A la fin du mois d’avril, le gouvernement décrétait la propagation du virus sous contrôle. Ce n’est plus le cas en juillet. Explication.
La crise sanitaire qui devait désenfler au début de l’été s’aggrave de jour en jour. Et même si la mortalité officielle liée au virus demeure contenue, la barre des 1000 morts est dépassée et les services de réanimation se disent saturés dans de nombreuses wilayas du pays. Plusieurs praticiens de la santé situent le point de relance de la chaîne de transmission du virus à la fin du mois de mai, c’est à dire au début du démantèlement des mesures de confinement. Aucune publication d’enquête épidémiologique n’est cependant venue corroborer cette hypothèse intuitive. Les mois de mai et juin ont vu le raccourcissement du temps de confinement (couvre feu), le retour des transports publics, la réouverture de nombreux commerces, et la suppression de la demi-vacation dans les administrations publiques. Cette période correspond également à un relâchement des mesures barrières au sein de la population qui avait déjà du mal à les respecter au plus fort de l’alerte. Avec plus de 500 cas quotidiennement diagnostiqués selon le test PCR, les contaminations quotidiennes non comptabilisés se comptent en multiple de trois à huit (étude américaine sur le Cluster de Seattle de mars 2019). En Algérie, l’épidémie du coronavirus n’est donc plus sous contrôle en cette mi-juillet 2020. Etait ce une fatalité ? On peut légitimement le penser lorsqu’on observe les rebonds des contaminations dans de très nombreux pays, mieux équipés et mieux organisés que l’Algérie. La courbe algérienne des nouvelles contaminations ressemble cependant de plus en plus à un scénario de première vague non maîtrisée (Italie), qu’à celui d’une seconde vague prévisible et donc gérable. En un mot, ce n’est pas là un scénario inévitable. Beaucoup s’en faut. La responsabilité du gouvernement Tebboune-Djerad est engagée dans cette dégradation de la situation. C’est d’ailleurs ce qui le rend encore plus nerveux, avec des mesures illisibles (interdiction de la circulation entre les wilayas), une dérive autoritaire contre les citoyens qui lancent les alertes sur la situation dans les hôpitaux, et des attaques d’une autre époque contre les professionnels de l’information (affaire Liberté). Ce qui pouvait paraître donc comme un relatif succès encore à la mi-mai après prés de deux mois de mesures de confinement partiel (couvre feu) se transforme deux mois plus tard en un échec de plus en plus alarmant pour la vie des citoyens, leur santé et l’économie du pays. Quatre grandes raisons peuvent expliquer pourquoi ce retournement était évitable. Et pourquoi il correspond à quatre lourdes erreurs de l’exécutif dans sa lutte contre la propagation du virus.
1– Le gouvernement n’a pas utilisé sa période de semi-confinement pour préparer le déconfinement. L’Algérie est entrain de lourdement manquer son déconfinement. C’est à dire l’essentiel dan une crise de longue durée. Le modèle de réponse d’urgence face à la crise était disponible face à l’Algérie en Europe du sud (mesures barrières, confinement, restriction lieux publics), mais il a été très imparfaitement copié en Algérie. En lissant la courbe des nouvelles contaminations par leur ralentissement, le confinement est une mesure d’urgence qui fait reposer sur la population la quasi totalité de la contrainte afin de donner le temps aux autorités d’organiser le retour à la cohabitation de la vie sociale et du virus avec le moins de préjudice possible. Cela implique trois mises en chantier : une régulation forte de la vie dans l’espace public soutenu par l’adhésion des citoyens; un approvisionnement hors normes en masques, et autres moyens de protection et en tests de dépistage, enfin un design des structures hospitalière adapté pour isoler et prendre en charge les nouveaux cas. Le confinement doit permettre aux pouvoirs publics de devenir beaucoup plus efficace pour distancer, tester, isoler dans des pays qui reviennent à une grande partie de leurs activités d’avant le déclenchement de la pandémie. Le gouvernement algérien n’a rien fait de cela. Il n’a pas utilisé le répit qu’il s’est donné avec les mesures appropriées du mois de mars qui ont permis de mettre la propagation du virus sous cloche. Il n’a pas fait progresser la séparation en milieu grégaire (masques et distanciation), il est passé complètement à coté de la nécessité de tester à large échelle (pour 300 nouveaux cas à Pékin début juin, il y a eu 6 millions de tests). Et il n’a pas prévu les structures destinées à isoler à prendre en charge les cas déclarés en amont de l’hospitalisation et surtout du recours aux services de réanimation. De même qu’il n’a pas profité du lissage de la courbe des contaminations en mars-avril pour s’équiper en respirateurs et rendre efficace la réponse clinique à un pic de l’épidémie qui n’a été que repousser sur le calendrier. En clair, le gouvernement s’est conduit comme si le confinement seul allait éradiquer l’épidémie. Il a gravement omis de travailler sur la séquence suivante. Quelqu’un a t’il convaincu le couple Tebboune-Djerad que la crise allait se terminer au début de l’été ?
