Dans cette interview, l’économiste Ferhat Ait Ali estime que les Français et « les autres d’une façon générale n’investissement pas sérieusement en Algérie parce que les Algériens eux-mêmes ne le font pas à cause des conditions réfractaires aux lois du marché qui sévissent dans le pays ».
Aujourd’hui se tient à Paris la quatrième session du Comité Intergouvernemental de Haut niveau sous la Présidence de Édouard Philippe et de Ahmed Ouyahia. A votre avis, qu’est-ce que l’Algérie peut tirer comme profit, notamment dans le domaine économique, de sa coopération avec la France ?
Que ce soit avec la France ou n’importe quel autre partenaire, l’Algérie ne peut tirer comme profit, que ce qu’elle est en droit d’exiger en relation avec sa position du moment, ses projections économiques et les moyens de négociation à sa disposition. Or, ils sont présentement très limités pour ne pas dire quasi inexistants, à tel point qu’il me semble que l’Algérie dispose de moins d’atouts qu’aux pourparlers d’Évian. Les atouts et les faiblesses dans toute discussion d’intérêt réciproque pour ne pas dire communs, ce qui n’est pas vrai dans le cas du gouvernement Algérien dont même les citoyens doutent d’avoir des intérêts communs avec lui, sont de plusieurs ordres. Le premier me semble être l’existence d’une stratégie interne bien étudiée et des buts nationaux, dont on voudrait obtenir l’appui du vis-à-vis, ce qui me parait inexistant dans l’état actuel des choses, et même depuis au moins 40 ans. Le deuxième, est d’avoir des arguments de négociation et quelques chose à marchander pour la partie d’en face, comme intérêt ou même nuisance, ce qui n’est plus d’actualité, dans la mesure oû la période d’aisance financière n’a pas été exploitée pour négocier en position de force, mais pour vendre une image à l’externe qui sert de paravent à toutes sortes de conflits et de coups de force internes. Le troisième, c’est une légitimité incontestable et incontestée, ce qui est le Talon d’Achille de tous les régimes des pays à la traine du développement dans notre région sinistrée, dont les gouvernants semblent ignorer que l’équation se présente à l’inverse de la leur, qui pose la reconnaissance conditionnée à l’international comme dividende et les intérêts économiques du pays comme diviseur, avec une légitimation interne comme résultat. Ceci alors que le vis-à-vis pose exactement l’inverse, dont le résultat est l’intérêt économique, la question de la légitimité ne se posant ni en dividende ni en diviseur, les deux s’annulant de facto, dans une équation interne réglée démocratiquement. Le quatrième, qui ne parait pas évident, est dans la nature et les buts des négociateurs, qui ne sont ni libres de leurs mouvements, ni à la hauteur de la tache, ni mus par un but précis d’ordre national et économique à atteindre, ni par un plan d’ensemble élaboré collectivement par des équipes compétentes. Et au risque de me répéter, l’équipe partie à Paris n’a pas le dixième du niveau de perception des enjeux de l’équipe d’Évian, et encore moins sa capacité à taper du poing sur la table ou à couper court à une démarche qui n’arrange pas l’Algérie. L’échec de cette énième commission étant dans l’ordre des choses pour le coté algérien, au même titre que tout ce qui a été entrepris de ce genre jusqu’ici, et avec n’importe quel autre partenaire, mais encore plus avec les Français.
L’économie algérienne est fermée et ne fonctionne pas d’une façon rationnelle, les logiques marchandes étant niées par les comportements de l’État et les lois qu’il promulgue. Comment, dans ces conditions, aspirer à des partenariats économiques gagnants-gagnants avec les France et avec les autres pays ?
Nous y voila, justement, au nœud du problème! Je ne pense pas qu’il existe quelqu’un de sérieux dans le monde moderne qui négociera sérieusement un dossier économique dans une logique de gagnant, avec un bureaucrate qui se présente comme une sorte de majordome tenant entre ses mains la bourse du harem du calife local. Dans un pays où les politiques sont les instruments diplomatiques du monde des affaires et de l’entreprise, personne ne traitera une affaire à long terme ou un partenariat engageant des fonds et des efforts, avec une équipe qui représente l’inverse de cette logique, et qui vous affirme avec aplomb que les affaires dans son pays passent par elle. Les Français ou d’autres enverraient des entreprises en Algérie, et les entreprises sérieuses traitent avec des entreprises, et pas avec des politiques et encore moins des bureaucrates, même de rang politique, et certainement pas avec des intermédiaires et autre mici dominici de qui de droit. Et quand ils acceptent de le faire, ce n’est pas pour se faire rouler dans la farine, par d’illustres inconnus même à notoriété provisoire, qui peuvent être dégommés du jour au lendemain et leurs engagements et cogitations avec eux. Mais pour des opérations, ou les engagements de nos négociateurs, sont rendus définitifs et irréversibles par des mécanismes juridiques solides, et les engagements d’investissement des vis avis, limités au stade de promesses illusoires et subordonnées à des changements de climat économiques qu’ils savent illusoires chez nous. Ils arrachent de ce fait le maximum de concessions temporaires et juteuses à nos représentants, des conventions contraignantes, des règlements de contentieux anciens au profit de leurs entreprises, sans rien offrir de sérieux en dehors de quelques effets d’annonce ou investissements démontables et sans apports, que nos médias se chargeront de transformer en grandes conquêtes économiques. Comme ils nous ont présenté le funeste accord d’association, qui a permis à monsieur Estrosi d’exiger de nous de manger la pomme de Côte-d’Azur de force l’été dernier.
