Ceux qui n’ont pas compris les raisons et le sens de la polémique entre le ministre algériens des finances et le FMI à propos des indicateurs économiques du pays ne doivent pas se sentir coupables, explique l’expert financier Ferhat Aït Ali. Pour lui, aussi bien le FMI que le gouvernement cachent bien des choses derrière cette focalisation sur la croissance du PIB. Une analyse décapante à lire avec attention.
La récente polémique, à fleurets mouchetés entre notre ministre des Finances et le FMI, à propos des indicateurs habituels de la santé économique du pays, selon la vision de la nouvelle Finance internationale, est révélatrice de la légèreté avec laquelle notre devenir économique est appréhendé, depuis que nous avons décidé de nous intégrer en théorie à un système mondial dont nous récusons tout en pratique.
Ce Système Mondial, lui-même contesté et contestable dans sa finalité et ses mécanismes, a quand même réussi à nous dicter sa vision frelatée de la prospérité des Nations, reposant sur des indicateurs viciés et peu fiables, comme le PIB, la croissance et le cout de l’argent, devenu lui même une richesse finale, qui transcende et consomme les richesses et même les âmes au passage de tout le genre Humain.
Et nous avons Réussi, à notre échelle, à intégrer dans ses concepts de base, nos propres tares et spécificités locales, en essayant tant bien que mal, de faire paraitre nos indicateurs nationaux, comme étant conformes à ses compteurs, même si dans le détail ils reflètent des agrégats aux antipodes de ceux composant ceux des pays non rentiers ailleurs dans le monde.
Nous nous retrouvons ainsi avec un débat, kafkaïen, dans lequel une partie, veut convaincre que coller à deux ou trois indicateurs qu’elle sait non fiables, est présenté comme une condition sine qua non de bonne santé économique, obligeant ainsi des nations à s’autodétruire pour ne pas faire tache dans un tableau tracé par des financiers qui n’ont jamais rien produit d’autre que des désastres économiques et des conflits de prédation.
Et une deuxième partie, essaie de démontrer qu’elle colle à cette orthodoxie, même en manipulant ses chiffres et leurs interprétations sur le terrain, sans pouvoir ni convaincre de sa conformité au canevas élaboré ailleurs, ni élaborer une voie de sauvetage qui manifestement n’est pas de son ressort, étant elle même sortie d’une école qui apprend à tout faire sauf de l’économie.
Le FMI, a toujours fait attention à ne pas entrer dans le détail de nos comptes nationaux, non pas par respect de la souveraineté, mais pour ne pas étendre le débat justement sur la fiabilité de ses propres indicateurs et médications.
Et notre gouvernance économique, dont les errements et rattrapages bricolés, ne sont pas plus fiables ni moins dangereux que ceux de cette institution, font tout pour faire coller l’addition d’agrégats destructeurs d’économies, à une lecture positive de ces fameux indicateurs.
Tout ce beau monde, étant évidement suivi, par toute une nuée de comptables, qui ont réussi à convaincre le chaland, que croissance du PIB, rimait avec emploi, développement et même évolution multidimensionnelle du pays.
Même si de visu, on constate, qu’après deux décennies de croissance positive, le chemin suivi, est celui de la dépendance, du désinvestissement industriel et agricole, et surtout de la création de « Valeurs Ajoutées » spéculatives qui sans les Hydrocarbures, disparaitraient comme une image projetée à l’extinction du projecteur, faute de courant dans la prise.
Aux dernières nouvelles, le FMI, a révisé à la baisse, nos prévisions de croissance du PIB, en les faisant flirter avec l’électrocardiogramme d’un cas de mort clinique à 0,6 % pour 2018, et 1,2% pour 2017, en lieu et place des 2,8 % de nos prévisions locales.
Commençons par l’argumentaire de notre ministre des Finances.
Ainsi d’après lui, les dépenses publiques de 2016, estimées par son département à 2800 Milliards de dinars, en matière d’équipement, vont continuer à produire des effets en 2017, en assurant un plan de charges aux entreprises locales, qui vont créer de la richesse en 2017, avec ces mêmes dépenses.Il affirme même que les experts de la banque mondiale, ont été d’accord avec sa thèse en débat, alors qu’ils ont les mêmes prévisions que le FMI, sur ce point dans leur rapport.
Pour cette affirmation, il faudrait peut-être rappeler que les crédits de paiement sont élaborés et votés pour couvrir les dépenses de l’exercice courant, et ne sauraient se répercuter sur l’exercice suivant, que sous forme de restes à réaliser ou d’économie sur dettes envers les entreprises, ce qui est présentement notre cas.
