Le cabinet Finabi (Finance and Business Intelligence), spécialisé dans le pilotage de la performance financière, s’est adonné à une enquête à courte échelle pour évaluer le taux de rendement financier dans la vente à tempérament. Bien que ne pouvant pas indiquer une tendance générale, les résultats font en tout cas ressortir des pratiques contraires à la réglementation en vigueur. Chabane Assad, fondateur du cabinet (Finabi), analyse dans cet entretien accordé à Maghreb Emergent, ce phénomène.
L’enquête sur les taux de rendement financiers appliqués par les commerçants effectuant des ventes à tempérament que vous avez réalisée démontre un taux que vous qualifiez d’usurier. Pourquoi ?
Les taux de rendement financier appliqués par les commerçants sont qualifiés d’usuriers, car ils dépassent significativement le seuil du taux d’intérêt excessif applicable au titre du deuxième semestre 2024 sur le crédit à la consommation codifié dans la note de la banque d’Algérie. Selon la règlementation de la Banque d’Algérie, toute institution financière qui facture en 2024 un taux d’intérêt supérieur à 10,54% effectue des opérations usurières. Certes, ces commerçants ne sont pas soumis au contrôle du régulateur bancaire. Toutefois, la vente à tempérament est assimilée à une opération de financement. Sur les douze commerçants sondés, le taux de rendement financier oscille entre 40% et 55%. FINABI qualifie ces opérations d’usurières, car l’écart type avec le taux d’intérêt excessif est important.
Ces taux sont donc fixés par les commerçants eux-mêmes. Peut-on alors qualifier ces pratiques d’abus ?
Oui, les commerçants fixent eux-mêmes les taux sans aucun contrôle par les régulateurs. Il est impératif que le ministère du Commerce intérieur et la Banque d’Algérie légifèrent conjointement pour encadrer ce segment. Ces mécanismes commerciaux accentuent l’érosion du pouvoir d’achat des ménages, surtout des plus vulnérables. Ces pratiques sont extrêmement abusives pour trois raisons principales :
- Le taux de rendement n’est pas déclaré aux clients. La mention du taux d’intérêt est obligatoire dans une convention de crédit ;
- Ces mécanismes ciblent les ménages à faible revenu, généralement des fonctionnaires dont les salaires sont versés au niveau des centres de chèques postaux. Le coût financier excessif réduit le pouvoir d’achat de ces foyers modestes et génère souvent des situations de surendettement ;
- La garantie qu’exigent ces commerçants est une série de chèques dont le nombre est égal à celui des échéances. Ce genre de collatéral est strictement interdit par le droit cambiaire.
Sur quels fondements s’appuie un commerçant qui fixe lui-même le taux d’intérêt ? Est-ce que cela reflète le risque du marché ou sa propre perception du risque ? ou est-ce de la simple spéculation sur le dos des consommateurs dépourvue de recours ?
Aucun fondement. L’appât du gain dirige ces commerçants à facturer des taux de rendement financiers usuriers tant que le client accepte le prix affiché. La défaillance du secteur bancaire dans le financement des ménages a généré un vide et une niche. La vente à tempérament est devenue un palliatif et une réponse du marché à une anomalie du secteur bancaire. Il n’y a aucun lien avec la perception du risque, car le taux est le même pour tous les clients et ces commerçants ne disposent pas de systèmes de scoring pour évaluer les prospects.
En outre, les chèques de garantie recueillis planent comme une épée de Damoclès sur les acheteurs et réduisent le risque à un niveau marginal. La timidité du secteur bancaire dans le financement des particuliers a créé une bulle spéculative, car les ménages souhaitent consommer, mais l’offre de financement est proposée par des non-professionnels qui sont tentés de marger abusivement.
L’exigence du chèque de garantie n’induit-il pas un risque pour le client ? Comment peut-il se défendre en cas d’abus de la part du commerçant ?
Le chèque de garantie est interdit par la réglementation bancaire, car c’est un instrument de paiement à vue. Il ne peut pas être utilisé comme un moyen de paiement à terme. Si le chèque est rejeté par le secteur financier pour manque de provision, le tiré (le client) risque des sanctions pénales et une interdiction bancaire. Cependant, les clients peuvent se défendre et transférer le risque sur ces commerçants, car la réglementation interdit les chèques de garanties, mais les autorités, à l’instar de la Banque d’Algérie et de la COSOB doivent développer l’éducation financière afin d’éclairer et d’informer les citoyens sur leurs obligations et droits.
Quels mécanismes de contrôle pourraient être mis en place pour protéger les consommateurs et réglementer la vente à tempérament ?
Le meilleur mécanisme de contrôle à mettre en place est d’inciter le secteur bancaire à financer les ménages d’une manière massive. Le marché se régulera automatiquement. Il est aussi nécessaire d’imposer la réglementation sur le respect des taux d’intérêt excessifs pour les opérations de financement hors secteur bancaire.
Enfin, éduquer à la finance nos chers compatriotes est le meilleur moyen de lutter contre les abus. Comment ? En leur apprenant comment calculer un taux de rendement financier non mentionné par un fournisseur. En les sensibilisant sur le fait que les chèques de garantie sont interdits.
Cette enquête a été menée auprès d’une dizaine de commerçants. Est-ce que les outils utilisés permettent de généraliser le constat ?
Notre enquête a été modeste, se limitant à une douzaine de commerçants, mais elle met en exergue les rendements financiers appliqués. L’échantillon n’est pas étoffé pour généraliser, mais suffisant pour lancer une investigation plus approfondie afin d’évaluer le secteur et de mettre en place les outils de régulation adéquats.
Propos recueillis par K. Debbouz