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Algérie

Concession agricoles aux étrangers: Ferhat Ait Ali lâche ses vérités

Par Maghreb Émergent
mai 23, 2018
Concession agricoles aux étrangers: Ferhat Ait Ali lâche ses vérités

Selon M. Ait Ali, les lois algériennes, souvent court-circuitées par une administration qui échappe à tous contrôles, y compris  les décideurs, visent toujours des objectifs autres que ceux proclamés.

La première mouture du projet de loi de finance complémentaire a prévu une concession des terres agricoles aux étrangers. Cette mesure a été retirée pour être remplacée dans le projet final par une autre qui préconise des concessions « aux entreprises étrangères de droit algérien » comme l’a expliqué le Directeur de l’ONTA, Messaoud Kennis. Qu’est-ce que cette gymnastique du Gouvernement vous inspire ?

 Pour commencer, je dois d’abord  manifester mon étonnement devant cette forme de gouvernance de la chose publique unique dans les annales politiques de l’humanité, qui consiste à laisser passer un projet de loi vers le public, avant de le bloquer ou de demander une relecture de manière tout aussi publique. Ce genre d’incidents tendant à être répétitifs ces derniers temps. Cela donne l’impression d’une sorte de cohabitation entre deux visions divergentes, dont chacune use de ses prérogatives soit pour prendre l’autre de vitesse, soit pour bloquer les initiatives de l’autre. Une soumission discrète et méthodique des cogitations de la partie subalterne à une procédure de contrôle primaire de ses textes avant leur mise en public serait à même de régler ce problème, ou tout simplement le choix d’une équipe plus alignée sur les thèses de la présidence. Ceci à moins que d’autres motivations soient à l’origine de ce spectacle attentatoire à la crédibilité des institutions, surtout vis-à-vis de parties étrangères.

Pour revenir à votre question, la première mouture a elle aussi précisé que le droit de concession est transférable aux sociétés d’investissement crées dans le cadre du partenariat public privé, avec des investisseurs Algériens ou étrangers, ce qui ne diffère en rien de la nouvelle mouture où il est question de société de droit Algérien, formule bateau englobant même la société à 100% détenues par des étrangers dans d’autres domaines.

Concrètement, ces fermes pilotes disposent elle-même d’un statut juridique leur conférant une personnalité morale à part entière, et étaient gérées par le truchement de ces entités de droit algériens, portant comme dénomination : ferme pilote… plus le nom de la ferme. Ainsi toute prise de participation dans une ferme, entraine de facto un droit sur l’actif et le passif, dans n’importe quel pays à juridiction normalisée. Et je vois mal comment transférer le patrimoine de ces fermes, elles-mêmes objet d’une prise de participation éventuellement étrangère, qui conforte l’accès à la concession de facto à hauteur de ces parts, vers une entité d’investissement nouvelle qui fait l’impasse sur les 34% de la partie encore étatique dans l’affaire. C’est l’exemple même du texte élaboré suite à une réunion de bureaucrates pressés d’en finir, et de parties intéressées pressées d’aboutir. Mais, comme chez nous l’administration a miné tout le champ juridique avec ses dispositions alambiquées, conjoncturelles et ciblées, on se retrouve souvent avec des cas de figure aussi cocasses qu’impossibles à mettre à exécution. Et c’est le cas du foncier agricole, où justement une partie étrangère ne peut accéder au foncier en question quelque soit sa prise de participation dans le capital social desdites fermes, ce qui est inédit et peu attractif.

Cet article introduit dans un texte qui n’est pas son cadre légal, au lieu d’être discuté dans le cadre général de la réforme agricole englobant le problème foncier, a manifestement pour but de profiter d’un écran de fumée de taxes exagérées sur d’autres besoins de la société pour passer en second plan sans trop de remous. Cette technique étant une marque de fabrique de l’actuel premier ministre, qui considère ses relations avec la société sous l’angle d’une éternelle partie de cartes ou tous les coups sont permis, dans la mesure où il estime que la société est rompue à la triche, et que la contre-triche est un outil de légitime défense.

