En Algérie, le crédit à l’économie n'est contrôlé que pour le privé - Mohamed Gharnaout (Entretien) - Maghreb Emergent

En Algérie, le crédit à l’économie n’est contrôlé que pour le privé – Mohamed Gharnaout (Entretien)

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Les entreprises privées qui représentent plus de 99% du total des entreprises qui activent dans le pays, ne consomment que 50% du total des crédits à l’économie, estime l’analyste financier, Mohamed Gharnaout. 

 

 

Le Gouverneur de la Banque d’Algérie, Mohamed Loukal, a relevé la fragilité de la situation économique du pays en 2016 et selon lui, cette conjoncture est due à une chute des prix du pétrole, et une forte évolution des cours de change internationaux, est -ce là les seules raisons ?

D’abord, la fragilité de la situation économique n’est pas née en 2016. Le pays a connu d’une manière sporadique des situations financières difficiles similaires ayant pour origine la chute des prix de pétrole depuis son indépendance en 1962.

Citons en premier lieu celles de 1986 et 1988 qui ont conduits le pays au rééchelonnement de sa dette extérieure et aux différents programmes avec les institutions de Breton Woods notamment le FMI. En second lieu, il y a celle de 1999 qui aurait pu nous donner à réfléchir sur l’arrêt du processus de la restructuration de l’économie entamé sous l’égide du FMI suite à la fin du programme avec cette institution.

En troisième lieu, citons celle de 2009 qui a conduit à la prise de certaines mesures soit disant protectrices de l’économique et notamment pour réduire les importations et qui n’ont rien fait dans ce sens à en juger par les augmentations sans cesse de ces dernières.

En outre, il ne faut pas omettre celle de 2011 qui, malgré la baisse des prix, a permis la prise de mesures populistes comme les augmentations des salaires dans le secteur public alors qu’il est improductif.  Et pour finir, celle de 2014 dont les effets semblent s’éterniser puisque le gouverneur la cite toujours.

 

Et pour les effets de l’évolution des cours du dollar vis-à-vis de l’euro ?

Quant à l’évolution des cours du dollar vis-à-vis de l’euro, elle est en faveur du pays et non en sa défaveur. En d’autres termes, avec le raffermissement du dollar par rapport aux autres monnaies étrangères, le pouvoir d’achat du pays vis-à-vis du reste du monde s’est amélioré et non le contraire et donc de quoi se plaigne-t-il ?

La vraie raison de la fragilité du pays réside dans le fait que nos gouvernants n’ont pas retenu la leçon. Ce sont de mauvais élèves pour paraphraser le fameux général Vietnamien Giap et ils ne savent pas travailler dans le long terme. Ils travaillent sur le court terme pour ne pas dire qu’ils naviguent à vue. Il fallait continuer la restructuration industrielle entamée durant les années 90 et mettre en place une économie plus diversifiée à l’effet d’endiguer progressivement la dépendance vis-à-vis des hydrocarbures et de leurs prix.

 

Quel impact faut-il attendre des mesures de réduction des importations ?

Ce ne sont pas les mesures administratives tendant à la réduction des importations qui vont apporterquelque chose. Elles n’ont conduit à rien en 2009 : elles peuvent ralentir la baisse drastique des réserves de changes qui ont atteint le seuil psychologique des 100 milliards de dollars fixé par le Premier ministre, Abdelmalek Sellal.

 Mais elles vont conduire à une exacerbation de l’inflation du fait de la baisse de l’offre de certains produits mais également, et c’est le plus grave, à une augmentation du chômage notamment dans le secteur du commerce qui contribue à plus de 60% à l’absorption de la population active.

En d’autres termes, faute d’avoir re la restructuration de son économie en 1998 et parce que celle-ci prend du temps à se mettre en place, notre pays risque dans les deux à trois années qui vont suivre, de revivre les mêmes tentions de la fin des années 1980 et le début des années 1990.

 

L’encours des crédits bancaires a atteint 8 000 milliards de DA en 2016, ont-ils contribué à diversifier l’économie, quelle est la part des crédits infructueux et quel contrôle des crédits est-il adopté par les banques ?

 Je n’ai pas les chiffres de la Banque d’Algérie en matières de crédits à l’économie car cette institution semble faire actuellement dans la rétention des informations au public : elle n’a publié sur son site web ni son rapport annuel de 2015, ni ses notes de conjoncture des trois premiers trimestres de 2016.

