La chronique hebdomadaire d’El Kadi Ihsane sur El watan tente d’analyser le sens historique de l’émergence d’un marché algérien de la cocaïne.
La doctrine économique du régime politique algérien est souverainiste. Un leurre. La mondialisation profite de l’Algérie. L’inverse n’est pas vrai. L’Algérie est un faux pays fermé. C’est la saisie record de 701 kilos de Cocaïne au large du port d’Oran qui finit d’ouvrir les yeux sur le modèle économique du souverainisme tardif. L’espace économique algérien entretient une relation asymétrique avec l’espace marchand mondial. Il pense en maitriser la logique et les flux. En réalité il en subit tous les travers. Et ne sait pas en prendre les dividendes en retour. L’économie criminelle du trafic de drogue en est le tout dernier révélateur. Importation cachée dans la balance devise du pays. Attention, que l’on s’entende bien.
L’émergence d’un marché domestique de la cocaïne en Algérie est d’abord un signe extérieur de richesse. Il faut un seuil médian élevé de revenu par habitant pour devenir une destination de ce trafic planétaire. Pas un hasard si les Etats- Unis puis l’Europe en sont les principaux récipiendaires. Le problème est que le trafic de cocaïne est, ailleurs dans le monde, un sous-chapitre d’un flux global, où s’additionnent marchandises, services, capitaux, touristes, datas, etc… En Algérie, la cocaïne circule déconnectée de l’économie-monde qui relativise son préjudice et la transforme en dommage collatéral de la globalisation.
Les grands pays pris dans les nasses de ce trafic global sont aussi des places financières ouvertes ou semi-ouvertes, des hubs logistiques, de grandes destinations touristiques, des méga-serveurs de données, des plateformes commerciales sans frontières. L’Algérie verrouille de partout. Sur sa frontière ouest, sur ses visas de visite, sur sa législation des changes, sur l’accueil des investissements étrangers. Elle n’a pas pu s’empêcher pour autant de devenir un grand marché du cannabis, et un marché émergent de la cocaïne. Le refus d’assumer une relation différente avec le mouvement de la globalisation qui n’est pas celle, vicieusement rentière, du souverainisme économique de parade, a créé des niches en Algérie.
La niche de ceux qui profitent du différentiel du taux de change, la niche de ceux qui profitent de la dépense sécuritaire sous prétexte que le pays est assiégé, la niche de ceux qui organisent le placement de l’épargne domestique à l’étranger puisque les produits financiers n’existent pas à Alger, la niche de ceux qui profitent de la frontière terrestre fermée pour monétiser son passage, la niche de ceux qui vont profiter de l’immobilier urbain artificiellement maintenu en surcote pour blanchir l’argent des trafics.
Le modèle capitaliste de la niche d’autorité
L’organisation d’un réseau de trafic algérien de cocaïne qui manipule un chiffre d’affaire de plusieurs dizaines de millions de dollars par an formate le décalage entre l’Etat et la société. Le premier tourne le dos au monde tant qu’il le peut. Il refoule les migrants, contingente les permis de travail, avance à l’allure de la lettre de crédit et des réunions du CNI qui autorisent les investissements importants. La seconde navigue entre résistance, clientélisme et extra-territorialité. Sa frange la plus « conquérante » comble l’écart à sa manière avec le monde. Les profiteurs des niches se mondialisent vite avec les outils d’aujourd’hui. L’exact inverse d’un discours d’Abdelkader Messahel sur la géo-économie.
Ils nouent contact avec des fournisseurs aux quatre coins du monde. Ils scellent des contrats et honorent le paiement en devises à partir d’une place supposée fermée à la transaction off-shore. Ils recyclent leur argent en Algérie et dans le monde. Ils pourraient devenir demain l’aile dominante du capitalisme algérien. Et faire du modèle de la niche gagnante, la feuille de route définitive de l’accumulation du capital en Algérie.
Un modèle type de sous-développement socialement inégalitaire et politiquement autocratique, car il faut maintenir et renouveler d’autorité les niches sous couvert de souveraineté nationale. Le « souverainisme » économique algérien de pacotille a pris le pire de la mondialisation. Et ne sait pas émarger au meilleur. Il se shoote à la cocaïne pour ne pas oublier furtivement le mal qu’il fait à l’Algérie.
Temps que le foot.dz crée son économie
L’autre fait de la semaine économique n’est pas lié à l’économie, mais à son avenir. Il sera fait d’une part de plus en plus importante de dépenses de loisirs liées à l’augmentation lente mais sûre du temps libre. En 2030, la dépense moyenne des budgets familiaux consacrés aux loisirs approchera les 15% dans les pays de l’OCDE. L’Algérie est en phase de rattrapage sur ce front. L’offre de loisir y est encore faible. Elle est surtout peu renouvelée. Le sport, entre pratique sportive et spectacle sportif, a une part de choix à y consolider. Son vaisseau amiral, le football paraît pourtant en crise, pour son volet spectacle.
L’actualité de la semaine l’illustrerait plutôt pathétiquement avec la nouvelle défaite de l’EN en amical contre le Cap Vert, dans un stade du 05 juillet tristement vide. Le passage au professionnalisme en 2010 est souvent décrié pour ne pas avoir réussi à créer un environnement économiquement soutenable pour le football. En réalité, la faiblesse des revenus du football est liée à celle de l’économie privée algérienne, en général et à celle de l’écosystème médiatique en particulier. Sponsors et Droits TV sont les deux principales sources de financement des clubs dans le monde avancé. Les revenus du stade et le merchandising arrivent bien loin derrière. En Algérie, la crise de l’économie privée est doublée de celle du système de diffusion télévisuelle.
Pour investir beaucoup en sponsoring il faut être certain d’une exposition télévision conséquente. La télévision publique n’arrive même pas à diffuser 50 % des huit matchs hebdomadaires de la ligue un pro Mobilis. En 2018, dans un pays au Pib de celui de l’Algérie c’est une grosse contre-performance. Le cahier des charges de la LFP, propriétaire de la compétition, ne prévoit pas de lots séparés aux enchères, afin d’assurer une meilleure exposition à son événement sportif.
Elle n’en tire d’ailleurs pas les revenus qu’elles pourraient obtenir faute de concurrents domestiques conséquents pour les droits tv du football. Un cercle vicieux dont le point de dénouement serait la mise aux enchères de ces droits à l’international pour partie. L’enjeu est de taille. Et le « souverainisme » de pacotille tue, là aussi, l’émergence économique du football, sans laquelle la production de grands joueurs dans de grands clubs restera aléatoire. Et les performances de l’EN tout autant.
La ligue 1 française vient de vendre, cette semaine, ses droits à un groupe espagnol qui évince Canal Plus ; l’historique diffuseur du football français. Cela est douloureux pour le pavillon bleu blanc rouge. Mais les clubs français se frottent les mains. Leur ligue recevra plus de 400 millions d’euros de plus par rapport à l’enchère précédente. Un pactole global supérieur au milliard d’euros redistribué en grande partie sur les clubs. Le football et le sport sont aujourd’hui un des piliers de l’économie du temps libre en plein expansion dans le monde. Payer pour voir s’est incrusté dans l’esprit marchand des dernières années. Commençons déjà par bien faire payer l’achat des droits pour ensuite montrer. Le championnat d’Algérie de football n’en vaut pas la peine ? Pas si sûr. Le spectacle était souvent au rendez-vous cette année dans les stades. Il est temps qu’il crée son économie.