Par : Hamza BENAMAR
Non Monsieur le Président, aucun “khabardji” au sein de cette rédaction. Nos contenus ne sont ni validés par vos imprimeries, ni dictés par une puissance étrangère. Ayez le courage de dire que la ligne éditoriale de Radio M et Maghreb Emergent dérange, et nous saluerons votre audace, même tardive. Il est temps que cette manipulation cesse.
Lors du dernier entretien accordé aux “représentants” des médias, le Président de la République Abdelmadjid Tebboune a qualifié notre confrère Ihsane El Kadi d’informateur (khabardji), et nos médias de “choses”. Des propos injurieux, et un concept, celui de la main de l’étranger, qu’il n’a certainement pas inventé. “La main invisible”, “le complot extérieur”, ou encore “la main étrangère”, ce sont autant d’expressions que le régime algérien scande tel un Joker lorsque l’étau se resserre autour de ses intérêts. De l’indépendance au hirak populaire, en passant par le printemps berbère, Octobre 88 ou encore la plateforme de Rome, cette carte fut brandie aux visages d’illustres résistants et hommes politiques comme Hocine Aït Ahmed, Ali Yahia Abdennour, Mohamed Chaâbani, Mohamed Khemisti, Krim Belkacem, ou encore Mohamed Khider pour ne citer que les plus célèbres. Tous ces noms se sont vus blanchis et leur honneur lavé après leur mort. Même le visage du général Toufik fut aperçu à la veillée de feu Aït Ahmed au siège du FFS en décembre 2015. C’est vous dire le comble de l’ironie. La problématique du concept de “khabardjisme”, au-delà de la grossièreté du terme, est qu’il peut être mangé à toutes les sauces. Si le premier venu nous accuse d’intelligence avec une puissance étrangère sans en apporter la preuve tangible (et ne me parlez pas d’un financement assumé et rendu public), ne peut-on pas considérer des membres d’un régime qui ont dilapidé les richesses du pays tout en assurant les intérêts des puissants de ce monde, comme des “khabardjis” ? L’injure est d’une facilité déconcertante comme vous pouvez le constater, aucune plume de cette rédaction ne se permettrait une telle accusation. Pourquoi ne faites-vous pas autant ? A vous entendre parler de Radio M et Maghreb Emergent, le citoyen algérien imagine des réunions secrètes où se trame un complot contre la nation. Nous ne permettrons pas de telles injures à notre encontre, et nous userons de toutes les démarches légales sur le plan national et international pour défendre notre honneur et notre réputation. Le travail qu’accomplit cette rédaction s’apparente à de l’artisanat en voie de disparition à l’heure du copier-coller que nous observons sur les Unes d’une presse que vous semblez considérer comme un gage de la liberté d’expression. Pour avoir fait partie de cette rédaction, je témoigne de l’indépendance totale de la ligne éditoriale et du choix des articles publiés. J’invite quiconque affirmant le contraire à présenter des preuves ou à respecter son droit au silence.
Le silence, Parlons-en !
Depuis le début de l’affaire El Kadi Ihsane et des médias qu’il dirige, rares sont les médias locaux ayant témoigné de la solidarité envers leurs confrères. Il paraît important de différencier les motifs de ce silence. Même si ce phénomène qui ne date pas d’aujourd’hui aboutit dans tous les cas au même résultat (celui de l’abandon d’un confrère), ses raisons varient néanmoins. Certains poids lourds du métier s’abstiennent pour des différends politiques et idéologiques avec El Kadi Ihsane, mais demeurent conscients que son arrestation et la mise sous scellés des locaux d’Interface Médias sont des dangers pour leur profession. Se sachant sur la sellette, en raison de l’absence de régulation, les médias électroniques se contentent de relayer les informations liées à l’affaire El Kadi sans prise de position claire, de peur de se voir subir le même sort. Cependant, et comme nous ne faisons pas dans l’ingratitude, il est important de rappeler que des médias comme Interlignes, 24H Algérie, Casbah tribune, Alter News et d’autres, font exception. Les médias mainstream quant à eux, et pour ne pas changer, ne répondent jamais à l’appel de la déontologie. Dans ce cas précis, elle consisterait à relayer les informations après vérification, à respecter la présomption d’innocence, et le cas échéant, à mettre en avant les faits et les preuves accablant ou innocentant le présumé “khabardji”. Atteints de larbinisme aigu avec l’opportunisme pour mot d’ordre, ils ne manqueront pas de sauter sur leurs claviers pour saluer la libération d’El Kadi Ihsane lorsque celle-ci interviendra.
Nul doute que des individualités dignes composent, même minoritairement, ces rédactions. Mais l’impossibilité de se faire entendre face à une machine à broyer est totalement compréhensible. Personne ne peut leur en tenir rigueur, et pour reprendre le proverbe : que peut faire le défunt lors de sa toilette mortuaire ? Inutile de nous attarder sur les médias qui n’ont de patriotique que le nom ou la conviction illusoire, et qui ont fait de la diffamation sans gêne une ligne éditoriale. Il en est de même pour les pseudo-intellectuels avec un langage savant et des titres, qu’ils soient à Alger, Paris ou Montréal, ceux-là ne servent au régime qu’à donner de la “crédibilité scientifique” au lynchage. Ils devront dans un avenir proche répondre de leurs accusations infondées.
Les outils de la manipulation
A l’ère du numérique, ces pratiques dépassées n’auraient aucune influence sur l’opinion publique sans l’appui des réseaux sociaux. Là encore, le mécanisme est bien huilé. Des comptes fraîchement créés, sans photos, sans amis, et sans publications, viennent alimenter la diffamation, ou à contrario, discréditer nos publications. Leurs commentaires dénigrants et toujours dépourvus d’argumentation, sont suivis par des avis allant dans le même sens, de citoyens parfois convaincus, d’autres fois influencés par ce qu’on appelle désormais grossièrement les “mouches électroniques”. La manipulation de l’opinion via les médias et les réseaux sociaux n’est plus à démontrer. Les rouages de ces méthodes ont été mis à nu par les experts du domaine, notamment en occident où ils peuvent faire basculer une élection présidentielle. Tout individu ou groupe d’individus lynché de la sorte pourrait, lorsqu’il en a la possibilité comme nos médias, riposter avec véhémence en rappelant le passé peu glorieux de certains charognards, qui pas plus tard qu’hier soutenaient les quatrième et cinquième mandats du chef de ce qu’ils appellent désormais “la Issaba”, avant bien évidemment de surfer sur la vague du fameux “Hirak El Moubarek”. Là n’est pas l’objectif de ce texte parmi d’autres dont les auteurs n’aspirent qu’à travailler librement dans le respect de la déontologie journalistique et la liberté de pensée sans se voir traités de traîtres à la nation. Habitué à contrôler les médias depuis l’indépendance en les rattachant au FLN et au ministère de l’Information dans un premier temps, puis par la manne publicitaire depuis 1990, le régime algérien a perdu ces deux moyens de pression depuis l’avènement de certains sites d’information financièrement indépendants de l’Etat. En plus d’une ligne éditoriale qui se démarque, c’est en réalité cette indépendance financière qui dérange. Lorsqu’un média ne se nourrit pas de leur main, il est forcément financé, à leurs yeux, par une main étrangère malintentionnée. La fermeture illégale de ses locaux n’empêchera pas la survie de nos médias, qui ne sont ni les seuls, ni les derniers à résister à l’arbitraire. La place d’El Kadi Ihsane n’est pas en prison. Il n’est ni informateur, ni impliqué dans un quelconque vaste trafic. Cela dit, dans ce dernier cas, il serait peut-être en liberté.