Boufarik: Itinéraire du malheur des familles de victimes du crash en quête de nouvelles - Maghreb Emergent

Boufarik: Itinéraire du malheur des familles de victimes du crash en quête de nouvelles

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Ceux qui sont là savent que leur parent était dans l’avion. Ils ne sont pas allés aux urgences, mais se sont dirigés vers la morgue où ils attendent. La certitude de la mort est déjà là. Mais il faut s’y habituer.

 

 

Un homme aux yeux rougis de douleur est entouré d’une trentaine de personnes. “Mon frère était dans l’avion”, une sentence dite dans un calme insupportable. Le calme de cet homme retentit pourtant tout autour, comme s’il criait pour strier le ciel de sa douleur.

Ce ciel qui nous est tombé sur la tête en ce matin inoubliable du 11 avril 2018 à Boufarik.

A la morgue de l’hôpital Frantz Fanon de Blida, le CHU le plus proche des lieux du drame, des familles arrivent à la recherche d’informations sur leurs proches décédés dans le crash d’un avion militaire à Boufarik, à une trentaine de kilomètres au sud d’Alger.

Ceux qui sont là savent que leur parent était dans l’avion. Ils ne sont pas allés aux urgences, mais se sont dirigés vers la morgue où ils attendent. La certitude de la mort est déjà là. Mais il faut s’y habituer.

L’homme aux yeux rouges cesse de parler, certains l’enlacent, certains lui prennent le visage délicatement entre les mains et le regardent dans les yeux en chuchotant quelques mots doux pour l’apaiser.

Et pourtant, tous ceux qui viennent consoler ce frère inconsolable sont eux-mêmes des parents d’un militaire mort dans cet avion de l’enfer.

Il n’y a pas un cri qui monte, pas une voix qui se fait entendre de cette ronde du malheur. Les Algériens qui habituellement parlent fort et ne lésinent pas sur les éclats de voix ont tous perdu la parole en ce matin de malheur.

Des infirmiers se tiennent aux abords, graves, ils attendent aussi. Un gendarme explique qu’ils n’ont pas encore reçu de consignes ou d’informations précises à faire circuler auprès des familles: “On ne sait pas encore où vont être acheminés les corps, on ne sait pas encore quoi dire aux familles, on est obligé de leur demander d’aller sur place à la base militaire de Boufarik, c’est le seul lieu où il y a la liste”.

Un jeune oncle venu chercher des nouvelles du corps de son neveu a entendu le gendarme et immédiatement il va répercuter la nouvelle aux autres. Mais un autre jeune homme, Hamid, 26 ans, qui lui a perdu son cousin, préfère les prévenir:

“Je viens de la base militaire de Boufarik, ils ne m’ont pas laissé passer, ils ne m’ont pas donné d’informations”.

La trajectoire du malheur pour les familles de victimes du crash a la recherche dinformationsLa trajectoire du malheur pour les familles de victimes du crash a la recherche dinformations entre la base militaire de Boufarik et les hopitaux des environs.

 Hamid est affirmatif, “ وليد عمي مات  ” (mon cousin est mort). Il chuchote à peine. Comment peut-il en être si sûr alors qu’il a été refoulé à la base militaire?

“Je lui ai parlé ce matin au moment il montait dans l’avion”, dit-il dans une grimace sans plus.

Il est onze heure et demie et l’avion est tombé à 7h50 du matin. Rien ni personne ne pouvait prévoir un tel malheur et personne n’y est préparé. Les gendarmes, les policiers, les infirmiers, les gens ordinaires, tous agissent par pur réflexe, dans le calme, dans la solidarité et l’humanité, en attendant d’en savoir plus.

Un peu plus tôt, à des kilomètres plus loin, sur la route de Beni Khelil qui relie la route nationale 69 qui aboutit à la base militaire de Boufarik, un convoi de voitures, camions, fourgonnettes, long de plusieurs centaines de mètres se forme. 

La base militaire est toute proche à vol d’oiseau mais l’accès routier est fermé par des gendarmes et des militaires. Il n’est que dix heures du matin ici et les gendarmes à l’intersection demandent à tous de rebrousser chemin. La plupart des gens ne savent pas encore qu’il y a eu ce terrible accident, ils sont de passage, ils rebroussent chemin, le visage atterré par la nouvelle.

D’autres arrivent pour demander des nouvelles. Un quadragénaire est venu aussi vite qu’il a pu d’Alger pour demander des nouvelles du fils d’un ami qui l’a appelé de Chlef:

“Ils m’ont appelé ce matin de Chlef, ils ne savent pas si leur fils était dans l’avion, ils veulent que j’aille demander”.

Il sera envoyé à l’entrée principale de la base militaire, celle à laquelle on accède en arrivant par la bretelle de l’autoroute Alger-Blida.

Un gendarme tente de convaincre quatre jeunes hommes de repartir demander des informations à la porte principale “c’est là-bas qu’ils ont la liste, s’il vous plaît ne restez pas là, tous les corps sont encore là, aucun n’a été évacué, on va avoir besoin de tous les accès pour laisser passer les ambulances”, explique-t-il gentiment pour tenter de les convaincre, en tapotant sur le dos de ceux qui veulent savoir si leur frère était à bord ou pas. Ils baissent la tête, mais préfèrent se garer sur le bas-côté et attendre.

Personne ne pleure. Les visages sont paralysés par l’effroi. Ceux qui arrivent en courant, sortent en laissant leurs voitures moteurs allumés, parfois portes ouvertes et courent demander au gendarme: “Où se trouve la liste?”

Résolument, le gendarme et ses collègues qui sont à plus d’une quinzaine, tentent de répondre du mieux qu’ils peuvent aux questions de ceux qui ne savent pas encore et qui sont déchirés par l’espoir que le leur n’est pas sur la liste.

“Il y avait beaucoup de militaires seuls mais aussi des pères qui étaient en famille avec leurs femmes et leurs tout-petits… كارثة “, dit le gendarme, c’est une tragédie.

Ils iront chercher à l’hôpital Ben Boulaid de Boufarik, tenteront d’en savoir plus aux autres accès de la base militaire qui se trouve entourée au beau milieu des champs agricoles de Boufarik, certains pousseront jusqu’au CHU Frantz Fanon de Blida à quinze kilomètres.

Jusqu’au moment, en fin de matinée, où l’information effroyable a été communiquée officiellement par le ministère de la Défense: “Il n’y a eu aucun survivant”.

 

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