De ce fait pour créer de la richesse, si on peut appeler des investissements improductifs ou des acquisitions sans objet, de la richesse créée, encore faudrait il être payé à temps, et selon les termes de contrats. Il se trouve que ce n’est pas le son de cloche qui revient de beaucoup d’entreprises locales, menacées de disparition pour atténuer le trou du trésor.
Pour le chiffre de 2800 Milliards de dinars, le trésor ne fait ressortir pour 2016 que 2500 Milliards, dont 1600 pour la commande publique effective, et le reste en divers relèves de dépenses en capital, avec une grosse partie pour maintenir à flot un système bancaire qui continue à calculer des produits financiers sur des créances douteuses dans les faits. Ces produits étant bien sur comptabilisés en « Valeurs Ajoutées » et participant à cette fameuse croissance de manière significative.
On ne peut donc comptabiliser deux fois de suite les mêmes dépenses, envers des entreprises dont le plan de charge exécuté a dépassé en 2016, les paiements effectifs de l’Etat, sur deux exercices de suite, à moins d’adopter un système qui consiste à comptabiliser la facture présentée en création de richesses pour 2016. Et son règlement effectif en création de richesses pour 2017, sans avoir soustrait la dette initiale du compte, et surtout en oubliant que ladite entreprise a entre temps entamé une descente aux enfers.
Pour les trois prochaines années, les 2300 Milliards de dinars prévisionnels, en budget d’équipement, dont il faudra toujours défalquer les 500 à 600 Milliards, de dépenses en capital, réservés au maintien à flot du système financier, ne pourront pas être soutenus, très longtemps. Dans la mesure où les déficits du trésor, sur lequel reposent ces dépenses, ne seront pas aussi faibles que le projette cette prospective, et ne trouveront pas acquéreur en dehors de la planche à billet, d’une manière ou d’une autre.
Le secteur du BTPH sur lequel reposent ces projections, ne représentait que 11,5% du PIB en 2015, avec des dépenses d’équipement de 3300 Milliards de dinars. Il est difficile de croire qu’il fera mieux en 2017, avec des dépenses directes de 1800 Milliards, alors que le même dinar qui sert de repère a été dévalué entre temps de 12%.
Le Ministre a évoqué le financement Bancaire, comme un moteur de croissance, en précisant au passage que les crédits à l’économie ont augmenté de 11%, en 2016. Il est évident qu’en additionnant toutes les créances bancaires, dans toutes les banques de la place, comme étant des crédits à l’économie, tirer ce genre de Ratios, est chose aisée pour n’importe quel comptable de société.
Le diable dans les détails
Mais le Diable se cachant dans les détails, en disséquant ces fameux crédits à l’économie, poste par poste, et en extrayant les consolidations ou les produits du passé non recouvrés deviennent les créances du futur non recouvrables, on y verrait un peu plus clair dans cette soupe.
Le gouvernement qui voit le total des crédits à l’économie passer du 31-12-2015, de 7900 Milliards de dinars, à 11500 Milliards de dinars, si en on croit le premier ministre, et à 8700 si on en croit le ministre des finances en vertu de son ratio de progression, ne se demande pas d’où sortent ces fameux fonds que les banques ne possèdent évidemment pas. Ni où passent les bonifications de taux d’intérêts payées par le trésor, en soutien à des entités inaptes à payer le principal et les produits.
Comme le gros de ces crédits a été consenti dans les faits en dollars d’une manière ou d’une autre, en dehors des produits qui eux sont comptabilisés comme au casino d’Enghien en France, il faudrait peut revoir la capacité de ces banques à acheter d’autres dollars en se basant sur leurs réserves en dinars et surtout sur ces créances qui ont perdu 40% de leur valeur en 3 ans.
En 2014, les 6000 Milliards de créances représentaient 82 Milliards de dollars, et en 2016 les 8800, ne représentent que 80 Milliards, en capacités de financements extérieures. Avec des garanties matérielles encore plus dépréciées du fait de l’amortissement.
En détaillant encore plus ces crédits, on peut trouver que les crédits à court terme, qui eux participent directement à la fonte des réserves de change, représentent 25% du montant global, et probablement plus si on soustrait les produits comptabilisés en créances consolidées.
On peut encore y découvrir, que le Public et le privé, se partagent à égalité les montants totaux, de crédits. Soit 4400 Milliards chacun, et ce malgré la distorsion en matière de participation au PIB, et ce à tous les postes, avec 66% pour le privé, et 34% pour le Public. Sans compter les assainissements périodiques du secteur public qui représentent tous additionnés l’intégralité des crédits restants au 31-12-2016, soit 80 Milliards de dollars, que le trésor à réglé et continue de régler pour la partie intérêts du moins.