Concrètement, si un jour l’accès au foncier agricole devra être ouvert à des parties étrangères, la logique veut que la disposition soit générale et vaille pour l’intégralité du foncier en question, et pas uniquement au titre de 146000 hectares sur 8 millions utiles  et 32 millions à vocations diverses.

Et de toute manière, aucun texte à ce jour n’interdit explicitement l’acquisition de foncier ou d’immobilier en Algérie à des étrangers, et pour preuve, des entités industrielles empiètent sur les terres agricoles en vertu de projets dont elles détiennent 100% de l’active emprise au sol incluse, comme le cas du groupe Lafarge. Ce qui rend cet article encore plus opaque que la situation qu’il prétend éclaircir.

Ce genre de texte nécessite une maturation, un débat, et une expertise  qui ne peut s’accommoder d’un deuxième rang dans un texte lui-même relevant d’une supposée urgence pour d’autres motifs et domaines de compétences.

 A chaque qu’il s’agit des partenaires étrangers du pays, le Gouvernement algérien se montre « prudent », voire « frileux ». Pourquoi cette méfiance vis-à-vis du capital étranger ?

 Cette frilosité générale, entretenue avec certaines approches quasi mystiques, n’empêche pas au demeurant des parties rompues aux gymnastiques juridiques dans l’administration de créer autant de brèches peu visibles que de barrages illusoires, à ce qui est présenté comme une sorte d’invasion massive sur la « terre des martyrs ». Ladite terre des martyrs, qui n’a jamais été gérée, protégée ou mise en valeur à la hauteur de leurs espérances, ni même restituée aux tribus martyres quasi exterminées à cause d’elle, mais distribuée de manière empirique à toutes sortes de parties dont l’unique différence avec le colon est l’incapacité à y réaliser quoi que ce soit d’utile, ni même à la maintenir en l’état.

Pour ma part, je suis réfractaire à ce genre de cessions, pour l’unique raison que j’estime que, en dehors d’un apurement de ce foncier dans sa dimension juridique et surtout cadastrale, au point où 56 ans après l’indépendance des tribus et des particuliers en arrivent aux mains pour des terres sans statut effectif ni délimitations précises, il est difficile et dangereux d ‘introduire un élément nouveau de nature à compliquer encore plus la donne, et sachant que la terre, dans l’imaginaire collectif, a toujours été la première source de conflits depuis les circoncellions de l’époque romaine.

Pour ce qui est du « capital étranger », je doute fort que le moindre investissement sérieux soit attiré par nos terres, surtout avec apport en capital, du fait que nous n’avons pas un seul critère d’attractivité dans le domaine, y compris la fertilité tant galvaudée des terres qui , sans eau, ne valent rien partout dans le monde.

Nous avons réussi à reprojeter la mystique sacralisation de nos terres du domaine affectif et historique vers le domaine plus technique, au point de considérer le plus sérieusement du monde, qu’un hectare de la Mitidja est plus productif qu’un hectare de Saxe ou du canton de Vaud, alors que c’est évidemment faux sans irrigation d’appoint.

De ce fait, toute approche étrangère sur un éventuel investissement dans ces terres, conjuguée avec le pouvoir discrétionnaire d’une administration qui, en général , a sa petite projection avant de lui chercher une assise juridique, est à classer de prime abord dans le cadre d’une vision qui cible les banques locales et les aides publiques avant les terres elles-mêmes.

Sinon, il faut, à mon avis, être complètement imbibé d’un quelconque psychotrope pour penser qu’un Normand va élever des vaches dans la toundra locale alors que sa Normandie natale est verte toute l’année. Ou que quelqu’un de normalement constitué en Europe va investir de l’argent dans une terre qui fait une moyenne de 15 quintaux l’hectare de céréales, en abandonnant une moyenne de 60 quintaux. Sinon, dans l’absolu, rien ne s’oppose moralement à ce que les étrangers aient en Algérie exactement ce que les Algériens ont chez eux en droits de propriétés sur tout ce qu’ils achètent au prix du marché au même titre que tout le monde ici.

 Pour cela, il faut sortir de cette mixture de mysticisme et d’aventurisme qui caractérise les textes pondus par une administration qui entretient le premier pour faire passer le deuxième ingrédient de cette soupe hallucinogène. En ce sens que si l’Etat veut privatiser sérieusement, il n’a qu’à aligner les prix des ses terres sur celles du marché, et à les vendre à la meilleure enchère, et libre à chacun de s’associer avec qui il vaut avec son argent et celui de son associé.

