Dans cette interview, l’économiste Kamal Kheffache considère que l’Algérie ne s’est pas adaptée aux exigences de la mondialisation » et que, en se fermant, elle ralentit « le développement économique ».
Il s’est tenu récemment à Paris la quatrième session du Comité Intergouvernemental de Haut niveau sous la Présidence de Edouard Philippe et de Ahmed Ouyahia. A votre avis, qu’est-ce que l’Algérie peut tirer comme profit, notamment dans le domaine économique, de sa coopération avec la France ?
Tout d’abord, il faut rappeler que le Comité intergouvernemental de haut niveau algéro-français a été mis en place par les deux parties à la faveur de la visite officielle en Algérie en décembre 2012 du président français François Hollande. Ce Comité qui est un instrument de pilotage du partenariat d’exception algéro-français a pour objectif de renforcer le partenariat économique et d’identifier de nouvelles perspectives d’investissement entre les deux pays. Depuis la signature de cet accord, trois sessions ont été tenues. La première à Alger en décembre 2013, la deuxième à Paris au mois de décembre 2014, la troisième a eu lieu le 10 avril 2016 et la quatrième s’est tenue à Paris jeudi passé sous la présidence des Premiers ministres des deux pays, Messieurs Edouard Philippe et Ahmed Ouyahia. Depuis la signature de cet accord, les relations algéro-françaises se sont substantiellement développées et ont connu une nouvelle dynamique. A cette occasion, la coopération algéro-française a évolué positivement en passant des relations purement commerciales à des relations de partenariat industriel en réalisant des projets d’investissement dans divers secteurs, notamment l’industrie automobile, l’industrie agroalimentaire, le secteur de l’énergie et le secteur agricole, où un protocole d’accord a été signé pour la mise en place d’un consortium à l’exportation des fruits et légumes du pays ainsi que d’un partenariat dans le domaine des produits agricoles.
A notre avis, à travers ce partenariat d’exception, notre pays peut bénéficier d’énormes avantages dans le domaine économique en saisissant des opportunités et en négociant de manière efficace avec son partenaire français. D’autres accords de partenariats pourront être concrétisés dans d’autres secteurs, tels que le numérique. En effet, une opportunité vient de se présenter où à l’occasion de sa récente visite en Algérie, le Président français Emmanuel Macron, a proposé l’ouverture à Alger d’une école algéro-française dédiée au domaine du « numérique ».
Il est souhaitable à ce que les parties prenantes algériennes (gouvernement et patronat) initient des études de faisabilité de projets de partenariats avec leurs homologues français, dans les différents secteurs pour tirer profit de ce partenariat d’exception.
Le président Français a déclaré, dans un entretien à TSA, que « l’économie algérienne n’est pas ouverte » alors que l’Algérie est considérée par les économistes algériens comme un pays « commercialement ouvert » et « économiquement fermé». Dans quelle mesure les déclarations du Président français correspondent à la réalité ?
En déclarant dans un entretien à TSA que « l’économie algérienne n’est pas ouverte », à mon avis, le Président français voulait signifier que notre pays manque de réactivité pour s’adapter aux exigences de la mondialisation et à la globalisation des économies, en comparaison avec ce qui se fait par les autres pays en développement ou émergents, notamment en matière d’attractivité des investisseurs étrangers. Nos points faibles résident, notamment dans les contraintes liées au foncier, aux modes de financement des entreprises et dans le degré de performance de notre système de contrôle de change. Néanmoins, depuis son ouverture sur les marchés extérieurs, l’Algérie a fourni d’énormes efforts en matière de facilitations et d’avantages accordés aux investisseurs étrangers, notamment en matière fiscale et de transferts de dividendes. Nous pouvons aussi citer les contraintes auxquelles sont confrontés les investisseurs algériens qui souhaitent s’internationaliser en créant des filiales ou des « joint-ventures » en France. Là aussi, je pense que, sans doute, les pouvoirs publics sont en train de se pencher sur cette question pour trouver les solutions adéquates.
Macron a également déclaré que la loi 51/49 est, d’une certaine manière, un obstacle aux investisseurs étrangers tout en disant que l’Algérie est souveraine sur cette question. Selon vous, la suppression de cette règle va-t-elle encourager les investissements étrangers en Algérie ?
Instaurée par la loi de finances complémentaire pour 2009, la règle dite des 49/51%, qui a fixé la part de participation d’un investisseur étranger dans une société de droit algérien à 49% et fait couler beaucoup d’encre, est considérée par certains opérateurs économiques comme un frein au développement des investissements étrangers en Algérie. Conscients de cette situation, les pouvoirs publics ont pris des mesures pour amender les textes qui la régissent pour permettre à l’avenir d’attirer davantage des investisseurs.
Certes cette règle, d’une certaine manière, constitue un obstacle pour certains investisseurs étrangers mais il ya aussi la question de souveraineté de notre pays. A mon avis, l’application de cette règle doit se faire au cas par cas et je pense que sa suppression pour certains investissements dans les secteurs dits « non stratégiques » pourra motiver certains investisseurs étrangers à s’installer dans notre pays, comme par exemple les banquiers, afin d’attirer plus de capitaux étrangers, surtout dans le contexte économique actuel qui est marqué par la baisse des recettes entrainée par la chute des cours des hydrocarbures.
Les Algériens ont pointé du doigt la difficulté d’obtenir un visa pour la France alors que l’Algérie est l’un des pays les plus difficiles d’accès dans le monde. Qu’est-ce que la difficile accessibilité de l’Algérie coûte à l’économie du pays ?
Il est clair que, contrairement à un pays fermé, un pays ouvert en facilitant l’accès aux investisseurs, aux touristes, aux étudiants dans le cadre des échanges scientifiques et aux citoyens étrangers en général dans le cadre des échanges culturels, mène à la stimulation du développement économique, à un accroissement de la productivité et un transfert de connaissances et de savoir faire. Effectivement, la non-facilitation de l’accès aux ressortissants étrangers pour investir (faire des affaires), faire du tourisme ou échanger sur le plan scientifique ou culturel, peut engendrer un manque à gagner.