Créances toxiques, sauvetages empiriques
La croissance, si croissance il y a, est à extrapoler non pas en fonction de la consistance globale de ce que nous appelons crédits, alors que ce sont de créances toxiques en partie et des sauvetages empiriques pour le reste, mais en fonction du détail de l’orientation de ces crédits et des résultats, annuels de chaque entité bénéficiaire de ces fameux crédits, et des causes et effets de la politique bancaire sur la stagnation chronique de notre économie réelle.
Les autres moteurs de la croissance, que le Ministre a omis cette fois dans sa justification, sont bien sur le moteur principal que sont les hydrocarbures, et tous les postes représentant le gros des agrégats, comme les services marchands et non marchands, et la fiscalité. Or les services marchands, sont peut être des moteurs par consommation interposée, mais jamais des créateurs de valeur ajoutée. Si en amont les produits et services consommés, sont importés en tout ou partie, cela s’appelle des marges brutes, et non des plus-values, même si elles participent au PIB, dont elles faussent totalement le cheminement.
Pour les services non marchand, dont l’administration, la catastrophe est plus accentuée encore, cette dernière, non contente d’être parmi les plus archaïques de la planète, et de fonctionner par elle même pour elle même, fournit le gros des revenus qui vont tout droit au port, et par ricochet aux réserves de change.
La croissance de ce poste précisément, n’est pas un bon indicateur de la bonne santé économique du pays, mais plus de sa mauvaise santé mentale. Et il est évident que le ministre qui a passé l’équivalent de toute ma vie dans un bureau, diverge intégralement avec cette vision, et c’est logique.
Pour le fameux PIB, Hydrocarbures et hors hydrocarbures, qu’on ne trouve que chez nous, calculer des Ratios, pour en déterminer l’influence sur le PIB général, est soit une erreur, soit un drible mal réussi. Un certain Ex-premier ministre, spécialiste en règles de trois primaire, a énoncé un jour, que le PIB, Hydrocarbures, en 2015, ne représentait que 20% du PIB, total, et que de ce fait, dire que l’économie du pays, était tributaire de la rente, est une erreur ou une tromperie.
La seule vérité énoncée dans cette affirmation est le Ratio, relatif aux recettes pétrolières exprimées en dinars dévalués, soit les 20%, pour le reste c’est un chef d’œuvre de sophisme et de faux semblants.
C’est comme si vous disiez que la valeur de votre réservoir, n’est que de 1% du prix de votre véhicule, alors que vous êtes chauffeur de Bus, pour essayer de faire avaler aux gens que vous pouvez travailler sans carburant. La vérité, est que ces fameux 20% sont à l’origine de tout le reste du PIB, d’une manière ou d’une autre, et quand sans cette rente, tout le reste s’arrête, y compris le dinar qui ne soit son existence actuelle qu’à une rente en dollars.
Un loto pétrolier pour échapper au naufrage annoncé
A cet égard, les réserves de change, qui ont été précédemment comptabilisées comme plus values dans le PIB des exercices o% elles sont rentrées en recettes, comme PIB hydrocarbures, continuent à ce jour, de maintenir à flot, un semblant d’économie par un cycle d’érosion dévaluations, sans lequel il n y aurait strictement aucune croissance même factice, et ou en lieu et place d’une récession on aurait droit à une dépression.
Imaginons, qu’en 2017 on n’ait pas de quoi couvrir les importations nécessaires à la création de toutes ces plus values et marges brutes surtout, dans les sphères improductives, de quoi aurait l’air notre PIB. Imaginons aussi, sans ces réserves, de quoi aurait l’air le Dinar et la société qui va et vit avec ?
La logique voudrait qu’en multipliant son carburant par 3 on aille trois fois plus loin, et qu’en multipliant ses recettes d’hydrocarbures par 5 on ait une croissance au moins égale à celle des fameuses hydrocarbures, si celle ci était soutenue par une production interne, et une capacité commerciale à l’international.
Résultat des courses, on s’est retrouvé avec une croissance chétive, l’argent ayant été injecté dans les deux postes les moins productifs de plus values productives à moyen terme, les services et le BTPH, en alimentant l’informel au passage d’au moins la moitié de toutes ces marges comptabilisées en PIB.
Nous sommes de ce fait condamnés, pour s’accrocher à cette chimère de la croissance et aux supposés bienfaits qu’elle induit, de continuer le même rythme de dépenses en devises, jusqu’à ne plus pouvoir le faire, ou à attendre par la même occasion une éventuelle boule gagnante du Loto pétrolier, pour nous sauver d’un naufrage annoncé.
On peut donc en conclure, que ni le FMI, ni la BM, ne se sont trompé sur leurs calculs et prévisions de ce qui nous sert de PIB, et que les justifications de notre ministre, ne tiennent pas la route, mathématiquement parlant.
