Aujourd’hui marque un triste anniversaire pour le journalisme algérien. Ihsane El Kadi, figure emblématique de la presse indépendante, boucle ses 600 jours de détention. Son crime ? Avoir osé exercer son métier dans un pays où la liberté d’expression est devenue un luxe dangereux.
L’affaire El Kadi est un symbole criant de la répression qui s’abat sur les voix dissidentes en Algérie. Arrêté en décembre 2022, ce directeur de médias a vu sa vie basculer pour un simple article d’analyse politique. La justice l’a condamné à sept ans de prison, dont cinq fermes, pour « financement étranger de son entreprise ». Une accusation aussi vague que commode pour faire taire les gêneurs.
La chronologie de cette affaire est un véritable chemin de croix judiciaire. Perquisitions, fermeture de ses médias, détention provisoire, procès expéditif. Chaque étape semble avoir été minutieusement orchestrée pour briser un homme et, à travers lui, intimider toute une profession. Le 12 octobre 2023, l’ultime espoir s’est envolé avec le rejet du pourvoi en cassation par la Cour suprême. Et pourtant, l’article 54 de la Constitution algérienne, adoptée en novembre 2020, garantit la liberté de la presse.
Mais El Kadi n’est pas seul. Depuis 2019, plus de seize journalistes ont été inquiétés et mis sous poursuites judiciaires. Plusieurs journalistes ont été arrêtés et condamnés à l’instar de Khaled Drareni, Rabeh Karéche, Hassan Bouras et Mohamed Mouloudj, arrêtés par les forces de l’ordre et incriminés pour des chefs d’inculpation comme l’appartenance à une organisation terroriste, et/ou diffusion de fausses informations et l’atteinte à l’intégrité de l’unité nationale selon les dispositions de l’article 87 bis.
Le cas d’El Kadi a suscité une vague de solidarité internationale sans précédent. Des prix Nobel comme Dmitri Mouratov, des icônes culturelles telles qu’Annie Ernaux et Ken Loach, des ONG de renom comme Reporters sans frontières et Amnesty International… Tous ont uni leurs voix pour exiger sa libération. Même le Parlement européen s’est saisi de l’affaire, mettant Alger face à ses responsabilités et engagements internationaux.
Cette mobilisation, aussi impressionnante soit-elle, se heurte pour l’instant au mur de l’intransigeance des autorités algériennes. Le régime, arc-bouté sur sa posture autoritaire, semble prêt à payer le prix fort en termes d’image pour maintenir son contrôle sur l’information.
L’emprisonnement d’El Kadi n’est que la partie visible de l’iceberg. C’est tout l’écosystème médiatique algérien qui est asphyxié. Les rédactions indépendantes ferment les unes après les autres, les journalistes s’autocensurent par peur des représailles. Plusieurs médias ont arrêté leur publication, contraints à l’autocensure, ce qui a également découragé les investisseurs de s’engager dans le secteur des médias privés. C’est notamment le cas du journal Liberté qui a joué un rôle central dans le paysage médiatique algérien depuis son lancement dans les années 1990. Le 6 avril 2022, la Société algérienne d’édition et de culture (SAEC) a décidé de fermer ce quotidien francophone algérien.
Le 19 juin 2024 les journalistes de Radio M ont annoncé dans un communiqué la cessation de publication après la confirmation par la Cour d’appel d’Alger de la dissolution d’Interface Médias, entreprise éditrice de Radio M, la confiscation de tous ses biens saisis et une lourde amende. Le silence s’installe, pesant et malsain.
Aujourd’hui, plus que jamais, le combat d’Ihsane El Kadi est le nôtre. 600 jours de trop derrière les barreaux. 600 jours de déni de justice. 600 jours qui sont une tache indélébile sur l’honneur de l’Algérie. Il est temps que cela cesse. La libération d’El Kadi serait un premier pas vers la réconciliation du pays avec ses valeurs démocratiques. En attendant, chaque jour qui passe est un jour de honte pour ceux qui bâillonnent la presse.