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Idées

Honorer ramadan en ne forçant plus au jeûne public ! (opinion)

Par Yacine Temlali
mai 18, 2017
Honorer ramadan en ne forçant plus au jeûne public ! (opinion)

 

En islam, la foi même est libre, puisque Dieu autorise de ne pas croire si la croyance en lui et en son unicité n’est pas la manifestation d’une libre conviction. Que dire alors du jeûne ? La rupture du jeûne en public est bel et bien admise en islam vrai ; c’est sa sanction qui est une violation de l’esprit et de la lettre islamiques*.

 

  

À quelques jours du début de ramadan se pose comme chaque année, mais de manière encore plus lancinante et cruciale, la question du maintien en vigueur de l’article 222 du Code pénal qui viole tout autant le droit que la religion, la paix sociale et le vivre-ensemble paisible au Royaume.

Rappelons que cet anachronisme colonial, qu’on n’ose pas encore abolir pour parachever l’indépendance du Maroc, stipule ceci : « Celui qui, notoirement connu pour son appartenance à la religion musulmane, rompt ostensiblement le jeûne dans un lieu public pendant le temps du ramadan, sans motif admis par cette religion, est puni de l’emprisonnement d’un à six mois ainsi que d’une amende de 2.000 à 10.000 dirhams »

 

L’article 222, une survivance coloniale

 

Un tel article figure, toujours dans le projet de réforme du Code pénal malgré la réprobation quasi généralisée qu’il suscite désormais, est une illustration flagrante de la survivance de la législation coloniale dans le droit du Royaume. 

Certes, l’article lui-même date des années soixante, étant entré en vigueur en 1963, après l’indépendance du pays. Ce ne fut pas moins l’œuvre des magistrats coloniaux restés au Maroc, qui l’ont rédigé dans le droit fil du Code pénal français de 1810 dont ils ont gardé et l’esprit et la lettre avec de menues retouches pour soi-disant tenir compte des spécificités du pays, sa marocanité disait-on.

Or, ces magistrats français, chrétiens de foi, n’ont fait que caricaturer cette marocanité, la réduisant à un pur folklore colonial. Les infractions créées de toutes pièces en sont le témoin, ne traduisant nullement la réalité des mœurs du peuple marocain, telles l’homosexualité (article 489) ou l’obligation publique de jeûner durant ramadan, l’article 222 qui nous occupe.

Jamais le Marocain, en effet, n’était tenu par une quelconque obligation religieuse de jeûner, pour la simple raison que sa foi refuse la contrainte, l’islam étant basé sur la force de la conviction en toute chose, non seulement dans les manifestations rituelles. 

En islam, la foi même est libre, puisque Dieu autorise de ne pas croire si la croyance en lui et en son unicité n’est pas la manifestation d’une libre conviction. Que dire alors du jeûne ? La rupture du jeûne en public est bel et bien admise en islam vrai ; c’est sa sanction qui est une violation de l’esprit et de la lettre islamiques.

D’ailleurs, avant l’entrée en vigueur de cette violation caractérisée de l’islam authentique, les Marocains n’étaient pas moins musulmans en jeûnant ou en s’abstenant de jeûner publiquement ; les cafés et les restaurants demeuraient ouverts durant la journée.

De fait, l’interdiction éditée par l’article 222 du Code pénal n’avait pour objectif que de préserver l’ordre public en partant du postulat que la société est conservatrice, un pur mythe colporté par les autorités coloniales.

Effectivement, la société musulmane, au Maroc et dans tout le Maghreb, est loin d’être conservatrice, même si elle est farouchement attachée à sa foi. Un tel attachement est plutôt identitaire ; aussi, l’islam auquel elle réfère est le vrai islam maghrébin : une foi libre et libertaire, pure, bien loin de la lecture frelatée venant du Machrek. 

C’est, au reste, ce que note le magistrat français Adolf Ruolt, chrétien et non musulman faut-il le préciser, qui a été l’architecte de tout le code pénal. Il annote ainsi ce honteux article, le présentant comme étant appelé à : « réprimer une infraction grave aux prescriptions de la religion musulmane qui peut être l’occasion de désordre sérieux en raison de l’indignation qu’elle est susceptible de soulever dans le public. » 

Depuis quand, au Maroc, un chrétien connaît mieux sa religion qu’un musulman ? Et jusqu’à quand continuer à appliquer dans le royaume de Sa Majesté, Commandeur des croyants, un texte honni, survivance obsolète de la colonisation et violation avérée de la foi des Marocains qui est une foi de droits et de libertés ? N’est-il pas temps d’abolir cette honteuse infamie pour les traditions marocaines qu’est l’obligation de jeûner alors que le jeune y est liberté ?

C’est que l’islam, s’il est le pilier de la monarchie, ne l’est pas en tant qu’ordre religieux dictatorial, mais plutôt en un ordre démocratique, respectueux des droits des croyants, dont le plus évident est de jeûner ou de ne pas jeûner. C’est bien ainsi que les autorités marocaines serviront le vrai ordre public tout en ne desservant pas la foi musulmane en l’interprétant selon ses visées humanistes. 

 

L’article 222, une violation du droit 

 

Le climat actuel de guerre religieuse durant ramadan est le résultat d’une mauvaise loi anti-islamique à laquelle est attachée une minorité de zélotes défigurant, consciemment ou inconsciemment, une foi innocente de ce qu’ils font, en faisant une religion de haine, d’exclusion et de violence.

