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Algérie

L’Algérie face à la crise : un Quantitative Easing pour quel Qualitative Easing? (contribution)

Par Maghreb Émergent
septembre 26, 2017
L’Algérie face à la crise : un Quantitative Easing pour quel Qualitative Easing? (contribution)

 

Il n’y a pas de solutions miracles à une crise qui est la conséquence d’un aveuglement de plusieurs décennies, estime Othmane Benzaghou. Le recours au financement non-conventionnel n’est pas la panacée, le pays doit engager des réformes nécessaires parfois «douloureuses » mais qui peuvent sur cinq à dix ans inscrire l’Algérie dans sa modernité économique et celle de son environnement régional et international. Une contribution pour un débat sur le modèle économique.

 

 L’histoire économique, comme pour d’autres disciplines historiques, est d’un précieux enseignement pour tenter d’identifier les vertus et défaillances des systèmes économiques et de comprendre les différents mécanismes qui peuvent permettre de juguler et surmonter les effets des crises cycliques qui peuvent s’en dégager.

La théorie keynésienne est un exemple remarquable d’une refonte des paradigmes économiques partagés en leur temps sur une nouvelle théorie économique qui s’est nourrie de la crise de 1929 et des erreurs de jugements qui ont produit des actions aggravantes dont les conséquences ont été terribles pour l’humanité, produisant famines, guerres et massacres.

Une discipline qui tisse des ponts divers avec d’autres sciences, notamment les sciences politiques et sociologiques de part la nécessité de penser les mécanismes sociaux, les environnements réglementaires et organisationnels, et les ressources matérielles et immatérielles qu’il est possible de mobiliser et déployer à travers divers instruments exigeant une diversité de compétences et des connaissances des agents économiques, devant répondre à une rationalité sous l’impulsion des dynamiques sociales et leurs aspirations à la promotion.

Méfiance endémique à l’égard du commerce international

L’histoire économique algérienne d’une lointaine tradition agricole puis commerciale n’a pu ou su s’arrimer à la révolution industrielle qui se déroulait en Europe au 18 et 19 siècles pour différentes raisons politiques. Une économie tournée sur la taxation de l’activité pour des besoins impériaux a relégué l’ambition collective d’une croissance autocentrée autours d’un état « rationalisateur » au second plan à l’époque ottomane.

La présence française n’a pas fondamentalement changé cette réalité mais accentué l’expropriation et modernisé les outils de production pour de meilleures productivités agricoles, versant ses subsides à l’empire et à une faible population de privilégiés, essentiellement européenne, même si certains d’entre eux étaient embarqués dans le système colonial et n’en percevaient qu’une part bien réduite de subsides, reléguant la grande majorité des algériens à une pauvreté insupportable.

L’État algérien en construction après l‘indépendance s’est inscrit tant dans la décolonisation de son système économique que par la réappropriation de son rôle central de « rationalisateur », de planificateur, voir même d’agent économique principal devant nationaliser les résidus du système colonial, en terres agricoles et ressources naturelles.

L’industrialisation à marche forcée qui s’en est suivie devait rattraper des siècles de retard, et installer les bases d’une plus grande diversification économique à travers l’installation d’une industrie lourde permettant de produire les entrants pour des industries légères futures.

Un modèle suivi par plusieurs pays en voie d’industrialisation, mais probablement plus imprégné par des considérations politiques, d’indépendance nationale sur son destin économique sous des objectifs d’intégration nationale maximale de la production que par la viabilité du modèle économique dans un environnement d’échange des facteurs de production pour en garantir la plus adaptée création de valeur.

Cette méfiance endémique envers le commerce international, historiquement imprégnée par l’expansion coloniale, puis néocoloniale est perçue comme opposée à toute velléité d’émancipation économique.

Elle engage des liens, des dépendances qui contrastent avec l’esprit même d’indépendance brocardé comme la suprême vertu, issue de cette formidable révolution nationale devant prôner l’indépendance dans  tous les domaines de la vie nationale.

 

Une mystification vivace

 

Une mystification encore très vivace 55 ans après l’indépendance, qui exige des algériens ce parachèvement subliminal, nostalgique d’une période d’espoirs dans les années qui ont suivi l’indépendance, dont les excès se sont transformés en désespoirs, accentués par des questionnements réels sur les modèles de gouvernances, les modèles de développement, les modèles de société.

Des nostalgies qui oublient que la nationalisation des ressources naturelles, qui rentre bien justement dans cette marche vers le parachèvement national, n’a été conçue qu’à 51%, prenant toute la mesure de l’apport des partenaires internationaux dans la valorisation de cette ressource nationale.

