Comment Obasango a fait l’Histoire du Nigeria et comment personne ne la fait comme lui en Algérie - Maghreb Emergent

Comment Obasango a fait l’Histoire du Nigeria et comment personne ne la fait comme lui en Algérie

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La chronique hebdomadaire de El Kadi Ihsane revisite la relation entre le politique et business. Comment le premier peut assurer le développement avec le second. 

 

La scène se déroule dans le Hall Africa  au Sofitel Ivoire d’Abidjan. C’est la fin de la seconde de deux journées intenses de travaux du 6e Africa CEO Forum. Panel de clôture. Deux présidents sur l’estrade monumentale. L’actuel de la Zimbabwe, Emmerson Mnangagwa et l’ancien du Nigeria, Olsegun Obasango.  La salle est comble et attentive. Le panel est nommé « lorsque les leaders politiques font l’Histoire ». En l’occurrence au CEO Forum, l’histoire est d’abord l’histoire économique.

  Le débat tourne autour de la volonté d’ouverture économique que veut donner le nouveau président Zimbabween à son pays ossifié idéologiquement sous le long règne autocratique de Mugabe. Un virage clairement assumé par son successeur et néanmoins second pendant très longtemps. Mais comment donc laisser son emprunte sur le pays en tant que leader politique ? C’est surtout vers le président Obasango que les regards se tournent. Leader charismatique à la tête du pays le plus peuplé d’Afrique.

Elu en 1999, comme Abdelaziz Bouteflika, il a enchainé ses deux mandats constitutionnels, après une réélection, et s’en est allé servir les projets panafricains de l’UA. Obasango, tenue Nigériane traditionnelle de rigueur, a alors décidé d’offrir un récit à ce public un peu fatigué mais tout suspendu à ses lèvres : « une nuit, c’était vers le milieu de mon premier mandat, je n’arrivais pas à trouver le sommeil. Je me disais le Nigeria produit du ciment depuis 1958 et n’arrive toujours pas à s’auto-satisfaire. J’ai appelé Aliko Dangote à 5 h du matin, et je lui ai demandé de passer à mon bureau à 7 h. Il a trouvé que c’était déjà un peu limite de l’avoir appelé à 5 h du matin et il a refusé 7 h pour ne venir qu’à 9 h du matin. Alors je lui ai posé la question. Pourquoi le Nigeria importe autant de ciment depuis autant d’années. Il m’a répondu, « vous voulez une réponse franche Mr le président ? »  J’ai dit oui. Il m’a répondu « parce qu’on gagne plus d’argent en important qu’en le produisant ici au pays ». 

Le récit de cet échange a provoqué un moment d’obnubilation dans l’Africa Hall.  L’Histoire était en train de se faire. Le président Obasango poursuit « j’ai alors demandé, que faut-il faire pour que le produire au Nigeria devienne plus rentable pour vous que d’importer ? ». Et c’est ainsi qu’a débuté la formidable explosion de la production du ciment au Nigeria. Plus de 30 millions de tonnes produits en 2017 et une implantation régionale en pleine expansion du groupe de Aliko Dogante, devenu entretemps l’homme le plus riche du continent. 

Pourquoi l’ancien président Nigerian, devenu un des sages d’Afrique, a-t-il raconté cette nuit du doute avec autant de détail. Pour dire que si les leaders politiques ne suivent que l’agenda du développement de leur pays et celui de l’intérêt public qui lui est corollaire, alors ils peuvent s’engager dans toutes les audaces en se tenant près du business dans le but de servir ces grands objectifs transcendants. Il existera toujours des points de vue défiants.

Des voix pour reprocher à Obasango d’avoir encouragé l’émergence d’un oligarque africain. Personne pour dire qu’il en a tiré un avantage personnel. C’était sa manière à lui de résoudre la question du ciment. En faisant de son pays non plus un importateur, mais un exportateur de ce matériau et un investisseur continental dans la filière. Comment donc les hommes politiques font il l’Histoire ? En écoutant, en prenant des risques, en restant désintéressés personnellement.  Parole de sage.

Le saut illusoire par-dessus l’industrie

A Abidjan l’Africa CEO forum n’a pas fait qu’écouter le sage Obasango. Il s’est penché sur la réalité des voies de développement sur le continent. Avec une question à la clé. Peut-on sauter par-dessus les étapes classiques du développement que sont la constitution d’une base infrastructurelle et l’émergence d’un secteur industriel manufacturier ? La tentation a, en pointillé, existé ces dernières années de le faire. 

La digitalisation des activités et le dynamisme de l’économie des services  ont, en couple, fait miroiter la possibilité d’un saut d’étape. Passer directement d’une économie primaire à une économie post-industrielle. Certes tous les pays ne peuvent pas prétendre à devenir des ateliers du monde. Il reste que l’ancienne problématique tiers-mondiste de la transformation locale des matières premières et du développement industriel continue de s’inviter tranquillement dans un aréopage de chefs d’entreprises privés qui font aujourd’hui l’essentiel de la croissance continentale. 

C’est le brillant consultant marocain, ancien de Mckenzie, Amine Tazi-Riffi qui d’emblée, au premier panel de la première matinée, dans la foulée du discours d’ouverture du président Alassane Ouattara, a indiqué le nouveau sens du vent. Dans le monde global qui se renforce, il faut tant que possible localiser une activité industrielle domestique.

« C’est stratégique. Ce n’est pas juste une question de création d’emplois. C’est le segment par lequel on règle la question de la balance de paiement ». Entendre, l’activité industrielle est un rapport avantageux au reste du monde au sens où il permet soit d’exporter, soit d’éviter d’importer des biens ». Et d’ajouter qu’il n’y a pas de honte à n’être au début qu’un atelier pour des concepteurs qui sont ailleurs. « Car la frontière est en train de bouger entre les activités de design (Recherche et développement) et les activités de fabrication ».  Les pays avancés tentent de relocaliser chez eux des activités de production considérées comme sans grande valeur ajoutée il y a deux ou trois décennies. La « recherche et développement » veut se tenir plus prêt de l’usine. Alors faisant toujours que l’usine vienne en Afrique.

Le lobbying algérien obsolète

L’Algérie est un pays mineur dans l’intégration économique africaine.  Il ne fallait pas se rendre à Abidjan la semaine dernière pour s’en rendre compte. Moins d’une dizaine d’acteurs économiques algériens contre plus de 100 marocains inscrits à l’événement.

Le FCE et son président tentent de combler le gap. Une délégation autour d’Ali Haddad s’est rendue durant 48 h à Abidjan. Mais elle n’a pas laissé d’empreinte dans le Forum. Choix d’un agenda tourné vers le bilatéral et l’institutionnel.

Le FCE avait à portée le monde africain des affaires, les organismes multilatéraux de soutien au privé et au développement, les fonds d’investissement.  Il s’est enfermé loin des bons réseaux dans un tête-à-tête avec les autorités ivoiriennes. Et signé accessoirement un protocole d’accord avec le patronat Ivoirien. C’est bien. Mais ce n’était pas le propos d’une telle messe continentale. Personne n’a fait pareil à Abidjan durant ces deux jours. Les chefs d’entreprises africains  sont le cœur de leur événement. 

Les politiques viennent les démarcher et les convaincre de venir travailler dans leur pays. Les organismes multilatéraux écoutent leurs besoins. Montent des plans avec eux. Le lobbying d’affaires algérien naissant en Afrique, ressemble encore à s’y méprendre à la vieille diplomatie Bouteflikienne. Elle croit qu’il faut d’abord parler au ministre. Faut-il s’en étonner ?  Faut-il surtout continuer ainsi ?

 

 

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