M. Macron, se faisant le porte-parole des chefs d’entreprises français, déclaré que la loi 51/49 est un obstacle aux investisseurs étrangers tout en disant que l’Algérie. Qu’est-ce que cette règle apporte ou n’apporte pas à l’Algérie selon vous ?
Cette histoire de 51/49, que ne défendent que les idéologues incapables de lire le bilan d’un coiffeur de village, au nom d’une souveraineté à géométrie variable, qui nous a rendu dépendant du monde entier, et d’une seule source de revenu, a été à mon sens le plus grand coup d’arrêt porté à tout investissement sérieux dans le pays, pour des motifs véritables qui resteront à identifier un jour officiellement, mais qui sont certainement tout sauf ce qui est annoncé depuis 2009. Qu’un pays, qui n’a pratiquement aucun associé sérieux à présenter à qui que ce soit, en dehors de deux ou trois entreprises mises en quarantaine par les décideurs locaux, et qui ne reçoit pratiquement aucune demande sérieuse d’investissement, même dans le domaine pétrolier qui est son unique atout, introduise une telle mesure dans sa nomenclature de chausse trappes juridiques, est en soi un fait cocasse, s’il n’était à répercussions dramatiques sur le devenir du pays. Toutefois, la position des officiels français sur cette question est aussi fluctuante que peu sérieuse. En privé, la plupart ne sont pas d’accord, et c’est logique, mais en public, ils sont parfois d’accord, parfois contre et la plupart du temps entre deux chaises. En ce sens, que cette règle les arrange pour une affaire comme Renault ou Peugeot, ou avec un minimum d’apports ou même sans apports sérieux, et sous couverture locale, ils peuvent exporter des biens quasiment finis, au prix qu’ils veulent, en étant à 100% dans les marges de l’usine de départ, et à 49% dans celles majorées à l’arrivée, là ils se font défenseurs de cette règle. Mais quand ils sont invités sur une affaire dans laquelle ils ne veulent pas s’impliquer outre mesure, sur un procès lourd ou compliqué, ils invoquent cette règle comme un obstacle sur un créneau ou de toute manière ils n’auraient jamais misé un euro même à 110%. Ceci dit, tant que notre nomenclature de textes volants offre tout cet éventail de prétextes à toutes les parties, pourquoi gâcher son plaisir de donner un cachet politique à un refus tout économique?
Pourquoi, selon vous, les Chinois ont devancé les Français en Algérie en matière de commerce et d’investissement ? Pourquoi les investisseurs de certains pays viennent plus que d’autres ?
En termes d’investissement, les Chinois n’ont pas fait mieux que les Français, le seul projet de grande ampleur chinois étant celui du fameux port d’el Hamdania, et il entre dans leur stratégie d’un Hub en Méditerranée occidentale, ce dont les français n’ont pas besoin, ayant leurs propres ports et celui de Tanger Med, qui sert les projets français au Maroc. Quant au commerce, personne ne peut devancer les Chinois nulle part, même en France d’ailleurs. En dehors des services, le taux d’intégration français est plus dans les hauts salaires locaux et les brevets, que dans les intrants français à proprement parler. Pour les mêmes montants d’importations en dollars, il faut voir les volumes de produits manufacturés chinois qui arrivent sur le marché, et celui des produits français. Rien que pour l’habillement et la chaussure, si on s’approvisionnait en France, rien ne garantirait que les produits seraient français, mais les marges certainement. Coté investissements, je ne considère ni les annonces ni les déclarations des uns et des autres, mais les IDE au plan financier. Et ceux-là, on les voit dans la balance de paiement, et franchement ils son risibles, et de loin inferieurs aux transferts des pensions de nos retraités qui vont tout droit au square. Ce que nous appelons des investisseurs chez nous viennent en général de pays précis, dans le cadre du fameux 51/49, avec des partenaires locaux, qui ont les clés des banques publiques et des partenaires étrangers qui ont l’adresse pour les facturations et transferts, et il est évident que dans ce cadre précis, les Européens en général soient en bas du tableau, leur législation empêchant certaines pratiques et la domiciliation hors pays, ou les approvisionnement loin de la maison mère, ce qui rend toute l’opération sans objet pour les vis-à-vis locaux. Concrètement, les autres investiront en Algérie quand les algériens le feront, et surtout seront libres de le faire, sans chaperons bureaucratiques, et quand l’Algérie décidera d’avoir une économie, et surtout quand cette économie ne sera pas otage de bureaux et autres lieux non conçus à cet effet.