 Vous avez, il y a quelques mois, qualifié l’américain AIAG de l’agriculture saharienne de « passager clandestin dans le partenariat » dans une enquête très fouillée que vous avez faite. La mesure prise par le Gouvernement concernant « les concessions agricoles » porte-t-elle des risques de ce type

 Devant ce cas particulier, où personne à ce jour n’a apporté la preuve de l’implication financière effective de cet américain dans la moindre part de cet investissement, et que personne ne pourra jamais apporter un jour, sachant que 500 dollars de capital social ne permettent pas de lever des fonds à posteriori et renseignent aussi sur la réussite de leur détenteur en affaires.

Il a été répondu à l’époque que la partie américaine n’était pas détentrice du moindre droit sur la surface agricole, mais juste de parts dans les actifs réalisés sur ces terres et les résultats bien sûr, ainsi que les passifs divers. Et que la concession avait échu à la partie algérienne majoritaire dans ce projet, ce qui était vrai au demeurant. Ma réponse qui est toujours la même, était que l’acceptation de cette curieuse formule par la partie américaine était elle-même la preuve que le projet était fumeux dans sa finalité américaine. Mais, surtout, que la concession représentant l’essentiel des garanties offertes aux financiers du projet et à l’état, ne va  pas en être impliqué, facilitait d’autant la tache de désengagement de ce curieux investisseur. Cet investisseur qui était fournisseur, client, et gestionnaire du projet, sans strictement aucune garantie à présenter, en dehors de l’équipement qu’il a lui-même vendu à son association locale en cash et sans apports de sa part, moyennant des garanties consenties par l’état en amont et en aval à soi même.

Et je doute fort, que ce groupe américain, monté après la signature d’un protocole d’accord en 2015, où il n’existait tout simplement pas avant le mois de juin, soit intéressé par une implication dans la concession des terres,  qui ne correspond pratiquement pas à ses buts de départ qui sont le placement d’équipements et de bestiaux, ainsi que d’un savoir-faire approximatif moyennant des gains sur les produits placés auprès des fournisseurs américains invités à la fête.

Ceci dit, et vu le caractère aventureux de quelques têtes dans ce groupe, rien ne permet d’écarter la thèse qu’ils soient intéressés par cette mauvaise idée, ou même poussés à le faire par d’autres parties chez eux, histoire d’avoir une carte matérielle solide pour s’accrocher mieux. Mais comme tout est fait sous le régime de la concession, et que les financements sont faits sous le sceau de l’hypothèque légale, je ne vois pas ce qui pourrait logiquement les pousser à réclamer un tel droit improductif et porteur de risques pécuniaires  en cas d’excès des crédits sur les garanties.

Ce projet, ainsi que tous les autres pilotés par ce groupe, n’entre pas dans le schéma tracé par ce texte de loi, ni dans l’optique d’une implantation locale à demeure, mais dans un autre schéma plus prosaïque de vente d’un maximum d’équipements, censés compenser un savoir-faire, présenté comme inexistant localement, alors que c’est faux. Juste que le savoir-faire local ne fait pas bon ménage avec les administrations et les banques, qui elles préfèrent dominer les débats et piloter les intérêts, face à des parties moins outillées techniquement qu’elles, soient le niveau le plus primaire de la connaissance, dans tous les domaines investis. Et ce n’est pas un hasard si tous nos projets et plans débouchent sur l’exact contraire de ce qu’ils annoncent sans rougir au départ. Ce qui ramène toujours à la même source, qui est à l’origine de tous les déboires du pays, soit une administration qui a réussi la prouesse de s’introniser à la tête du pays, à l’insu de toutes les parties, y compris celle au dessus d’elle.  En s’offrant même une représentation politique unique en son genre dans les annales de l’histoire politique du monde. Et tant qu’il existe un seul texte, qui renvoie à la voie réglementaire, ou qui phagocytes d’autres textes par des textes non liés au secteur de compétences du texte de base, il n y aura rien de bon qui sortira des gymnastiques de l’état.

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