En Algérie, la lutte contre le gaz de schiste se joue (surtout) sur Internet - Maghreb Emergent

En Algérie, la lutte contre le gaz de schiste se joue (surtout) sur Internet

Algérie Schiste In Salah
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Qui n’a pas vu une des nombreuses vidéos des marches des habitants du Sud contre le gaz de schiste ? Ou aperçu sur son compte Facebook une des affiches anti-schiste jaune et noire représentant un visage avec un masque à gaz ? C’est que cette mobilisation inédite, entamée le 31 décembre, se déploie largement et comme rarement auparavant sur la Toile.

Pas une réunion, une prise de parole, une marche quotidienne, ou une action d’envergure n’échappent aux bras agiles des contestataires dont la main levée équipée d’un appareil photo ou d’un smartphone enregistre chaque instant de la mobilisation anti-schiste. Muni de son appareil photo professionnel, Djemaoui Mohamed, lunettes “Ray-Ban” sur les yeux, une barbe de trois jours, fait partie de ces infatigables combattants de l’image qui brandissent leur caméra à la place de banderoles. Depuis le début du mouvement, il capture ainsi avec son œil d’artiste chaque temps fort de la lutte à In Salah. “Je poste les photographies d’abord sur mon compte Facebook avant de les partager sur le groupe “In Salah Sun & Power”, explique le jeune homme de 25 ans originaire de Tamanrasset, passionné de hip-hop et pour le pays de l’Oncle Sam. “On a besoin d’un Mandela ici, pour la liberté, un Mandela et un Martin Luther King! », lance-t-il avant de retourner à ses clichés.

Informer

Mohamed n’est pas le seul à figer dans sa boîte noire le mouvement anti-schiste. Comme lui, de nombreux amateurs, tous âges confondus, filment et photographient pendant la journée les différents moments de la mobilisation. Puis, une fois rentrés à la maison, ils téléchargent et partagent leurs prises quotidiennes à l’ombre de leur modem. Djamel Djaddoun (Benamara) est de ceux-là. Impossible de ne pas apercevoir ce cinquantenaire à la barbe blanche et au teint bronzé au moins une fois dans la journée. Il traîne toujours au milieu des manifestants d’In Salah. Quand la nuit tombe, ses photos et vidéos du jour apparaissent sur son compte Facebook, bientôt reprises sur le groupe In Salah Sun & Power, puis par des dizaines d’autres comptes. En remontant ses albums quotidiens, tous affublés du hashtag #la_llghaz_alskhry__bʿyn_salh, c’est tout le film du mouvement anti-schiste que l’on rembobine.

En un mois, des centaines de vidéos et des milliers de photos ont ainsi été mises en ligne. La plupart se retrouvent, à un moment ou à autre, sur le groupe “In Salah Sun & power”, véritable caisse de résonnance du mouvement avec plus de 18.000 fans. Chaque jour, des centaines de nouveaux messages sont publiés et leur nombre explose au moment d’événements particuliers tels que la visite du ministre de l’Energie, Youcef Yousfi, la venue du Directeur général de la sûreté nationale (DGSN), général-major Abdelghani Hamel à In Salah, l’intervention télévisée du Premier ministre Abdelmalek Sellal ou les annonces d’Abdelaziz Bouteflika, en Conseil des ministres restreint.

S’informer

L’Internet mobile 3G et l’ADSL ont démultiplié l’écho de cette mobilisation citoyenne sans précédent en Algérie. Le Web a joué un rôle considérable dans la prise de conscience anti-schiste des habitants du Sud devenus manifestants et militants au fur et à mesure de leur lecture et échanges d’idées sur la Toile. “Le jour où j’ai entendu parlé des premiers forages expérimentaux dans la région, quatre mois environ avant le lancement du mouvement, début janvier, je suis entré en contact avec des ingénieurs de Hassi Messaoud qui m’ont envoyé beaucoup de documents sur le sujet montrant les dangers du gaz de schiste”, témoigne Ahmed Belkou, un des jeunes “Indignés” de la Place Somod, ingénieur de son métier et rappeur du groupe Desert Boys à ses heures libres.

Comme Ahmed, nombreux sont les manifestants du Sud à avoir fait leurs armes sur la Toile. Fatiha Touni, professeur d’anglais au lycée d’In Salah, épluche ainsi toutes les vidéos sur le sujet depuis le 3 janvier. “Les mêmes professeurs, en 2012, disaient que le gaz de schiste est dangereux, et maintenant ils disent qu’il n’y a aucun risque. Comment voulez-vous que je les crois ? Ça me fait rire. Même un enfant peut comprendre que notre gouvernement nous cache quelque chose”, pointe la jeune femme de 36 ans dans un français parfait.

Contrairement aux apparences, ce mouvement n’est pas né du jour au lendemain, rappelle Mohamed Kasmi, membre fondateur du Comité national pour la défense des droits des chômeurs, (CNDDC), dans un entretien au site d’information en ligne Impact 24. “Nous avons suivi, étape par étape, cette histoire de gaz de schiste. Depuis le premier jour où son exploitation a été évoquée en Conseil des ministres jusqu’à l’adoption de la loi sur les hydrocarbures en 2013”. Et si le mouvement est entré dans une phase de protestation, c’est que les autorités sont passées à l’acte avec un premier forage expérimental dans le puits d’Ahnet, situé à une trentaine de kilomètres d’In Salah, souligne le militant. “Les gens du Sud sont sages, mais ils ne sont pas dupes”.

 

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