Cela pourrait s’appeler l’économie algérienne vue de le City londonienne. Kamel Benkoussa a questionné, sur Radio M, la webradio de Maghreb Emergent, les choix économiques stratégiques effectués par les autorités algériennes. Il a particulièrement critiqué l’« ostracisme » dont sont victimes, selon lui, les « capitaines d’industrie » algériens.
Invité mardi dernier de Radio M, la webradio de Maghreb Emergent, l’ex- candidat à la présidence de la république en 2014, Kamel Benkoussa, est aussi un ancien manager de fonds d’investissements à la Bourse de Londres. Il était donc intéressant de l’interroger d’emblée sur une situation des marchés pétroliers et des produits de base qui fait dévisser désormais les bourses internationales et inquiète de plus en plus les dirigeants algériens.
Evoquant la dégringolade des prix pétroliers, Kamel Benkoussa signale, en passant, qu’il avait lui-même pronostiqué un prix autour de 30 dollars, et ce, « dès décembre 2014 », c’est-à-dire bien avant les prévisions de Goldman Sachs sur un prix du baril à 20 dollars qui avaient suscité la même incrédulité en septembre 2015 …
La bonne nouvelle c’est que Kamel Benkoussa, qui s’y entend en prévisions, après avoir relevé que l’évolution des cours pétroliers dépend de nombreux paramètres – dont, principalement, la valeur du dollar et la situation de l’économie chinoise – n’hésite pas à prendre de nouveaux risques. Il annonce un « probable rebond du prix du baril entre 40 et 50 dollars mais pas pour tout de suite », ajoutant aussitôt : « Imaginer dans les années qui viennent un baril à 80 dollars relève de l’illusion. »
L’ex- trader algérien prend un autre risque. Il s’attend, dans la période à venir, à « la faillite de grandes entreprises internationales spécialisées dans le trading qui n’ont pas suffisamment anticipé l’ampleur de la chute des prix des produits de base ». Des faillites qui pourraient, par contagion, affecter également le système bancaire, affirme-t-il.
« Une gestion archaïque des réserves financières »
Vues de Londres, dans ce contexte de plus en plus périlleux, les options retenues par le « système décisionnel algérien » dont parle Kamel Benkoussa apparaissent à beaucoup d’égards comme « archaïques », « défensives » et « inadaptées ».
« Archaïque » d’abord la gestion des réserves financières du pays. Les 150 milliards de dollars de réserves de change annoncées dernièrement par le gouverneur de la Banque d’Algérie sont à la fois « peu et beaucoup » selon le financier algérien. C’est peu de choses et elles seront vite épuisées si « on continue de les utiliser pour financer les importations de biens de consommation » .C’est beaucoup si on sait exploiter « l’effet de levier que peut procurer une partie des réserves de change déposée en bons du Trésor américain pour obtenir des financements de banques internationales dans le but de continuer à financer les projets d’infrastructures du pays ».
Au passage, Kamel Benkoussa met en garde contre l’option toute récente des pouvoirs publics algériens en faveur de financements chinois pour les infrastructures économiques nationales. Il rappelle l’expérience de certains pays africains dans ce domaine qui semble avoir très mauvaise presse dans les milieux financiers londoniens. En substance, le partenaire chinois, souvent des entreprises publiques, reprendraient d’une main en réalisant lui-même les infrastructures, ce qu’il a prêté de l’autre, avec, de surcroît, une fâcheuse tendance à la surestimation, dans des proportions considérables, du coût des équipements réalisés.
« Le crédit à la consommation va soutenir l’importation »
« Inadaptée » et « inopportune » la décision de rétablissement du crédit à la consommation. « C’est une mesure suicidaire », dénonce carrément Kamel Benkoussa : « Il ne faut pas se faire d’illusions dans ce domaine non plus. Le crédit à la consommation ne pourra pas soutenir le produit algérien du fait qu’en dehors de certains produits du groupe Cevital, il n’y pas actuellement d’intégration dans l’industrie algérienne. L’immense majorité de l’industrie algérienne se contente de faire de l’assemblage. L’usine Renault, dont on a beaucoup parlé, ce sont 350 employés qui font du montage. » Dans ces conditions, « le crédit à la consommation va soutenir principalement l’importation ». Même scepticisme à propos des mesures purement « défensives » de contingentement des importations annoncées la semaine dernière : « La solution n’est pas de bloquer les importations mais d’aider les entreprises algériennes à développer leurs exportations. »
« Miser d’abord sur nos capitaines d’industrie »
Mais ce qui choque le plus Kamel Benkoussa, c’est l’ostracisme dont souffrent, selon lui, nos capitaines d’industrie : « Il est inacceptable qu’on continue à dresser des obstacles devant nos industriels les plus performants pour les empêcher de réaliser leurs investissements. » Et d’ajouter : « Un industriel comme Issad Rebrab a une carte de visite qui lui permet de lever des financements internationaux. Aujourd’hui sa signature vaut mieux que la signature de l’Algérie. »
Pour Kamel Benkoussa, les choses sont claires : les pouvoirs publics algériens continuent avec obstination de miser sur les mauvais chevaux. Une démarche illustrée encore récemment, explique-t-il, par des renationalisations et une stratégie de partenariat international avec pour fer de lance un « Fonds national d’investissement (FNI) dont la priorité est de tenter de sauver le secteur public ». Il faut, au contraire, estime-t-il, tout mettre en œuvre pour aider nos champions nationaux et s’inscrire clairement dans une stratégie offensive d’encouragement des producteurs et des exportations nationales : « Avec des entreprises comme Cevital, Benamor, Biopharm et beaucoup d’autres, y compris dans le secteur public, nous avons la possibilité de produire plus et mieux en Algérie et de nous projeter sur les marchés extérieurs. »