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Internationale

J’ai entrevu le Brexit en 2013 dans les larmes de Sara

Par Mohamed Zenina
juin 26, 2016
J’ai entrevu le Brexit en 2013 dans les larmes de Sara

Je m’étais couchée la nuit du jeudi au vendredi sur la nouvelle d’un sondage qui donnait le ‘Remain’ en avance sur le ‘Leave’ dans le référendum britannique sur le maintien ou la sortie de l’Union Européenne. C’est dire le choc du vendredi au réveil. Il n’est jamais facile de comprendre les votes qui vont à l’opposé de ce qu’on peut penser être l’intérêt commun.

 

En quelques heures seulement après les résultats du vote, le Royaume-Uni a perdu 125 milliards de dollars. Pour avoir vécu à Londres pendant ma licence et pour suivre régulièrement l’actualité au Royaume-Uni, j’en suis finalement revenue à la conclusion que ce résultat était assez prévisible.

Ce référendum du Brexit était, en fait, moins un référendum sur l’adhésion à l’UE qu’il n’en était un sur l’immigration. Malgré les quelques arguments vaguement présentés par le camp pro-sortie de l’UE autour de la souveraineté et des sources législatives, le slogan de la campagne du camp pro-sortie de l’UE « Take Back Control » (reprenons le contrôle) faisait surtout référence au contrôle des frontières.

D’ailleurs ce n’est pas par hasard que le vote s’est fait à ce moment de l’année. Beaucoup dans le camp favorable au Brexit ont supporté l’organisation du référendum au début de l’été, et pas plutôt, en misant sur l’impact de la presse à sensation, qui se remplit à ce moment de l’année de photos de réfugiés, principalement musulmans, sur des bateaux désespérés d’être sauvés par l’Europe.

En effet, la rhétorique selon laquelle l’UE est « submergé » par les populations qui fuient leur pays d’origine et qui veulent, pour la majorité d’entre elles, venir vivre et travailler au Royaume-Uni est montée en puissance. Elle a joué un rôle décisif dans le choix des électeurs. L’histoire des migrants du camp de réfugiés de Calais en France, qui cherchent obstinément à traverser la Manche pour aller au Royaume-Uni n’a jamais quitté les titres de la presse Britannique ces derniers mois.

Les perdants de la crise déjà Out

La réalité est qu’une partie peu audible des citoyens de la Grande Bretagne s’est exprimée à l’occasion de ce suffrage. Celle des perdants de la crise ouverte en 2009. En situation d’inégalité sociale croissante et d’augmentation dramatiques du niveau de pauvreté, il est beaucoup plus simple d’accuser les « autres » du malheur qu’on vit, que de voir la vraie source du problème et d’y remédier.

Après la grande récession de 2009, l’économie britannique a connu une faible rémission, cachée derrière la concentration de la richesse à Londres. En dehors de l’îlot que représente Londres, des dizaines de milliers d’emplois de qualité ont été perdus, les salaires ont plongé vers le bas, des milliers d’employés se sont retrouvés soumis à des contrats de travail profondément injustes et les services publics ont connu une dégradation impressionnante à cause des plans d’austérités draconiens mis en place.

Depuis 2010, les mesures d’austérité des conservateurs ont réduit le financement du national Health Services (NHS), le service de santé public Britannique, à un niveau record. Pour avoir eu recours au NHS quelques fois, je peux dire que les effets de l’austérité ont eu un lourd impact sur la qualité du service, qui était devenu presque comparable à celle des hôpitaux Algériens.

Prendre un rendez-vous pour une consultation chez un médecin est un processus qui peut prendre des semaines, voire des mois. NHS n’est évidemment pas un cas isolé, les dépenses sociales et les budgets pour les services publics ont tous subi des coupures conséquentes. Les plus démunis ont donc supporté le poids de l’austérité, et pour beaucoup d’entre eux, il n’y avait plus grand-chose à perdre au moment du referendum.

Les mises en garde des experts en économie sur les risques d’un Brexit sur les Royaume-Uni et la chute prédictible de la livre sterling, ont eu très peu d’échos sur les communautés qui se sentaient déjà exclues de ladite reprise de la croissance dans leur pays et le reste de l’UE.

« Go back to your country »

C’est sur ce sentiment d’aliénation des couches défavorisées que l’extrême droite, principalement représente par le parti UKIP a capitalisé ses efforts en faisant des migrants son bouc émissaire. Que ce soit les Syriens fuyant la tragédie de leurs pays ou des Polonais cherchant du travail, il est facile de galvaniser la haine contre « l’autre » quand les gens ont peur pour leur subsistance.

Ainsi, vers la fin de la campagne, les expressions racistes et xénophobes étaient devenues monnaie courante. Cette montée du racisme n’est, en vérité, pas nouvelle. Elle n’a fait qu’augmenter, au Royaume- Uni et ailleurs en Europe, depuis le début de la crise financière et des plans d’austérité qui ont suivi.

Je n’oublierai jamais ce soir en hiver 2013, où ma colocataire pakistanaise, Sara était revenue à la maison en larmes après s’être faite lynchée dans un arrêt de bus par une femme qui lui criait ‘GO BACK TO YOUR COUNTRY’ (repars dans ton pays). Cette lâche agression n’était pas un cas isolé, mais une illustration scénique du tournant qu’une partie importante de la population britannique prenait.

La stratégie de l’extrême droite qui présente l’immigration comme la source principale des maux du peuple est tellement plus commode que de lancer un débat sincère sur les problèmes derrière les politiques d’austérité appliquées et le problème plus fondamental du système économique actuel qui porte la crise, l’inégalité et l’injustice dans son ADN.

Le résultat du vote du 23 Juin 2016 est l’expression de millions de Britanniques de leur mécontentement profond. Le discours de l’élite économique, qui juge que leurs compatriotes ont « mal voté », les traitants de xénophobes sans éducation, est inutile. Il aurait fallu être plus engagé contre les plans d’austérité consécutifs qui ont fini par mener des millions de Britanniques dans le repli, le nationalisme et la peur de l’autre.

Paradoxalement, c’est ceux à qui on a fait croire que le Brexit était la solution à leurs problèmes qui vont souffrir le plus des conséquences de ce vote (reflux de l’investissement, moins de postes d’emplois offerts, augmentation des prix dû à la chute de la livre sterling…).

D’autres voies pour dire non

Tout n’est cependant pas perdu. Ce qui vient de l’Europe continentale n’est pas que « menace » pour les Britanniques. Les déçus des fausses promesses de la mondialisation capitaliste au Royaume-Uni gagneraient à s’intéresser à l’évolution novatrice de Podemos en Espagne qui se bat pour une justice sociale et une démocratisation réelle de leur système de gouvernance.

L’ironie de l’histoire en tout cas, comme il a été justement noté sur les réseaux sociaux, c’est que ce 23 Juin 2016, le Royaume-Uni, qui a colonisé la moitié du monde à un moment, a peut être voté pour sa perte parce qu’il avait l’illusion d’être colonisé à son tour.

 

 

 

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