 % de cette cellule ».
Au stade actuel, avait affirmé Najem Gharsalli, « on ne peut pas donner de noms, ce qui est sûr c’est qu’il y a des liens avec Okba Ibn Nafaa », qui est une phalange d’Al Qaida au Maghreb Islamique (AQMI). Les services de sécurité semblent ramer à l’aveugle, car ne disposant pas d’éléments pertinents susceptibles de réellement cerner la menace terroriste et le fonctionnement des cellules djihadistes installées dans Tunis, à en juger par la déclaration du ministre de l’Intérieur lui-même.
Un certain zèle citoyen « antiterroriste »
Au lendemain de l’attaque du 18 mars dernier, la Tunisie n’est plus la même. Le pays tout entier est bouleversé. Cependant, partout dans les quartiers de la capitale, les commerces et les lieux fréquentés par les touristes sont ouverts jusqu’à des heures tardives, comme à l’accoutumée.
Beaucoup de Tunisiens avec qui nous avons parlé estiment incompréhensible que le renforcement du dispositif policier ne soit pas aussi important dans la capitale. « En tant que Tunisien, je suis encore étonné qu’il n’y ait pas vraiment de renforcement du dispositif policier, contrairement à ce qui s’est fait en France après l’attaque contre le Charlie Hebdo », confie Mehdi, commerçant à la place dite Le Passage, au centre ville de Tunis.
Les autorités tunisiennes comptent sur l’appui des citoyens aux forces de sécurité. La population, qu’elle soit à Tunis ou ailleurs dans le pays, vit dans la peur à laquelle s’est mêlé un excès de zèle dont les retombées sur les journalistes locaux et étrangers commencent à se faire ressentir.
Plusieurs journalistes ont fait la malheureuse expérience de se retrouver au poste de police pour un interrogatoire approfondi : des citoyens les avaient dénoncés après les avoir entendus évoquer des sujets liés à l’organisation de l’Etat Islamique (EI) dans leurs conversations téléphoniques et amicales. « Les policiers prennent au sérieux toute accusations, quand bien même elle serait fausse », déplore un des journalistes qui ont fait l’expérience de cet interrogatoire. Ils sont aussi plusieurs journalistes à assurer que leurs comptes emails et comptes sur les réseaux sociaux sont piratés depuis l’attaque au musée du Bardo.
Incompétence ou manque de moyens ?
La Tunisie post-révolution se découvre un visage qu’elle n’osait pas montrer auparavant, celui d’un appareil gouvernemental fragilisé. Quelques jours après l’attaque du 18 mars 2015, le Chef du gouvernement Habid Essid, a parlé de lacunes, de défaillances sécuritaires qu’il a remarquées lors de sa visite au musée. Il a décidé de limoger six chefs de la police de la capitale, incluant le service phare, celui des renseignements généraux.
L’incompétence des hauts responsables, eux-mêmes désignés par le gouvernement, est ainsi pointée du doigt. La police, elle, parle de manque de moyens et d’expérience en matière de lutte contre le terrorisme « urbain ».
La Tunisie a encore beaucoup à apprendre en matière de lutte antiterroriste. La population, quant à elle, devra s’adapter à cette nouvelle donne.