Ceci étant dit, pour revenir à votre question, constatons d’abord que la structure des exportations est toujours la même : les exportations hors secteur des hydrocarbures ne dépassent pas les 2 % du total des exportations dans les meilleurs des cas et elles sont le fait des entreprises privées. Alors que ces dernières représentent plus de 99% du total des entreprises qui activent dans le pays, elles ne consomment que 50% du total des crédits à l’économie. Les entreprises publiques qui ne représentent que moins de 1% des entreprises consomment les autres 50%. 

Ceci veut dire, qu’il y a beaucoup de déchets dans la distribution de crédits à l’économie par les banques publiques et donc des crédits infructueux et notamment dans le secteur public. Citons quelques exemples qui ont fait l’objet de publication par la presse locale mais qu’on peut élargir à toutes entreprises dont les produits ont été et sont concurrencés par les importations de marchandises ou les entreprises de prestations de service du reste du monde (SNVI, ENIE, ENIEM, CNAN, etc.)

Cela indique que le crédit à l’économie n’est contrôlé que pour le privé et il n’existe presqu’aucun contrôle pour les entreprises publiques. Ce qui représente un effet d’éviction du secteur privé par les banques publiques alors que presque la totalité des dépôts de ces dernières, si on exclut la Banque extérieure d’Algérie dont les dépôts proviennent des entreprises du secteur des hydrocarbures, sont le fait des ménages et donc du privé.

Ceci implique que ces dernières traînent toujours dans leurs portefeuilles des parts très importantes de crédits malsains qu’il faudra un jour assainir. Ces banques doivent également être recapitalisées pour les mettre aux normes prudentielles fixées le Conseil de la monnaie et du crédit qu’elles ne respectent pas présentement.

C’est d’ailleurs pour cela que la Banque centrale n’a pas publié également les résultats des stress-tests (testes de résistance contre les chocs extérieurs) effectués sous l’égide de l’ancien gouverneur.

 

Le retour à l’endettement extérieur fait débat, est ce que la problématique est posée dans les bons termes ?

C’est selon. Le recours à l’endettement n’est pas bien vu par les autorités du pays. Il ne s’intègre pas dans leur programme économique et ce depuis la crise financière des années 80 dont les séquelles sont encore visibles sur le plan économique, social et sécuritaire.

 Or, durant ces années, en sus des crédits à moyen et long qui ont servi au financement des industries du secteur public et qui sont arrivées à échéance en masse, il y a eu recours massif également aux crédits à court terme pour financer de fameux programme anti pénurie et donc les produits finis de consommations durables et non durables. 

Partant de cette amère expérience, les autorités du pays ne le voient pas en tant qu’opportunité ou un levier financier indispensable pour promouvoir la croissance et le développement : et partant, endiguer le problème épineux du chômage mais comme une contrainte qu’il faut absolument éviter.

 Cependant, avec la chute du niveau de réserves de changes qui dépasse de très peu l’année d’importations et les revenus des exportations qui ne suffisent plus à faire face aux importations de l’année et ce depuis 2014 où la balance des paiements a enregistré un solde quasiment à l’équilibre (ce qui explique la chute libre de celles-ci en 2015 et 2016) le recours à l’épargne extérieure devient indispensable.

L’acuité de la crise financière actuelle du pays a emmené les autorités à faire des restrictions aux importations pour préserver un tant soit peu les réserves de change et créer une épargne locale forcée. Sauf que cette manière de faire n’est pas sans risque sur le secteur réel et donc du PIB qui se trouvera affecté négativement.

La baisse des revenus des hydrocarbures a entrainé également une chute de l’épargne locale y compris bancaire et notamment celle du secteur public ainsi qu’à une chute des crédits intérieurs et partant à une crise économique et sociale de plus en plus aigüe qui ne peut être taclée que par un recours aux crédits extérieurs.

Cependant, pour que ce recours à l’épargne externe soit efficace et profitable pour l’économie du pays, il faut qu’il soit sélectif. Ce qui est sûr c’est que les entreprises publiques hors secteur des hydrocarbures et hormis celles qui sont directement liées aux besoins fondamentaux des citoyens dont la prise en charge est assurée en partie par l’Etat (l’électricité, l’eau, le gaz et les céréales), peuvent recourir aux crédits extérieurs tout en bénéficiant de la garantie de l’Etat quant à leur remboursement. Pour les autres entreprises du même secteur et celui du privé, elles ne peuvent s’endetter à l’extérieur que si elles disposent d’une capacité de remboursement avérée. 

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