Le secteur des énergies renouvelables est entrain de prendre un grand virage, avec la création d’un ministère dédié à la transition énergétique et au renouvelable. voulant en savoir davantage, Maghreb Émergent a donné la parole à Mourad Louadah, directeur général d’Iris JC Industrial et membre fondateur du Cluster Energie Solaire.
Maghreb Emergent : Le dernier remaniement ministériel a vu la création du ministère de la Transition énergétique et des Energies renouvelables. Quelle est, selon vous, l’importance de consacrer un département au sein du gouvernement, dédié à la transition énergétique et au renouvelable ?
Mourad Louadah : L’importance donnée au secteur des énergies renouvelables (EnRs) a traversé un long chemin dans notre pays. Le développement de ce secteur a été confié à plusieurs ministères en commençant par celui de l’enseignement supérieur, de l’environnement et après celui de l’énergie. Le lancement du programme de production de 22 000 mégawatts en 2011, a marqué l’importance donnée au secteur des énergies propres en Algérie.
Mais dans ce programme, il y avait absence de stratégie ferme, pour aller dans le sens de « débridage » des groupes électrogènes et les tribunes à gaz ou réaliser des sites isolés. Il n’y avait pas une décision réelle d’application. En plus, cette stratégie tracée par le ministère de l’Energie à l’époque, s’appuyait sur l’engagement du groupe public Sonelgaz. Mais ce dernier, avait déjà ses propres projets, d’autant plus qu’il n’était pas dans l’intérêt du groupe d’aller vers le photovoltaïque.
Après cela, on a misé sur un programme de 4 000 mégawatts. Une stratégie erronée, car il n’y avait pas de décret pour pouvoir lancer un appel d’offre ou faire appel aux investisseurs. L’idée de réaliser ce projet clé en main ne pouvait aboutir à un résultat. En plus, ce programme représentait à l’époque un budget de six (06) milliards de dollars. Un risque que personne ne voulait prendre.
Maintenant, si j’en reviens à votre question, je dirais que la création d’un ministère dédié aux énergies renouvelables est une très bonne chose. Mais c’est un ministère qui aura plus de force dans quatre à cinq ans. Il faut démarrer d’une base solide. Ce nouveau ministère avec celui des mines, doivent travailler de concert. Si ces deux tutelles arriveront à s’entendre, beaucoup de choses pourront être réalisées sur le court-moyen terme, dans la transition énergétique en Algérie.
Ainsi, je pourrais dire que la bonne décision politique est là. Mais, la question est comment elle sera mise en oeuvre sur le terrain et de quelle manière va-t-on aborder le « gros oeuvre » de ce grand chantier ?
Ce nouveau portefeuille ministériel a été confié à l’ex-ministre de l’Enseignement supérieur, le professeur Chems Eddine Chitour. Est-ce un choix judicieux pour ce secteur ?
Pour le choix du ministre, je dis que cela fait 30 ans que M. Chitour, qui est à la tête de ce nouveau ministère, parle des énergies renouvelables. Théoriquement, il est assez connaisseur du secteur. Mais aujourd’hui il faut qu’il soit épaulé par des gens de terrain et des entrepreneurs, notamment des experts en la matière, même ceux établis à l’étranger.
Chitour a de grandes capacités pour tracer une feuille de route fiable. Je pense qu’il faudrait créer un site web pour fédérer tous les experts et les acteurs du domaine des énergies propres à travers leurs idées et leurs contributions, afin de soutenir ce ministère naissant.
Selon vous, quelle serait la première mission qui lui sera consacrée, indépendamment des nombreux projets en cours de réalisation dans le domaine des énergies renouvelables ?
Je pense que la première des choses à faire pour ce nouveau ministère c’est un inventaire de ce qui a été réalisé dans ce domaine sur l’ensemble du territoire national, notamment en matière ressources humaines, matériels etc.
La deuxième mission qui lui incombera, c’est de faire un état des lieux des besoins et des investissements, puis fixer les priorités.
L’identification des besoins en matière d’énergie renouvelable est à ce titre prépondérante et revêt une importance capitale. A ce propos, la mère des priorités serait, à mon sens, de consacrer un pan entier des projets des EnRs au secteur de l’agriculture.
Qu’est-ce qui pourrait changer vis-à-vis des entreprises qui activent dans le domaine des énergies renouvelables, suite à la création de ce nouveau ministère ?
Le premier problème des entreprises qui activent dans le ce secteur, est l’absence de marchés. L’Algérie ne dispose pas actuellement de marché domestique pour les énergies propres. Ce n’est pas normal que l’on parle depuis 2011 de 22 000 mégawatts d’énergie produite par les EnRs alors que nous n’avons pas pu réaliser 10 mégawatts par an, tous produits confondus. Ici, j’exclue les réalisations de la Sonelgaz à ce niveau.
Mais pour booster les entreprises, il faut ouvrir le champ des investissements. Nous avons plusieurs unités de production de panneaux solaires mais qui n’ont aucune valeur ajoutée. Avec tous ce qu’ils produisent, on ne trouve pas une réalisation d’à peine 10 mW par an, ce qui n’est pas normal.
Il y a une réticence des investisseurs vis-à-vis du secteur des énergies renouvelables. Il y a un grand manque d’activité dans ce domaine. Les gens n’investissent pas dans le solaire car le prix du kilowatt se situe entre 4 et 6 dinars et celui de Sonelgaz est entre 1,75 à 4,5 dinars.
Si l’on veut réussir cette transition, il faudrait revoir complètement les tarifs. Et là je dis que ce n’est pas facile de recalculer le niveau des subventions. Se contenter de le dire est bien aisé, mais il faut une étude approfondie pour trouver le bon dosage entre les impératifs sociaux, politiques et économique. Si aujourd’hui nous sommes entrain d’augmenter graduellement les prix du carburant, cela devra nous conduire à faire la même chose pour le prix de l’électricité. Pour conclure, je pense qu’il faudrait aussi penser à subventionner tous ce qui peut promouvoir le principe de l’efficacité énergétique.