En Tunisie, la marge de manœuvre est réduite, mais le pays est sur le point d’emprunter un chemin vertueux, où la démocratie soutient la croissance, et inversement.
Après la liberté, le pain. Les Tunisiens, pionniers du printemps arabe, ont voté dimanche pour les premières législatives vraiment libres de leur pays, un œil rivé sur le curseur de la liberté et l’autre sur les courbes de l’économie. Car si la démocratie valait quelques sacrifices auxquels les Tunisiens ont consenti, il était temps de conforter leurs acquis démocratiques par une croissance économique retrouvée, vitale pour jouir de cet air de liberté nouveau pour eux.
L’économie est d’ailleurs devenue un enjeu important de la campagne électorale, les nostalgiques de l’ère Ben Ali et les anti-islamistes mettant en avant les menaces qui pèsent sur l’économie du pays, avec l’agitation post-révolution. Des slogans, inimaginables il y a deux ans, sont apparus, des adversaires du changement n’hésitant à dire: «avant, au moins on ne mourait pas de faim », ou encore : « on n’avait pas la liberté mais on avait le pain. Aujourd’hui, on n’a ni l’un ni l’autre ».
Ces slogans risquaient aussi de discréditer la révolution tunisienne, qui reste pourtant la seule à maintenir un espoir de changement depuis le déclenchement du printemps arabe. Egypte, Syrie, Libye, Yémen ont tous sombré dans une spirale de violence dont il est difficile de voir le bout. En outre, la Tunisie reste non seulement le dernier bastion de l’espoir démocratique des pays du « printemps arabe », mais elle porte aussi la responsabilité de montrer qu’une révolution démocratique n’est pas forcément synonyme de régression économique et sociale. Elle peut aussi booster la croissance, avec l’espoir démocratique qu’elle suscite et le vent de liberté qu’elle apporte.
Le choc de la révolution
Leschiffres sont pourtant têtus. Après une honorable croissance de 3.6 % en 2010, la Tunisie avait enregistré une croissance négative de 0.2% en 2011, année de la chute de Ben Ali. Avec l’agitation qui avait alors dominé le pays, cela relevait du miracle, et certains analystes n’hésitaient pas à mettre en doute ces chiffres. Avec l’impact direct des troubles politiques sur les recettes touristiques, la Tunisie tenait le coup, et montrait un signe particulièrement encourageant : l’activité économique n’était pas trop dépendante de la vie politique. Elle pouvait lui survivre.
Le rebond de 2012, avec 4.1% de croissance, corrigée finalement à 3.7% confirmait que la transition démocratique n’était pas incompatible avec une bonne tenue économique. Pourtant, la Tunisie commençait à subit les effets d’une tension extrême, avec des attentats terroristes visant des opposants laïcs ou anti-islamistes.
Le salut est finalement venu de là où on l’attendait le moins. Du mouvement islamiste Ennahdha, et peut-être aussi, du tourisme algérien et de la crise libyenne. Ennahdha, dont le leader Rachad Ghannouchi, a vécu en Algérie, où il assisté à l’échec de l’expérience algérienne de démocratisation, a décidé de prendre rapidement ses distances avec la pensée radicale, qui menaçait d’étouffer l’économie tunisienne. Le secteur touristique a été épargné, et des assurances ont été données pour respecter certaines libertés, ce qui a permis de décrisper le climat dans le pays, malgré des négociations très difficiles.
Le poids de l’Algérie et de la Libye
Le million d’Algériens qui se sont rendus en Tunisie, où les conditions de séjour pour des vacances sont sans comparaisons avec ce qui est disponible en Algérie, ont apporté leur contribution pour maintenir à flots un secteur en difficulté en 2013, permettant à l’économie de progresser d’un modeste 2.8%, insuffisant pour améliorer les conditions de vie des Tunisiens, mais inespéré en cette période de crise. Seule bémol à cette évolution, l’inflation a atteint 6.1%, ajoutant des difficultés supplémentaires aux plus démunis et à des pans entiers de la société qui vivaient dans la précarité.
Mais en 2014, l’activité touristique est virtuellement revenue à la normale, ce qui permet d’entrevoir une croissance de 3% selon le FMI, alors que le gouvernement tablait sur une performance de 3.7%. Pour 2015, le FMI prévoit 4.5% de croissance, ce qui constituerait une excellente nouvelle aussi bien pour la Tunisie que pour toute la région. Un tel niveau de croissance anticipe en effet largement l’évolution économique du pays. Il suppose que le pays aura passé avec succès le cap des législatives d’octobre et celui des présidentielles de novembre, et qu’il aura maintenu la stabilité, qui aura à son tour un effet d’entrainement sur la confiance des investisseurs et l’aide internationale.
Corrections nécessaires
Tout n’est cependant pas rose en Tunisie, et le pays devra s’attaquer à certains indicateurs qui restent alarmants. D’autant plus qu’ils alimentent l’instabilité qui, à son tour, menace l’activité économique. Le solde des comptes courants reste au rouge, avec un déficit proche de 8,4% en 2013 et 6.7% en 2014. Le gouvernement table sur une légère amélioration, à -5.7% en 2015.
Mais c’est surtout le niveau de chômage qui inquiète. Il était de 16,7% en 2013, 16% en 2014, et devrait fléchir à 15% en 2015. Le chômage des jeunes inquiète encore plus, alors que des informations tout aussi alarmantes circulent à propos des jeunes Tunisiens qui seraient allés faire le coup de feu en Irak et en Syrie au sein du Daech.
Au-delà de ces chiffres, l’économie tunisienne semble sur le point de franchir un pas déterminant, pour entrer dans un nouveau cercle vertueux. Les élections législatives et présidentielles peuvent en effet constituer le point de départ d’un nouvel engrenage dans lequel la croissance économique renforce la démocratique laquelle constitue une base solide pour l’activité économique.