Aller vers une nouvelle forme éditoriale adaptée aux nouveaux formats de diffusion sur Internet. C’est le nouveau concept qui tente de s’introduire en Afrique pour « réinventer les médias ». Appelé « Hackathon », « une invention de contraction entre les notions de hacking et de marathon », résume Julien Le Bot, journaliste spécialiste de l’éditorial numérique dans l’émission Entretien de Radio M, la webradio de Maghreb Emergent.
Ce nouveau concept tente de « court-circuiter la manière traditionnelle de faire de l’éditorial » avec une touche de compétition intense avec la notion de marathon. « C’est-à-dire, qu’on est dans une sorte de compétition où pendant un moment intense on essaye de créer une nouvelle forme de narration ou de proposition éditoriale. On peut traduire cela par un marathon créatif au service une nouvelle forme éditoriale sur la toile », explique Julien Le Bot, encadreur du premier Hackathon des médias organisé à Alger, du 15 au 17 octobre 2015, au siège de Maghreb Emergent, autour du thème : « La technologie au service des médias », par l’Agence française de coopération média (CFI) et la plus grande base de données africaine sur le journalisme et les initiatives technologiques civiques « Code for Africa ».
Un projet fédérateur
Pour Julien Le Bot, le hackathon, ce n’est pas seulement un magazine ou un média, mais ça peut être une application centrée sur la communauté, un média centré sur une manière de faire du récit, comme ça peut être une base de données indépendante fabriquée par une ONG. En gros, l’idée, selon lui, c’est juste d’identifier un besoin éditorial qui n’est pas suffisamment pris en charge (par les médias traditionnels) tout en prenant en compte tout ce qui se passe actuellement sur la toile et de fabriquer d’une manière très rapide une nouvelle forme de narration. Le hackathon s’adresse à des gens qui portent en eux des projets médias qu’ils n’arrivent pas à concrétiser sur le terrain. Il fédère des individus venus de différents corps de métiers. Il s’agit d’abord de journalistes « à l’ancienne », devant se tenir aux fondamentaux du métier, qui doivent travailler avec des designers et des développeurs web. Les premiers « fabriquent » les histoires, les seconds mettent en forme et les derniers fabriquent la plate-forme technique. L’objectif étant de travailler des articles avec des formats adaptés à la navigation sur la toile.
Julien Le Bot qui est à son quatrième hackathon, après celui de Madagascar, Tunis et Casablanca, estime que le but de l’agence CFI et de Code For Africa en Afrique est de « soutenir les efforts de transformation du paysage médiatique dans sur l’ensemble du continent africain ».
Décentraliser l’information
« A Madagascar, on a travaillé pendant 48 heures d’une manière intense à identifier les nouveaux projets à porter sur place. A la suite de quoi, nous avons décidé de lancer trois autres hackathons dans les pays du Maghreb en commençant par Tunis, Casablanca et Alger », rappelle-t-il. En Tunisie, un pays extrêmement centralisé, c’est un projet qui a pour vocation de décentraliser l’information et à mieux valoriser le travail des journalistes locaux qui a été distingué. « L’idée du projet, c’est d’essayer de sortir du ronron de l’information tunisoise pour réussir à l’ouvrir à ce qui se passe dans tout le pays grâce à un réseau et une approche sur le mobile qui permet de mieux fabriquer des formats mieux adaptés aux jeunes publics et de permettre ainsi aux tunisiens de comprendre ce qui se passe dans le pays entier ».
A Casablanca, le projet qui a été distingué permet à une audience qui se sentait concernée par l’enseignement supérieur d’améliorer la qualité de l’encadrement pédagogique en collectant des données sur l’absentéisme des enseignants. « Les journalistes vont s’appuyer sur des parents d’élèves pour essayer de quantifier et de déterminer réellement l’absentéisme des professeurs. Derrière tout cela, plutôt que de dénoncer, on va essayer de trouver des solutions. Donc, on va bâtir des rapports qui vont déterminer les endroits où il y a un fort taux d’absentéisme pour s’améliorer ».
A Alger, c’est le projet « Qrib Likoum » (proche de vous) qui a été distingué. Il s’agit d’une plate-forme digitale de signalisation et d’accompagnement d’un problème donné depuis le lancement de son alerte jusqu’à sa résolution finale par les responsables compétents, en passant par l’alerte et l’implication des tous les intermédiaires (citoyens, société civiles, médias etc.). « Qrib Likoum », qui vise la participation des citoyens dans la résolution des problèmes à l’échelle locale, a été conçu par une équipe de designers, de juristes et de journalistes originaires de Annaba. Il avait été retenu pour l’épreuve finale aux côtés du projet « El Beb.info », une plateforme digitale destinée à vérifier l’authenticité et la crédibilité d’une information donnée, à travers un référencement par catégorie ou par géo-localisation.
Améliorer la gouvernance
Tous ces projets se rejoignent sur le point de l’amélioration de la gouvernance, étant donné que l’objectif de « la nouvelle forme de narration est de sortir de l’invective politique pour structurer le débat et consolider la qualité de la discussion », explique Julien Le Bot. Selon lui, les nouvelles manières de traiter l’information avec l’avènement du web qui a transformé le paysage médiatique à l’échelle mondiale, ont suscité une défiance de la corporation des journalistes professionnels. Il admet que les professionnels de la presse se doivent de « défendre leur métier », mais sans perdre de vue la nécessité de l’adapter aux nouveaux modes de diffusion. Pour le cas du hackathon, il est vrai que « le mode narration change, mais le cœur du métier reste : chercher et vérifier l’information », rassure-t-il.