La déclaration du ministre de l’Industrie et des Mines, Abdesselam Bouchouareb, selon lequel même avec un baril de 10 dollars l’Algérie pouvait se sortir de la crise induite par la baisse des cours du pétrole, a suscité une réaction du professeur Abderrahmane Mebtoul. Selon lui, les discours irréalistes, comme celui tenu par Bouchouareb, ne portent plus mais discréditent ceux qui les colportent.
Alors que les dernières orientations du président de la république sont claires, et que le discours de vérité du premier ministre , lors de la réunion Walis-gouvernement, a été salué même par les plus sceptiques, redonnait, voilà que le ministre de l’industrie, dans une déclaration reprise par la presse nationale en date du 31 aout 2015, versant dans le populisme et la démagogie affirme sans retenue et sans analyse préalable, contredisant le président de la république et le premier ministre , que même avec un baril de 10 dollars l’Algérie pouvait s’en sortir. Le ministre confond prix courants et prix constants car avec un baril à 10 dollars prix courant 2015, c’est-à-dire un prix constant en parité de pouvoir d’achat des années 1980 équivalant à 2/3 dollars, tous les puits algériens fermeront, car non rentables.
Les discours irréalistes ne portent plus
1.-Contrairement aux discours du ministre, le peuple algérien, n’étant pas économiste mais confronté à la dure réalité quotidienne, est conscient de la gravité de la situation et est prêt à se mobiliser, à se sacrifier pour les intérêts supérieurs du pays, ne voulant pas renouveler l’expérience des impacts négatifs de 1986. Les discours irréalistes ne portent plus mais discréditent ceux qui les colportent. Le ministre vit-il en Algérie et connait-il réellement la situation réelle du pays et les futures tendances énergétiques mondiales ?
L’Algérie , à la différence de 1986, avec moins de 4 milliards de dollars de dette extérieure et des réserves de change qui clôtureront certainement entre 135/140 milliards de dollars fin 2015, peut surmonter la baisse du cours du pétrole ( le prix de cession du gaz étant indexé sur celui du pétrole) qui sera de longue durée au vu des nouvelles mutations énergétiques mondiales pour peu que l‘on ait une gouvernance centrale et locale rénovée et une nouvelle vision du développement économique et social. Le cas contraire, le fonds de régulation des recettes devant être inférieur à 30 milliards de dollars fin 2015, s’épuisera courant 2017. Et les réserves de change à horizon 2018/2019. L’on ne doit jamais oublier l’expérience de 1994, car, en cas de recours aux prêts internationaux et du retour au FMI (Fonds monétaire international), les conditionnalités seront posées au préalable avant tout prêt (voyez le cas de la Grèce !) avec une dévaluation importante du dinar, une paupérisation de la population et une perte de souveraineté de l’Algérie.
L’industrie représente moins de 5% du produit intérieur brut (PIB)
2.-Je rappelle au ministre de l’industrie et des mines que 97% des ressources sen devises , y compris les dérivées , sont le fait d’hydrocarbures à l’état brut et semi brut, que 70% des besoins des ménages et des entreprises dont le taux d’intégration ne dépasse pas 15% sont importés, que 83% de la superficie économique est dominée par le petit commerce/services et que la sphère informelle marchande dominante contrôle plus de 40% de la masse monétaire en circulation tissant des liens dialectiques avec la logique rentière.
Le secteur dont le Ministre a la charge, l’industrie, représente moins de 5% du produit intérieur brut (PIB) et que sur ces 5% plus de 95% sont des PME/PMI d’organisations soit personnelles ou Sarl peu concurrentielles en termes de coût/qualité. Il ne faut pas se faire d’illusion, ce n’est pas une question d’organisation dont le changement a un coût, ni un nouveau code d’investissement, ce perpétuel changement de cadres juridiques, qui peuvent résoudre les problèmes fondamentaux du pays. L’Algérie a connu une multitude d’organisations et de codes d’investissement de 1963 à 2014 avec le même résultat. Sans une vision stratégique, loin de la mentalité bureaucratique, cadrant avec les nouvelles mutations technologiques, managériales et géostratégiques mondiales, il ne faut pas s’attendre à des impacts positifs.
Comment faire face à l’importance de la dépense publique avec 10 dollars le baril ?
3.-Je rappelle au Ministre de l’Industrie, que selon la banque mondiale, le FMI et l’OPEP, entre le budget de fonctionnement et d’équipement l’Algérie fonctionne entre 2013/2014 sur la base d’un cours de 115/120 dollars le baril. Comment pourrait-on faire face à l’importance de la dépense publique puisque pour le gouvernement, il n’est nullement question de toucher aux subventions et aux salaires, avec 10 dollars le baril ? Or, les recettes de Sonatrach selon la LFC 2015 à un cours de 60 dollars seraient de 34 milliards de dollars donnant un profit net déduit des charges de 26 milliards de dollars, à 40 dollars nous aurons 25 milliards de dollars de recettes et un profit net de Sonatrach de 15/16 milliards de dollars et un cours de 10 dollars couvrant à peine les frais de production l’Algérie connaissant selon nos informations des coûts croissants dans les vieux gisements et pour les nouveaux gisements l’investissement n’ayant pas encore été amorti. Ayant passé plus de 30 ans de ma vie dans le secteur énergie, n’étant pas un théoricien, connaissant parfaitement de l’intérieur Sonatrach, je vous l’affirme, Mr le Ministre, à 10 dollars le baril, il sera impossible d’exporter avec profit, surtout le gaz, à moins d’un bradage du patrimoine national.
Des idées générales déconnectées tant des réalités locales
4.–Je recommande à Mr le ministre de l’industrie et des mines d’écouter mon interview donnée à Radio France Internationale le 20 décembre 2014 «ce que l’Algérie doit faire pour éviter la crise» qui faisait suite au débat pendant une heure à RFI -Paris – le 24 octobre 2014 que j’ai eu avec mon ami le professeur Antoine Halff ancien économiste en chef au secrétariat d’Etat à l’Energie US et actuellement directeur général de la prospective à l’AIE pour se faire une idée sur les nouvelles mutations économiques et énergétiques mondiales et agir en conséquence en concertation avec ses collègues, l’ère de la matérialité ( vision mécanique du développement) étant dépassée. Dans ce cadre, suite à la réunion avec les Walis, le premier ministre Abdelmalek Sellal, a annoncé une rencontre experts-gouvernement le 15 septembre 2015 à Djenane El Mithak Alger – qu’il présidera dans le cadre du conseil économique et social (CNES). Privilégiant les intérêts supérieurs de l’Algérie, avant tout, ayant été officiellement invité, j’ai donné mon accord de principe, avec certaines réserves, et sauf contraintes, pour y participer, en espérant que cette rencontre ne sera pas une nouvelle réunionite avec les mêmes experts, qui ont proposé de fausses solutions et induit en erreur l’opinion nationale avec des idées générales peu opérationnelles, déconnectées tant des réalités locales qu’internationales.
En résumé, ce genre de discours démobilisateurs, de surcroît irresponsables, nous rappelle ceux des dirigeants en 1986 avec les conséquences dramatiques que l’on connait. D’une manière générale chaque ministre en cette situation difficile doit réfléchir avant de faire des déclarations qui nuisent aux intérêts supérieurs du pays, d’où l’urgence d’une cohérence gouvernementale sans faille et d’un porte-parole officiel du gouvernement.