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Algérie

[Contribution] Algérie – Les sept raisons du dérapage du dinar sur le marché parallèle

Par Maghreb Émergent
février 12, 2016
[Contribution] Algérie – Les sept raisons du dérapage du dinar sur le marché parallèle

Le cours sur le marché parallèle se cote le 11/12 février 2016 entre 192/193 dinars un euro s’orientant vers 200 dinars un euro. Le problème du dérapage du dinar sur le marché parallèle ne s’est pas améliorée, au contraire s’est détérioré, contrairement à certains discours de responsables déconnectés des réalités tant locales que mondiales qui nous avaient promis une amélioration.

Ce dérapage, depuis une année pour ne pas parler de dévaluation accentue le coût des matières premières, des équipements et des biens de consommation importés accentuant l’inflation importée. Ce marché parallèle joue comme assouplisseur à un contrôle des changes trop rigide. C’est que 70% des besoins des ménages et des entreprises publiques et privées dont le taux d’intégration ne dépasse pas 10/15% provient de l’extérieur. La compression des importations décidé récemment affaiblira l’offre du fait que les activités productives sont très faibles en Algérie, le secteur industriel représentant moins de 5% du PIB et 83% de la superficie économique étant dominée par les petits commerce et services. Le taux de croissance à 80% est tiré directement et indirectement par la dépense publique via la rente des hydrocarbures en nette diminution. Ce qui risque d’accélérer le dérapage du dinar sur le marché parallèle. C’est que la valeur du dinar, est corrélée à 70% aux réserves de change provenant des hydrocarbures et non du travail, ce qui accentuera la méfiance et le processus inflationniste du fait qu’existe encore une importante thésaurisation accumulée par le passé, grâce pour partie aux subventions et pour une autre partie aux transferts de rente. Mais cette situation atténuant les tensions sociales n’est que provisoire car si le fonds de régulation des recettes s’épuise en 2017, n’existant plus d’amortisseurs sociaux, cela amplifiera les tensions inflationnistes. Par ailleurs, si les réserves de change tendaient vers zéro horizon 2018/2019, en cas de non relèvement de la production et productivité, et si le cours du pétrole se maintint à moins de 40/50 dollars, l’euro sur le marché officiel sera coté à 200 dinars et à plus de 300 dinars sur le marché parallèle. Quelles sont les raisons de la dévaluation du dinar?

Premièrement, l’écart s’explique par la faiblesse de la production et la productivité, l’injection de monnaie sans contreparties productives engendrant le niveau de l’inflation. Selon un rapport de l’OCDE, la productivité du travail de l’Algérie est l’une des plus faibles au niveau du bassin méditerranéen. Le tissu industriel que certains voudraient redynamiser, sans vision stratégique, selon l’ancienne vision mécanique, sans tenir compte des nouvelles mutations technologiques et managériales mondiales est une erreur stratégique que l’Algérie risque de payer très cher à moyen terme. L’industrie représentant moins de 5% du PIB et sur ces 5% 95% sont des PMI/PME non concurrentielles, des surcoûts dévalorisant indirectement la valeur du dinar. A cela s’ajoute la non proportionnalité entre la dépense publique et le faible impact, le taux de croissance moyen malgré une dépense fonctionnement et équipement évalué à plus de 800 milliards de dollars entre 2000/2015 n’ayant pas dépassé 3% alors qu il aurait dû dépasser les 1O%, est source d’inflation. 
Deuxièmement, l’écart s’explique par la diminution de l’offre du fait que la crise mondiale, combinée avec le décès de nombreux retraités algériens, a largement épongé l’épargne de l’émigration. Cette baisse de l’offre de devises a été contrebalancée par les fortunes acquises régulièrement ou irrégulièrement par la communauté algérienne localement et à l’étranger qui font transiter irrégulièrement ou régulièrement des devises en Algérie, montrant clairement que le marché parallèle de devises est bien plus important que l’épargne de l’émigration. Ces montants fonctionnant comme des vases communicants entre l’étranger et l’Algérie, renforcent l’offre. Il existe donc un lien dialectique entre ces sorties de devises dues à des surfacturations et l’offre, sinon cette dernière serait fortement réduite et le cours sur le marché parallèle de devises serait plus élevé, jouant donc, comme amortisseur à la chute du dinar sur le marché parallèle.
Troisièmement, la demande provient de simples citoyens qui voyagent : touristes, ceux qui se soignent à l’étranger et les hadjis) du fait de la faiblesse de l’allocation devises dérisoire. Mais ce sont les agences de voyages qui à défaut de bénéficier du droit au change recourent elles aussi aux devises du marché noir étant importateurs de services. Majoritairement elles exportent des devises au lieu d’en importer comme le voudrait la logique touristique comme en Turquie, au Maroc ou en Tunisie.
Quatrièmement, la forte demande provient de la sphère informelle qui contrôle 40/50% de la masse monétaire en circulation (avec une concentration au profit d’une minorité rentière) et 65% des segments des différents marchés; fruits/légumes, de la viande rouge /blanche- marché du poisson, et à travers l’importation utilisant des petits revendeurs le marché textile/cuir. Il existe une intermédiation financière informelle loin des circuits étatiques, expliquant le résultat mitigé pour ne pas dire échec de la mesure de l’actuel ministre des finances d’intégrer ce capital argent au sein de la sphère réelle. 
Cinquièmement, l’écart s’explique par le passage du Remdoc au Credoc, instauré en 2009, a pénalisé les petites et moyennes entreprises et n’a pas permis de juguler comme cela était prévu la hausse des importations qui ont doublé depuis 2009 ,tout en renforçant les tendances des monopoleurs importateurs. Nombreux sont les PME/PMI pour éviter les ruptures d’approvisionnement ont dû recourir au marché parallèle de devises. Le gouvernement a certes relevé à 4 millions de dinars, au cours officiel, la possibilité du recours au paiement libre pour les importations urgentes, mais cela reste insuffisant. 
Sixièmement, beaucoup d’algériens et d’ étrangers utilisent le marché parallèle pour le transfert de devises, puisque chaque algérien a droit à 7200 euros par voyage transféré, utilisant leurs employés algériens pour augmenter le montant, assistant certainement, du fait de la méfiance, à une importante fuite de capitaux de eux qui possèdent de grosses fortunes. 
Septièmement, pour se prémunir contre l’inflation, et donc la détérioration du dinar algérien, l’Algérien ne place pas seulement ses actifs dans le foncier, l’immobilier ou l’or, mais une partie de l’épargne est placée dans les devises. En effet, beaucoup de ménages se mettent dans la perspective d’une chute des revenus pétroliers, et vu les fluctuations erratiques des cours d’or, achètent les devises sur le marché informel.(1)