2– Le gouvernement n’a pas lancé les mesures économiques et sociales de soutien qui aident à accepter la discipline collective. L’exécutif algérien ne s’est pas projeté pour une crise de longue durée. Il a pensé pouvoir faire l’économie d’un plan de soutien sérieux aux entreprises, aux activités commerciales, et aux ménages. En gros il a calculé chiche partout : pour les masques, pour les tests PCR, pour les respirateurs, mais tout autant pour l’économie. Faute de mesures fortes pour préserver un revenu minimal d’urgence aux Algériens, la pression populaire pour le retour à l’activité normale a débordé le dispositif et l’a rendu quasi caduc. Les commerces ouverts, la circulation automobile, les attroupements nombreux, au delà du couvre feu, sont allés crescendo dans le pays en l’absence de mesures d’aide pour accompagner le renoncement à l’activité, comme cela a été le cas pour le salariat public. Le gouvernement a ignoré le calcul économique d’un revenu universel d’urgence sur un trimestre, reconductible en fonction de la crise sanitaire. Il aurait sans doute aidé à mieux faire accepter des mesures plus strictes de sanction des infractions aux consignes de distanciation. Les pays qui ont le mieux fait respecté les mesures de confinement dans la durée sont ceux à tradition redistributive. Les Etats Unis contre modèle social de ce point de vue a eu toutes les peines à confiner des populations qui n’avaient aucun salut à attendre de l’Etat providence. L’Algérie a une tradition redistributive qu’elle n’a pas « sublimé » pour contenir « l’incivisme » de survie des populations les plus atteintes par la perte de revenus. « L’Etat vous remet le minimum de revenu pour que vous respectiez les mesures anti-covid » est une démarche tout à fait possible dans un pays qui continue de subventionner directement ou indirectement des produits et des services pour prés de 18% de son PIB. Le gouvernement a agit par à coups et à contre temps sur ce front de la consolidation sociale, clé de succès pour tout le plan de restriction anti-covid. Dernière illustration les 30 milliards de dinars dégagés, sous la pression morale, ce jeudi 16 juillet par le premier ministère pour le rapatriement et la mise en quatorzaine, des algériens bloqués dans le monde. Le préjudice est fait. Ils sont une dizaine de milliers à s’être senti abandonnés et à vouer une défiance sans limite à l’exécutif de leur pays. Ici comme pour les mesures d’aide économique et sociale, le calcul intuitif du gouvernement n’a pas intégré le scénario, pourtant très plausible, d’une crise sanitaire de longue durée. Le gouvernement a fait de mauvaises économies partout. Il a compté sur la reprise des vols réguliers commerciaux pour que les algériens en détresse dans le monde rentrent par eux même, exactement comme il a compté sur un essoufflement du virus pour que les Algériens de l’intérieur se bricolent à nouveau une activité sans que le trésor public ne soit amené à les aider. Un gouvernement isolé politiquement, contaminé par le primat sécuritaire et sous-approvisionné en intelligence de réseau aurait il pu réfléchir autrement ?
