Le nouveau règlement est censé atténuer le choc des fluctuations du dinar sur les opérateurs du commerce extérieur dans les deux sens : importation et exportation. Or, il n’en est rien, selon l’expert Ali Benouari.
Le règlement relatif au marché interbancaire des changes et aux instruments de couverture du risque de change adopté il y a quelques jours par le Conseil de la monnaie et du crédit de la Banque d’Algérie est censé, comme tout règlement de la Banque d’Algérie servir à assurer les équilibres macro-économiques et financiers du pays. Il est dit, en particulier, que ce règlement « permettra aux opérateurs économiques et investisseurs d’avoir une « meilleure lisibilité et visibilité » quant à la maîtrise des coûts et risques liés aux transactions internationales durant toutes les étapes de leur réalisation ». Il n’en est rien. Ce règlement souffre, selon Ali Benouari, ex-ministre du Trésor, fondateur et ancien président de la banque Societé Générale Algérie (1999-2004), de plusieurs incohérences.
Le problème réside, selon lui, dans une mauvaise compréhension de la nature même du marché à terme des devises. « Ce règlement, dit-il, fait la part belle aux gros importateurs, alors qu’il est censé atténuer le choc des fluctuations du dinar sur les opérateurs du commerce extérieur dans les deux sens : importation et exportation ». Dans les conditions où il est conçu, ce règlement ne peut être que contre-productif. En effet, « le marché des devises est caractérisé par le fait qu’il n’y a qu’un offreur de devises, qui est l’Etat, ce qui en dénature le sens puisque le marché de la couverture à terme du risque de change est basé sur la mutualisation des risques entre acheteurs et vendeurs de devises au comptant et à terme ». Or, explique-t-il, « le règlement qui vient d’être adopté vise à transférer sur l’Etat et lui seul le risque lié de surcroît aux seules importations ». Ainsi, « ce règlement neutralise un des effets des dévaluations à venir, qui visent précisément à corriger, par une diminution et une rationalisation des importations, le déséquilibre croissant de la balance des paiements, dont il rappelle que les origines restent profondément structurelles ». Dans de telles conditions, Ali Benouari estime que le règlement va déboucher sur un échec, sur le double plan économique et social.
Benouari précise par ailleurs qu’«on ne peut pas mettre en place un marché à terme des devises si on n’a pas préalablement mis en place un marché monétaire des devises », car, assure-t-il, c’est grâce à ce dernier qu’une banque commerciale ordinaire (qui assume normalement la contrepartie du risque de change à la place des exportateurs et des importateurs) peut dénouer son propre risque ». « Il n’y a pas de philanthropie dans ce domaine, ni d’argent public à gaspiller », ajoute-t-il, en précisant que « la différence entre les taux au comptant et à terme n’est que la différence entre les taux d’intérêt du dinar et ceux de la devise » et que, « tel que conçu, le règlement en question, outre qu’il n’apporte aucune valeur ajoutée à l’économie nationale, risque au contraire de coûter beaucoup d’argent au trésor public ».
Soldes insuffisants
S’agissant de l’article contenu dans ce règlement qui dit que la Banque d’Algérie compte sur les soldes des comptes devises de la clientèle résidante pour asseoir la couverture à terme, Benouari estime que ce solde ne dépasse pas, dans le meilleur des cas, 15 milliards de dollars, soit un montant insuffisant pour permettre d’asseoir l’objectif recherché. « Il faudrait que la source qui approvisionne ces comptes soit renouvelable. Ce qui n’est pas le cas, pour plusieurs raisons. D’abord la défiance des déposants par ces temps de grande incertitude politique et économique. Ensuite il y a les restrictions apportées au fil du temps quant à leur libre utilisation. Ils ne sont pas librement transférables et ne peuvent même pas être utilisés pour effectuer des opérations d’importation ordinaires. Enfin leur rémunération dépend du libre arbitre de la BA », analyse-t-il non sans préciser que « l’existence de ces avoirs est une anomalie algérienne car les banques n’en demandent souvent pas l’origine, contrairement à la volonté affichée par les autorités de lutter contre le blanchiment d’argent ».
Autrement dit, et « faute de jouer le rôle qui est traditionnellement dévolu au marché à terme de la devise, il est hautement probable, selon Ali Benouari, que le véritable but recherché par le nouveau règlement de la Banque d’Algérie est de protéger les seuls importateurs contre des dévaluations à venir très prochainement ».