"Il n’est pas possible de parler d’un vrai marché en Algérie" (Souhil Meddah) - Maghreb Emergent

“Il n’est pas possible de parler d’un vrai marché en Algérie” (Souhil Meddah)

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Les cinq facteurs qui constituent la doctrine concurrentielle propre au marché ne sont pas réunis en Algérie et les consommateurs, les opérateurs économiques et la collectivité nationale en paient lourdement la facture.

Maghreb Emergent: Le Conseil de la concurrence a été créé en 2003 mais l’environnement des affaires continue a être considéré comme l’un des plus mauvais au monde selon les classements de Doing Business. Aujourd’hui, peut-on dire qu’il y a une concurrence saine en Algérie ? Autrement dit, peut-on parler d’un marché au sens propre du mot en Algérie ?

 

Souhil Meddah : L’application d’une doctrine concurrentielle dépend fondamentalement d’un pouvoir de synergie et de maitrise combiné entre cinq facteurs importants. Le premier, c’est la capacité du conseil de la concurrence à organiser une régulation efficace et adaptée au cadre général et en tenant compte de tous les aspects qui sont nécessaires pour fournir les moyens et les méthodes, avec une nécessité de coupler entre les connaissances approfondies du terrain et entre une définition stricte de la nature de la pratique déloyale et de son fait générateur.

Le deuxième est l’implication des opérateurs économiques dans une culture entrepreneuriale et commerciale basée sur l’exercice professionnel et la réalité des coûts à partir d’un marché réel, contrairement à d’autres qui préfèrent s’appuyer sur des données fournies de l’espace informel qui, dans sa conception naturelle, reste lui-même sensiblement attaché à toutes les évolutions à la hausse ou à la baisse des données de la sphère réelle.

Troisièmement, il y a le degré d’adhésion  de tous les agents économiques pour exprimer des besoins d’une part ou de proposer des offres d’autre part. La quatrième, c’est l’importance de miser sur un cadre macro-économique pour une répartition explicite et implicite du taux d’inclusion des operateurs exerçant dans plusieurs secteurs concurrentiels qui, d’une part, affichent une saturation temporaire ou durable et, d’autre part, enregistrent un gap important entre la cadence de l’offre face à une demande progressive. Il y a enfin l’intelligence économique qui, dans un contexte macro-économique, permet de faire des projections microéconomiques anticipatives sur l’évolution des secteurs marchands et leurs liens avec les aspects de la progression de la population, des revenus et des autres agrégats.

Malheureusement, si ces facteurs peuvent se réunir conjoncturellement dans certains secteurs, ils ne le sont nullement d’une façon globale et permanente. La concurrence est une donne à construire en Algérie et à protéger et on est toujours au premier stade. Par conséquent, il n’est pas possible de parler d’un marché au sens propre du terme.

Quelles sont aujourd’hui les principales manifestations des entraves à la concurrence. Sous quelles formes se déclinent-elles ?

 

Il existe plusieurs types d’entraves, à la fois d’ordre conjoncturel, l’exemple du libre exercice dans le secteur marchand des biens et services qui obéit à la règle de l’offre et de la demande, mais l’élément offre tire avec lui certaines fluctuation des prix qui sont originaires de quelques mauvaises interprétation des règles à la fois par les leaders du marché et par le manque de lisibilité et d’orientation de la part des pouvoirs publics. L’exemple le plus concret concerne la tendance des marchés de biens durant les deux à trois derniers mois de chaque année ou ils anticipent déjà des augmentations démesurées des prix des produits à la consommation, avec la pression des intermédiaires spéculateurs qui, contrairement à la règle, appliquent des augmentations de prix pour assurer les marges de leurs futurs approvisionnements à l’avance et de leurs stocks disponibles.

D’autre part, l’exercice d’une activité dans le secteur informel offre une opportunité supplémentaire qui s’inscrit implicitement à la faveur des operateurs qui la pratiquent, avec un minimum de contrôle et un minimum d’imposition, par leur éloignement du circuit officiel en drainant avec eux à titre transitoire une masse monétaire disponible, captée à partir du circuit officiel en contrepartie des biens et services non taxés.

D’autres formes d’entraves sont implicites, comme celles dues au soutien excessif du pouvoir d’achat avec l’apport des subventions à la sources des années précédentes qui a longuement orienté la préférence de demande domestique vers des produits importés au détriment des produits locaux, en provoquant au passage un manque à gagner sur les capacités et les valeurs de rendement et de qualité pour les entités industrielles locales.  

Dans le même ordre d’idées, l’émergence d’une demande domestique sur des produits ou des marchés non réglementées par manque d’encadrement total par les pouvoirs publics constitue déjà une entrave approuvée par les demandeurs de biens et services.      

Quelles sont les principales victimes des entraves à la concurrence dans la situation actuelle de l’économie du pays ?

Un marché dérégulé ou mal encadré sur le plan de la concurrence est ouvert à toutes les dérives possibles et imaginables. Cependant il y a trois acteurs qui sont directement ou indirectement concernés par cette forme de singularité.

Des distorsions en profondeurs seront supportées implicitement et explicitement par les consommateurs du fait qu’une dérégulation qui dure aura toujours un effet multiplicateur qui la domine. Ensuite, sur les operateurs qui exercent dans des domaines ou les règles de la concurrence ne sont par respectées. Et enfin la collectivité nationale du fait que dans ce type de modèle,  les sources de financement du budget de l’Etat ne sont jamais constantes. 

 

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