3– Le gouvernement a suspecté le renfort du privé et de la société civile. Là également, c’est le poids de la culture du monopole politique qui a sévit. La bataille contre le Covid était –pensait il intuitivement- l’occasion pour l’Etat de se reconstruire une aura protectrice du peuple. Conséquence, le gouvernement a voulu garder le maximum de contrôle sur le front de lutte sanitaire. Avec l’idée d’en tirer seul les dividendes dans le cas, alors seul envisagé, d’une victoire rapide et à moindre coût, sur le virus. A la place d’un plan de mobilisation de tous les moyens de production nationale nécessaire à la bataille du Covid, la communication officielle a clairement penché vers les entreprises publiques en mesure de fournir des masques en tissu ou Saidal pour les produits désinfectants. L’Etat centralisateur a implicitement évincé les autres acteurs de son dispositif pour produire, masques, respirateurs, tests sérologiques à défaut de PCR, équipements de protection pour le personnel de santé, cabines de désinfection, produits désinfectants ect… Le gouvernement en revient aujourd’hui. Les cabinets d’analyse sont enfin autorisés à tester les cas suspects et pas seulement l’institut Pasteur, incarnation bureaucratique de la paralysie des moyens de l’Algérie et du mode de pensée monopolistique de son pouvoir politique. Le potentiel du secteur privé n’a heureusement pas totalement été écarté par cette volonté étatique d’agir seul « en souverain ». L’industrie pharmaceutique privée a tenté de s’adapter au contexte, les industriels également en travaillant notamment sur l’offre de respirateurs d’urgence, ou et sur les lits hospitaliers. Le gouvernement s’est conduit comme s’il pouvait se passer de cet apport. Il a agit de la même manière vis à vis de la société civile et de son engagement solidaire dès le début de la crise. Motif aggravant, le mouvement d’aide au personnel soignant, aux familles en difficulté dans le contexte du confinement, recoupait celui du Hirak. Les activistes locaux du Hirak sont souvent devenus des acteurs du réseau de l’aide social. Rien n’allait être fait pour leur faciliter la tâche. Indicateur de cette défiance, l’obligation de passer par la Pharmacie centrale des hôpitaux (PCH) pour les dons au secteur de la santé, là ou le circuit local a tout son sens. La démarche sécuritaire centralisatrice du gouvernement dans une crise sous-évaluée n’a pas seulement laissé en jachère un potentiel dans le privé et dans la société. L’appareil administratif de l’Etat également a été paralysé par l’hyper-centralisme. La aussi, le retour d’expérience a fini par apporter des corrections. Les walis prennent des arrêtés liés à la situation locale et les présidents d’APC interviennent plus spontanément qu’au début dans la régulation des activités sur leur territoire. L’Etat se réveille, sonné par l’accélération de la crise, pour se rendre compte que les temps de réponse en mode décentralisé sont une nécessité vitale. Le tort est bien sur fait. Secteur privé et société civile maintenus à distance, élus locaux et démembrements de l’Etat restés sous cloche : la lutte contre le Covid s’est trop longtemps privée de ses meilleurs atouts pour espérer éviter le scénario actuel d’une perte de contrôle de la situation. La culture politique du monopole étatique était clairement incompatible avec l’urgence médicale de la pandémie Coronavirus.
4– Le gouvernement a pensé pouvoir sceller le sort du Hirak pendant la crise sanitaire. Ce n’est pas la plus grave des fautes à priori. Chronologiquement c’est la première. Les arrestations des acteurs du Hirak et des figures nationales parmi lesquelles des journalistes en exercice de leur métier (Khaled Drareni) a brisé d’entrée le contrat moral autour de la lutte contre le Coronavirus. Ce n’est pas sans conséquence. Une partie, heureusement minoritaire, a fini par penser que la menace du Covid-19 était volontairement exagérée voir entretenue dans le temps pour des raisons politiques. Empêcher le retour du Hirak aux marches populaires. Cette minorité a déteint sur l’ambiance générale de défiance vis à vis de tout ce qui venait de chez les autorités. Avec l’accélération de la répression politique, le message envoyé aux algériens était que le plus urgent n’était pas de stopper le virus mais d’endiguer le rejet populaire du vote du 12 décembre 2019 et de la reconduction du système politique dominé par l’ANP. Les attroupements populaires devant les sièges de tribunaux se sont multipliés dans le pays en défense des détenus d’opinion, rendant encore plus illégitime le discours officiel sur la nécessité de respecter les règles de distanciation. Le gouvernement n’est pas arrivé à se sortir de cette rupture de contrat. Le cercle vicieux sécuritaire s’est refermé sur lui. Aujourd’hui se sont des citoyens révélant le chaos de la prise en charge des malades qui deviennent la nouvelle cible de la crispation autoritaire. Faute d’avoir gagner la bataille contre le virus, le gouvernement veut effacer la trace de son échec. Une folie anachronique qui accentue la fracture interne dans le pays.
En conclusion, sans adhésion citoyenne forte, le modèle de cohabitation de longue durée entre l’activité économique et sociale humaine et la présence du virus testé par les pays avancés ne sera pas reproductible en Algérie. Le gouvernement n’a pas préparé cette cohabitation. Il a affaibli la confiance des ménages en ne prévoyant pas des dépenses conséquentes pour les soutenir et soutenir les entreprises. Il a monopolisé la réponse au virus et évincé des moyens conséquents dans le secteur privé et la société civile. Il a envoyé un mauvais message aux Algériens en faisant tourner la machine judiciaire à plein régime pendant la crise sanitaire au seul but de réduire un mouvement populaire à l’amplitude tout aussi forte, sur le pays et dans le temps, que ne le sera la pandémie. Peut-il encore se rattraper de ces 04 fautes ? Il faudrait pour cela qu’il réfléchisse tout autrement. Qu’il considère la pandémie comme l’ennemi à vaincre et le Hirak et l’énergie citoyenne qu’il porte en lui comme la solution pour sauver le pays. Il ne faut donc pas rêver.
Ihsane El Kadi