Comment construit-on un tissu industriel performant ? La question paraît simple mais elle est au cœur de vastes débats académiques et politiques depuis plusieurs décennies.
C’est le point essentiel des réflexions sur le développement y compris pour les pays développés. Au tournant des années 2000, il était de bon ton de railler les industries. L’économiste Lawrence Summers, qui fut aussi ministre sous la présidence Clinton et conseiller économique de Barack Obama, estimait même qu’il était temps de les transférer en Afrique, continent dont il jugeait l’air inutilement pur en comparaison de celui de l’Europe et du nord de l’Amérique. On se souviendra aussi de Serge Tchuruk, alors PDG d’Alcatel, expliquant à une presse ébahie, que le futur de son entreprise passait par l’abandon des usines.
«Industries industrialisantes»
On dira que c’est ce que fait Apple, ses produits étant fabriqués notamment en Chine. Mais n’est pas Apple qui veut et nombre d’entreprises américaines ou européennes n’ont pas définitivement enterré le thème de la relocalisation. Mais reposons la question en pensant d’abord à un pays comme l’Algérie qui peine à trouver sa voie en la matière. A bien y regarder de près, l’idée des «industries industrialisantes» en vogue dans les années 1970 (on la doit au professeur Gérard Destanne de Bernis) n’était pas aussi mauvaise qu’on le prétend aujourd’hui. Le thème n’a cessé d’être recyclé depuis cette date, y compris par les grands thuriféraires du marché. Ce qui a manqué à l’Algérie à cette époque, c’est peut-être un peu plus de confiance au capital privé local. En s’accommodant d’un tissu industriel secondaire échappant à la tutelle bureaucratique, le pays aurait peut-être précédé le grand virage stratégique chinois de 1979 («qu’importe la couleur du chat, pourvu qu’il attrape la souris»).
Mais passons. Aujourd’hui, la donne a changé. Le pays possède une certaine infrastructure industrielle. Il représente aussi un marché, certes modeste en comparaison des données asiatiques ou subsahariennes, mais qui a son intérêt. Que faut-il faire ? Privatiser ce qui existe ? Au profit de qui ? Le cas du complexe sidérurgique d’El-Hadjar mérite une réflexion politique que l’on attend encore. Le capital étranger n’est pas à démoniser. Il apporte ses investissements, son savoir-faire mais il est aussi tributaire de ses propres objectifs de rentabilité et de sa propre stratégie globale. Et rien ne dit que cela rentre en adéquation avec les intérêts à long terme de l’Algérie.
Public ou privé ?
Si l’on prête attention à ce qui se dit tout autour du bassin méditerranéen, ou même ailleurs, on se rend compte qu’il est souvent question des champions nationaux. L’Union européenne (UE), la Grande-Bretagne qui en sort, ou le Canada qui vient de signer un accord de libre-échange avec elle, fourbissent tous des stratégies pour défendre leurs grands noms de l’industrie contre les prédateurs étrangers. Cela passe notamment par un durcissement des lois anti-OPA.
Autrement dit des mesures qui vont à l’encontre des louanges entonnées à l’égard du marché. Chaque pays, et l’Algérie n’échappera pas à la règle, qui veut créer de la richesse inclusive chez lui doit penser en termes d’emplois et de champions nationaux capables d’enclencher un effet d’entraînement. Reste cette question fondamentale: le public ou le privé ? Le premier est disqualifié pour ses contreperformances. Mais rien ne dit que le second est capable de relever le gant. Du moins, sérieusement et au profit de l’intérêt général.