Après plus d’une décennie de relations tendues et cinq années de rupture totale, la Jordanie et la Syrie renouent leurs liens commerciaux. Suite à la chute du régime Assad en décembre 2024, le royaume hachémite déploie une stratégie de rapprochement prudente, basée sur deux piliers : l’agriculture et l’énergie. Face au nouveau pouvoir syrien dirigé par le groupe HTS, Amman avance ses pions avec précaution, conjuguant soutien économique et vigilance politique.
Avant la guerre civile de 2011, ces deux voisins entretenaient des échanges florissants, atteignant 500 à 600 millions de dollars annuels. La Syrie servait alors de corridor stratégique pour la Jordanie vers les marchés européens et du Golfe, tandis que les zones frontalières jordaniennes, notamment Mafraq et Ramtha, prospéraient grâce à un commerce dynamique.
Cependant, la guerre civile syrienne a brutalement interrompu cette prospérité partagée. Les échanges se sont effondrés, passant de 500 millions de dollars à seulement 182 millions en 2023. Les exportations jordaniennes vers la Syrie ont chuté de 5,4 % à moins de 1 % du total national entre 2007 et 2023. Cette période a également vu la Jordanie accueillir plus de 660 000 réfugiés syriens, exerçant une pression considérable sur son économie et ses infrastructures.
Agriculture et énergie : les piliers d’une reprise économique
Aujourd’hui, la reprise s’articule autour de deux secteurs stratégiques : l’agriculture et l’énergie. Le secteur agricole connaît une croissance exceptionnelle, comme en témoignent les dernières données du ministère jordanien de l’Agriculture. En seulement 40 jours, les exportations de fruits et légumes vers la Syrie ont atteint 2 600 tonnes, marquant une reprise significative après des années de paralysie commerciale. À titre de comparaison, avant la crise syrienne, ces exportations atteignaient jusqu’à 200 000 tonnes annuellement. Bien que ce niveau reste encore éloigné, les projections pour l’année en cours tablent sur un objectif ambitieux de 50 000 à 60 000 tonnes.
Pour dynamiser ce secteur clé, le gouvernement jordanien a instauré des mesures incitatives, telles qu’une subvention couvrant 50 % des coûts de transport aérien et 25 % des frais d’expédition maritime pour les produits agricoles frais. Ces initiatives visent à maintenir la compétitivité des exportateurs face aux défis logistiques régionaux.
Le secteur énergétique constitue le second pilier de cette coopération renouvelée. En janvier 2025, la Jordanie a initié une opération stratégique d’exportation quotidienne de 500 tonnes de gaz de pétrole liquéfié (GPL) sur une période de dix jours pour soutenir les installations industrielles syriennes. Cette aide énergétique est complétée par un projet visant à fournir jusqu’à 250 mégawatts d’électricité afin de réhabiliter le réseau énergétique syrien.
La réactivation des infrastructures frontalières accompagne cette dynamique économique. Selon le ministre jordanien de l’Industrie et du Commerce, Yarub al-Qudah, environ 500 camions chargés de marchandises ont traversé la frontière en quelques jours seulement. Ce flux logistique permet non seulement d’assurer l’approvisionnement syrien mais ouvre également des perspectives vers les marchés d’Europe de l’Est.
Une reprise sous haute surveillance politique
La reprise des échanges s’inscrit dans un contexte politique complexe. Le leader du groupe HTS, Ahmed al-Sharaa (alias Abu Mohammed al-Julani), désormais à la tête du pouvoir syrien après la chute d’Assad, s’efforce de rassurer ses voisins en affirmant que « la Syrie ne sera pas une plateforme pour attaquer ou inquiéter un quelconque pays arabe ou du Golfe ». Cependant, cette déclaration n’efface pas totalement les inquiétudes régionales liées à la présence d’un groupe islamiste au pouvoir, comme le soulignent des professionnels de médias rencontrés par Maghreb Émergeant à Amman.
Dans ce contexte délicat, la pérennité de cette reprise dépendra largement du maintien de la stabilité politique en Syrie ainsi que de la capacité du gouvernement dirigé par HTS à tenir ses engagements en matière de non-ingérence régionale. Les sanctions internationales toujours en vigueur contre Damas représentent également un obstacle majeur pour normaliser complètement les échanges commerciaux bilatéraux.