Le FMI ne dit pas tout
Par contre, là ou le FMI, ne dit pas tout, c’est dans cette focalisation forcée qu’il impose aux pays qui ont le malheur de le suivre, sur ce fameux PIB, et sa croissance, en monnaie locale courante, qui ouvre la voie à tous les dérapages et à tous les errements, aussi bien de la part de ceux qui le suivent comme la Grèce et l’Algérie , que de ceux qui veulent le contredire par des politiques qui finissent en impasse comme le Venezuela.
Focaliser sur la croissance factice du PIB, Avec des valeurs ajoutées et des fiscalités, assises sur des capacités de paiement aléatoires ou tirées d’un endettement, est suicidaire. Vouloir sortir de ce cercle vicieux de la croissance à tout prix et par tout moyen, en lançant des restrictions tout azimut sur la dépense des ménages tout en les alimentant en numéraires sans valeur, comme cela est le cas du Venezuela et semble être le chemin de l’Algérie, est doublement suicidaire, dans la mesure ou il nous met en porte à faux avec des bailleurs de fonds, sans rien proposer de concret localement.
La solution médiane, étant d’avoir une politique qui sans avoir les yeux rivés sur les indicateurs d’altitude et de vitesse établis pour d’autre aéronefs que le notre, se projette dans un cap précis de renouveau économique, productif, ou les tares du dirigisme et du monétarisme, seraient balayées en même temps, au lieu d’être additionnées comme c’est la cas chez nous. Il s’agit tout bonnement de savoir, qui produit quoi, et avec quoi, et surtout moyennant quoi ?
Réussites spéculatives, victimes productives
Si l’investissement productif a coulé chez nous, ce n’est pas faute d’investissements en amont, mais faute de clientèle en aval, et de banques sachant faire la différence entre la vocation économique et la gloutonnerie financière.
Le gros des produits de banques est prélevé sur les investissements défaillants, sans lesquels elles auraient coulé depuis longtemps, et le gros de leurs rotations de flux, se fait avec les spéculations rapides et intenses, qui elles ne peuvent continuer qu’en coulant l’investissement, et en pompant les dollars existants.
Toute l’équation est là ; et tant qu’on traite de manière préférentielle, des réussites spéculatives voraces en devises, par rapport à des victimes productives, mises en incapacité de remplacer la sphère spéculative ; on peut avoir des illusions de croissance et même des plus-values en monnaie de singe un certain temps ; mais jamais une économie.
Une économie, c’est cette machine ou tous les pignons tournent dans le même sens à la même vitesse, et ou chacun apporte avec sa rotation une symbiose au mouvement général. Et dans cette machine, il est évident que les éléments moteurs sont la base de tout, les plus couteux et les plus précieux, les autres pignons, aillant leur rôle, mais aucun sens sans l’effet d’entrainement du moteur principal.
Et il se trouve que dans toute machine économique, le moteur principal, est l’industrie, l’agriculture, la pèche, le tourisme, et les technologies nouvelles. Au-delà du moteur visible, il existe d’autre priorités, que sont l’éducation, la formation et la santé, qui sont les garants de la pérennité de toute la machine, et en même temps sa finalité.
Et il est faux, de croire ou de faire croire, que ces principaux composants d’une véritable croissance future sont tributaire d’un indicateur actuel de croissance factice, dans laquelle ils sont les principaux sacrifiés, en qualité et en puissance. Ce genre de croissance, tiré par l’inflation, et les dépenses sans objet, durera le temps que durera le matelas en devises, de plus en plus plat, et surtout le temps que la limite de rupture sociale, soit atteinte par les différentes dévaluations et autres artifices de comptables, avant que tout l’édifice construit au défi des règles architecturale universelles ne nous tombe sur la tête, avec ou sans les médications du FMI.
Un pays en attente d’un plan précis pour se remettre au travail
Le pays est en attente d’un plan précis, avec des données fiables, pour se remettre au travail, sans avoir peu d’être otage d’une combine qui le dépasse, et non d’une lecture biaisée, d’indicateur eux même au départ peu fiables de la finance internationale.
Il est évident que chez les financiers qui ont réussi à créer une dette mondiale, supérieure de trois fois à l’ensemble de la richesse mondiale, le devenir du monde et la fin de cette course infernale est le dernier des soucis devant les Bonus et autres techniques financières plus proches du black jack que de la gestion.
Aujourd’hui, il s’agit de convaincre son peuple, qu’il existe un plan précis de sortie, mu par une ambition, un espoir et la confiance en le cap pris et en l’équipage, pas le FMI, qui n’est qu’une tour de contrôle étrangère, aux directives pas toujours bien intentionnées. Le pays, ne pouvant se payer le luxe, d’avoir ni des apparatchiks soviétisés ni des traders mal inspirés, en ce moment même ; et une mixture des deux, n’est pas une stabilisation chimique, mais un mélange détonnant.
(*) Expert financier