Difficile d’acheter ou de vendre des actions en Algérie. La bourse existe, mais il n’y a pas de véritable marché secondaire. Maghreb Emergent a suivi les traces d’un acheteur qui découvre, avec étonnement, que les banques sont pas toutes forcément au courant qu’elles sont les seuls intermédiaires en Bourse autorisés. Récit.
Près de deux décennies après la création de la Bourse d’Alger, le marché boursier algérien reste réservé à une toute petite minorité d’initiés. Malgré les efforts de quelques rares médias, il intéresse peu les Algériens. Les plus nombreux n’y ont pas accès et n’en connaissent pas les règles ; d’autres ne lui font pas confiance ou le trouvent trop lourd et pas assez attrayant.
Acheter des actions pour un particulier qui souhaite placer de modestes économies relève du parcours du combattant. En dehors des banques, l’intermédiation est inexistante. Il faut donc s’informer auprès des entreprises cotées ou auprès de spécialistes pour connaître les meilleures opportunités.
Premier contact avec une entreprise cotée en bourse. Un cadre de la compagnie indique qu’il faut s’adresser à une banque, « n’importe laquelle », qui s’occupera de l’opération d’achat. En théorie, la banque reçoit la demande, émet un ordre d’achat, qu’elle transmet à sa hiérarchie. Une réponse est donnée, selon l’offre disponible, dans un délai « très rapide », assure-t-on.
Etonnement
A la banque, un établissement public, c’est l’étonnement. « Il faut s’adresser à la Bourse ». Dans une agence bancaire de la périphérie d’Alger, on n’est pas au courant de l’existence du marché secondaire. Les employés se concertent entre eux, demandent du temps pour s’informer et promettent une réponse dans quarante-huit heures.
Un préposé au guichet se rappelle toutefois qu’il a eu à traiter une affaire de vente d’actions. Il précise qu’il s’agissait d’une vente, pas d’un achat. « La direction générale nous a envoyé un imprimé. On l’a fait remplir par le client et on l’a renvoyé », se rappelle-t-il, sans plus: la transaction s’est déroulée pendant qu’il était en congé.
Retour à la même banque, deux jours plus tard. Des actions Biopharm sont en vente. L’entreprise a mis 20% de ses actions sur le marché. Est-il possible d’en acheter? Le préposé au guichet en a entendu parler, mais il doit s’informer. Après de longues palabres au téléphone, il confirme. Un collègue, absent pour le moment, doit s’en occuper.
Le collègue en question arrive peu après. Il maîtrise le langage boursier, parle de marché secondaire qui peine à se développer et donne les détails nécessaires pour un achat d’actions. L’opération paraît simple. Quelques papiers si on a déjà un compte bancaire sur place, et le tour est joué.
Le chèque n’est pas accepté
Le client propose un montant. On fait le calcul. « Pas de problème », affirme le banquier, qui prépare les papiers. Le client propose un chèque d’une autre banque pour payer le montant souhaité. Gêné, le banquier répond : non. C’est le comble: une banque n’accepte pas un chèque.
Il faudra donc revenir le lendemain. L’acheteur retire de l’argent auprès d’une banque, le ramène dans un bon sachet noir, en liquide, le vire sur son compte auprès de la première banque, pour que la transaction aboutisse.
Mais le client souhaite acheter des actions d’une autre entreprise. Aucune information disponible à la banque. Il revient donc auprès du patron de la première entreprise, à qui il explique qu’il n’arrive pas à acheter des actions. Le patron donne le numéro de téléphone de son banquier: c’est une banque étrangère installée en Algérie. Le banquier se montre très disponible. Il invite l’acheteur à ouvrir un compte. A défaut, il propose d’appeler la banque de l’acheteur pour indiquer la procédure à suivre. Cela débouche sur une situation gênante, quand un banquier apprend à un autre banquier comment faire son métier.
Un marché figé
Cela résume tout le problème de la Bourse d’Alger. Le fonctionnement de l’institution est très faible. Les séances de cotations ne sont pas suffisamment connues. L’offre est limitée. Seules quatre entreprises sont cotées : l’Aurassi, Saïdal, Alliance Assurances et NCA Rouiba.
Comment les mettre en contact avec des acheteurs potentiels ? Comment mettre les acheteurs suffisamment en confiance pour les inciter à acheter ? Avec une économie qui fonctionne de travers, cela semble très difficile. A cela s’ajoutent les difficultés qu’éprouvent les acheteurs potentiels à trouver le produit, et les difficultés des vendeurs à trouver d’éventuels acheteurs.
Le marché secondaire est, pour le moment, animé par les seules banques. Très peu d’entre elles le font réellement. « Ce n’est pas leur métier », affirme un chef d’entreprise, qui plaide pour l’émergence d’agents agréés auprès de la bourse.
Bureaucratie
Cela reste très aléatoire. Le volume d’échange est trop bas pour susciter l’émergence d’un marché, avec une vraie compétition. Cela risque, cependant, de durer, tant que les autorités se contentent de gérer la Bourse comme une administration : sur les quatre entreprises cotées, deux sont publiques et une troisième est mixte.
Cela permet d’entretenir l’illusion de l’existence d’une bourse, pas plus. Pourtant, beaucoup de détenteurs d’argent seraient intéressés. A la condition d’avoir un vrai marché, avec de vrais leaders, capables de médiatiser l’activité de la bourse, d’offrir des perspectives et des produits attrayants.
Une dernière difficulté est évoquée par un économiste: l’absence d’un vrai marché peut laisser le détenteur d’actions sans issue s’il ne trouve pas d’acheteur. Il peut être amené à proposer ses actions et à attendre qu’un acheteur se présente. Les acheteurs institutionnels sont là pour sauver la mise, mais ce n’est pas forcément la bonne solution, car cela transforme la bourse en marché de convenance, non en un véritable marché.