Le retour de Chakib Khelil aux affaires est évoqué avec insistance dans différents cercles du pouvoir. Hypothèse plausible, ou s’agit-il de présenter le maintien du gouvernement actuel comme un soulagement ?
En cette période trouble, où l’Algérie se prépare à accueillir, malgré elle, un nouveau parlement et un nouveau gouvernement, une idée fait son chemin. Elle est partagée, commentée, elle s’installe dans l’opinion, qui commence à la digérer, à vivre avec, à défaut de pouvoir s’y opposer. Il s’agit du retour de M. Chakib Khelil au gouvernement.
Lancée sur les réseaux sociaux, reprise ouvertement ou timidement par des chaînes de télévision privées, considérée comme une hypothèse de travail par des sites électroniques, cette information a fini par devenir banale dans des cercles branchés ou supposés tels.
Dans tout autre pays au monde, l’idée paraitrait parfaitement loufoque. Mais pas en Algérie. Il suffit de rappeler que des poursuites judiciaires ont été engagées contre M. Chakib Khelil, qu’un procureur de la république s’est exprimé à la télévision pour expliquer les griefs retenus contre lui, qu’il a été contraint de quitter le gouvernement et de s’exiler pour un temps, pour se rendre compte de l’impact que cette affaire a eu lieu dans le pays.
Mais plus tard, l’ancien ministre de l’Energie est rentré tranquillement en Algérie, où il a effectué des visites remarquées dans les zaouïas et de donné des conférences sur l’économie algérienne.
Cette impunité a, dans un premier temps, choqué les Algériens. Mais le temps a fait son œuvre. La résignation, mêlée d’un peu de doute, a ensuite remplacé la colère. Chakib Khelil, Khalifa, BRC, affaires Sonatach et autoroute est-ouest : le règne de Bouteflika a été suffisamment parsemé de scandales pour que le pays s’habitue au pire.
Banalisation de l’insupportable
Cette fois-ci, cependant, les choses semblent aller plus loin. Beaucoup plus loin. Et dans la banalisation de l’insupportable, le pays a montré des dispositions incroyables. Non seulement M. Chakib Khelil est blanchi, mais des faiseurs d’opinion envisagent son retour aux affaires comme une alternative non seulement possible, mais tout à fait plausible, voire souhaitable.
Les premiers signes sont apparus avec les zaouïas religieuses. Est ensuite venu le temps des zaouïas médiatiques où M. Khelil est reçu en grande pompe. Là, non seulement les médias évitent de lui poser des questions sur ce qu’est l’essence de M. Chakib Khelil, mais ils le présentent comme un homme compétent et expérimenté, en mesure d’apporter beaucoup de choses au pays.
« Si on vous propose un poste au gouvernement, allez-vous accepter ? », lui demande-t-on. Et que répond M. Khelil ? Il se dit « prêt à aider à n’importe quel poste », mais il pose ses conditions ! Il estime que cela dépendra « des prérogatives du premier ministre, et de la liberté qu’il aura à choisir l’équipe gouvernementale ».
Selon lui, « il se peut que les ministres en poste ne permettent pas d’atteindre les objectifs ». Et il insiste : il veut éviter d’être considéré comme « incompétent » parce qu’il aura échoué dans sa mission, alors qu’en vérité, il est compétent, mais « l’environnement et l’équipe qui l’entoure n’ont pas permis d’arriver aux objectifs fixés ».
Responsabilités
Cet échange incroyable a lieu en 2017, en Algérie. Au cœur du 4ème mandat, il est vrai. Mais comment peut-on arriver à telles limites ? Comment l’Algérie a-t-elle cédé, pouce par pouce, pour admettre une telle déchéance morale ? Bien sûr, il y a toujours l’idée selon laquelle M. Khelil serait un homme compétent et honnête, injustement éliminé par le DRS. Dans l’Algérie de l’ère Bouteflika-Toufik Mediène, l’hypothèse pouvait tout à fait être plausible.
Mais il y a le reste, que ni le DRS ni Toufik Mediène ne peuvent inventer : M. Chakib Khelil fait l’objet de révélations précises faites notamment par les justices italiennes et suisses. Celles-ci ont énoncé des faits, des dates, des lieux, des noms. Dont celui de M. Farid Bedjaoui, dont la proximité avec M. Khelil a été établie. Il ne s’agit ni de rumeurs, ni de spéculations.
Faire l’impasse sur tout ce pan de la honte algérienne est dangereux. Vouloir aller plus loin, pour organiser un retour progressif de M. Khelil aux affaires révèle soit un autisme total et une ignorance absolue de ce qui secoue la société algérienne, soit une volonté délibérée de provoquer les Algériens et ce qui reste encore viable dans les institutions. C’est, virtuellement, une déclaration de guerre contre les une partie des Algériens.
Aveuglement et complicité
A force de vivre avec la menace Chakib Khelil, le pays serait presque soulagé de garder le gouvernement de M. Abdelmalek Sellal. Il aura évité le pire. Et c’est à se demander si ce n’est pas l’objectif visé.
Un dernier mot sur la presse : il est de tradition que des médias concluent des deals avec des hommes qu’on va interviewer, en vue de privilégier certains sujets et d’en éviter d’autres. C’est de bonne guerre. Cela fait partie de marchandages traditionnels.
C’est du donnant-donnant. Sans toutefois basculer vers la cécité, voire la complicité. Mais ne pas parler des scandales Sonatrach quand on fait une interview de Chakib Khelil est le signe d’une grave déchéance morale. On n’est pas loin de l’infamie.