Pourtant, cette minorité d’excités religieux n’a de réel pouvoir que du fait qu’elle impose ses fausses vues sur l’islam aux autorités qui n’osent la contrarier au prétexte que la société serait conservatrice. On a vu que ce n’était qu’un mythe de la colonisation. 

Il est bien temps de se débarrasser de ce faux prétexte, comme on l’a fait de l’autorité coloniale, puisque la société n’était déjà pas conservatrice sous la botte des colons et ne saurait le devenir aujourd’hui. Avec une nouvelle constitution consacrant ses droits, la société marocaine, plus que jamais, est consciente que la religion ne limite pas ses libertés.

Au vrai, les autorités publiques usent du mythe du conservatisme social pour un but de pur contrôle de la société. La religion et ses zélotes sont ainsi utilisés pour protéger les privilèges de certaines élites et non pour se conformer à l’islam. Or, outre la violation de cette religion qui est innocente de ce que l’on fait en son nom, on viole aussi le droit représenté par sa norme la plus élevée qu’est la constitution.

Celle-ci impose le respect des libertés privées, ce qui inclut celle de ne pas jeûner, en privé comme en public. Or, on s‘autorise à faire d’un comportement privé une infraction publique aussitôt qu’il se fait non seulement en un lieu public, mais aussi accessible au public ne serait-ce que par le regard. Et c’est une aberration aussi bien juridique que religieuse puisque l’islam impose de baisser le regard dans le cas d’une contrariété morale, ne donnant nulle licence pour attenter à la liberté d’autrui jalousement protégée.   

De plus, le droit constitutionnel du Maroc est tout autant violé que sa religion par la formulation même de l’article 222 qui vise la personne « notoirement » connue pour son appartenance à la religion musulmane et qui rompt « ostensiblement » le jeûne. Car, d’une part, la constitution comme l’islam garantissent la liberté de croyance ; et d’autre part, les deux interdisent de juger sur simple supputation. En islam, la foi est d’abord l’intention pure qui doit se présumer et qui ne peut être reniée par un acte dont Dieu est le seul juge.

   

L’article 222, une violation de l’islam

 

On l’a bien dit : outre la violation de son droit positif, l’obligation forcée de jeûner durant ramadan viole aussi la religion du Maroc et ses traditions les plus évidentes. L’interdiction de rompre publiquement le jeûne n’a, en effet, rien d’islamique. 

Du temps du prophète, elle ne posait même pas de problème, puisqu’il n’est nulle obligation absolue de jeûner, les permissions de ne pas jeûner étant non seulement légales, mais codifiées. La première d’entre elles est bien le fait de ne pouvoir le faire, quelle que soit la raison, l’islam interdisant de fouiller dans la conscience des gens.

On a pu rapporter, d’ailleurs, le cas de Compagnons du prophète s’autorisant à ne pas jeûner tout en remplissant la compensation légale prévue, comme de nourrir les crève-faim et/ou habiller les démunis. N’est-ce pas ainsi qu’on magnifie le sens du ramadan qui est une participation active du fidèle à la souffrance du pauvre ne trouvant pas quoi manger ou de quoi s’habiller ?

Une fausse interprétation de la part de jurisconsultes au service d’un pouvoir autoritaire a fait de l’obligation morale de jeûner un commandement public, et ce moins pour honorer la visée de la Loi religieuse que pour servir les intérêts du pouvoir en place. De la sorte, il a un moyen supplémentaire afin de contrôler la société, lui imposer son magistère au nom d’une foi caricaturée.

C’est le cas de tout texte illégitime et donc anti-islamique, tel l’article 22 au Maroc, qui entendrait faire du jeûne une obligation autrement que morale, donc librement consentie et sans la moindre sanction sinon morale. C’est ainsi qu’on respecte l’islam authentique qui, s’il fait de ramadan un mois de piété, ne le transforme pas en en un moment de paresse et d’inertie commerciale.

En islam vrai, ce n’est pas le fait de ne pas jeûner qui doit être caché, mais bel et bien le jeûne, car il n’est nulle ostentation en religion islamique, la vertu devant être discrète. Aussi, c’est bafouer cette religion des libertés que de continuer à faire la chasse à ceux qui affichent leur droit de ne pas jeûner. Oublie-t-on que le jeûne, en islam, n’est pas une obligation absolue ?

En effet, il existe nombre de dispenses pour ne pas jeûner au bénéfice de qui ne le souhaite ou ne le peut pas, comme de faire l’aumône en donnant à manger aux pauvres qui ne trouvent pas de quoi manger. N’est-ce pas d’ailleurs le sens du ramadan qui ne devrait être une obligation que pour les riches, son but étant que le croyant éprouve l’effet de la faim et non qu’il s’empiffre ?

Aussi, si l‘on tient à respecter l’islam des origines, il importe de laisser les gens libres de jeûner ou non ; ce sera la meilleure façon de vérifier la véracité de leur foi puisque nombre de supposés croyants ne se retiennent de manger durant ramadan que par peur des poursuites judiciaires et non par conviction religieuse. Quelle plus grosse agression on fait de la sorte à une foi dont le credo est la libre foi ! 

 

(*) Cette contribution a été publiée initialement sur le blog de l’auteur. Nous la republions avec son aimable accord.

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