La baisse du dinar de 5 dinars un dollars en 1974 à 107 dinars en février 2016 un dollar contredit les lois élémentaires de l’économie où toute dévaluation en principe devrait dynamiser les exportations. En Algérie le dérapage du dinar a produit l’effet contraire montrant que le blocage est d’ordre systémique et que les mesures monétaires sans les synchroniser à la sphère réelle seront sans effets, d’où l’importance d’un grand ministère de l’économie couplé avec un grand ministère de l’éducation et de la recherche, pour éviter des dysfonctionnements. Les dernières mesures bureaucratiques sans vision stratégique, l’illusion tant monétaire que mécanique, les restrictions quantitatives avec une offre en berne, leurs manques de cohérences ont les effets inverses, le dérapage accéléré du dinar pour des raisons essentiellement fiscales ont accru la méfiance vis à vis de la monnaie nationale, les lois économiques étant insensibles aux slogans politiques. 
Sur le plan strictement économique, la monnaie constitue avant tout un rapport social fonction du niveau de développement économique et social, traduisant la confiance ou pas entre l’Etat et le citoyen. Les distorsions entre le marché officiel et le marché informel traduit la faiblesse d’un tissu productif local qui ne repose pas sur l’ économie de la connaissance. Combien d’entreprises algériennes privées et publiques font de la recherche développement R-D). Je conseille au gouvernement de concilier équité et flexibilité du marché du travail et à mes amis du patronat non de distribuer de l’argent pour certains jeunes mais de favoriser la formation tenant compte des nouvelles mutations technologiques mondiales. Car le redressement du dinar passe par des entreprises performantes innovantes (coûts –qualité) privées locales/internationales, entreprises publiques sans distinction en levant toutes les entraves d’environnement aux libertés d’entreprendre en approfondissant la réforme globale: dont la réforme des institutions (bureaucratie étouffante), du système financier, du système socio-éducatif et du foncier, l’objectif stratégique, une économie de marché concurrentielle. Il faut pas se tromper de cibles pour paraphraser les militaires, les tactiques devant s’insérer au sein d’objectifs stratégiques. Les lois ne sont qu’un moyen que contredisent souvent les pratiques devant s’attaquer au fonctionnement de la société. L’Algérie sera ce que les Algériens voudront qu’elle soit. La nouvelle vision stratégique pour éviter le retour au FMI sera de privilégier, l’économie de la connaissance, le développement des LIBERTES fondé sur une nouvelle gouvernance.

*Professeur des Universités, Expert International en management stratégique

[email protected]
(1) Voir étude du professeur Abderrahmane Mebtoul « Essence de la sphère informelle au Maghreb et comment l’intégrer à la sphère réelle » Institut Français des Relations Internationales – IFRI- (Paris- Bruxelles décembre 2013–60 pages

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