Il s’avère justifié sur un secteur stratégique, où les potentialités nationales permettent une répartition de la valeur ajoutée adaptée, malgré des difficultés conjoncturelles à attirer les partenaires sur des rentabilités jugées faibles. Il peut s’avérer inappropriée dans d’autres secteurs, où la part de l’apport national, devrait mieux s’inscrire dans la chaîne de valeurs mondiale, bénéficiant des avantages comparatifs qui justifie une progressive plus grande localisation de la valeur ajoutée nationale et l’implantation d’écosystèmes permettant à d’autres secteurs de plus grandes synergies et apport national.

La pérennité des investissements est un éternel sujet de questionnement économique qui voient des industries se transformer, des services s’adapter, et des emplois se créer, se détruire pour s’adapter aux nouvelles exigences et compétences et à des marchés nationaux, régionaux et internationaux en constante mutation.

Cette marche du monde est souvent vue avec méfiance, puisque assimilée à une financiarisation extrême de l’économie. Où la recherche du profit peut justifier des transferts de capitaux d’une entreprise à une autre, d’un secteur à un autre, d’un pays à un autre. La performance économique est vue comme un moyen de dégager plus de profits, toujours aussi mal répartis entre le capital et le travail.

Ceci engendre bel et bien des secousses sociales et autant de dégâts tout aussi délicats à juguler que ne sont armés les collectivités et états pour résister aux excès de ce type de capitalisme. Ces risques réels engendrent un rejet d’un système économique qui exploite les ressources présentes, les épuise à la recherche perpétuelle de nouveaux gisements de croissance.

Ceci ne devrait pas nous empêcher de juguler ces risques par des dispositifs adaptés, des gardes fous de divers types, qu’il est possible de déployer tant en terme réglementaire qu’en terme économique qui permettent le réinvestissement de la valeur ajoutée, faisant de ses propres avantages comparatifs des atouts dynamiques pour une grandissante attractivité économique, et une judicieuse participation nationale, selon les objectifs de marché nationaux, régionaux ou internationaux.

 L’Algérie est un grand pays qui a les moyens d’une certaine intégration nationale, pouvant tirer profit de  certaines ressources et son marché offrant des débouchées nationales ou régionales à une production localisée comme stabilisateur face à des marchés internationaux parfois fluctuants.

Un environnement économique qui est accompagné par une demande publique forte, une classe moyenne à consolider et un investissement continu dans l’éducation est autant de gage d’avenir et de perspective de croissance.

Cette solidité structurelle doublée d’un faible endettement peut permettre d’engager de nouveaux modèles économiques qui ne doivent plus faire de l’État l’acteur central économique, mais l’animateur et le régulateur d’une économie pouvant exploiter plusieurs moteurs de croissance.

Les facteurs de risque macro-économiques endogènes et exogènes ainsi diversifiés peuvent permettre des adaptations graduelles des politiques publiques qu’une structure macro-économique exagérément corrélée à quelques ressources naturelles à forte volatilité exogène contraint à des ajustements brutaux.

Une gouvernance aveuglée par des indicateurs éphémères

Au lieu de constituer un facteur stabilisateur, par une utilisation raisonnée de cette ressource garantissant un certain niveau de commande publique, et une politique monétaire et de change stabilisée par une monétisation raisonnée de la ressource naturelle, l’asservissement de l’économie nationale à cette unique source de financement a exactement généré l’effet inverse, puisque dépourvus d’amortisseurs et d’outils contra-cycliques  qui peuvent rassurer les potentiels partenaires sur la viabilité à long terme du modèle de croissance.

Pire, les contrecoups des changements de caps d’une gouvernance aveuglée par des indicateurs éphémères qui n’a pas pris la juste mesure des forces et des fragilités de l’économie nationale. Aveuglée également par un souverainisme exacerbé qui peut brider le développement national, et qui, paradoxalement, augmente la dépendance vis-à-vis des marchés internationaux par une dépendance accrue à une mono-ressource au lieu  de diversifier les partenaires internationaux, les gisement de croissance et les possibilités de développement futures.

Des postulats qui ont épuisé les ressources appréciables disponibles et qui recourent aujourd’hui à l’endettement dit non conventionnel, laissant aux générations futures un tissu économique problématique et difficile à redresser et une dette grandissante.

Ils claironnent comme une trouvaille ingénieuse le financement non-conventionnel, considéré comme la solution à une crise de modèle économique, mais oublient de dire, que le quantitatIve easing est un ensemble de mesures destinées à fluidifier des mécanismes financiers qui se grippent suite à une crise de confiance et de liquidité.

 Quand les mécanismes de financement de l’économie sont balbutiants, il ne s’agit plus d’arborer le quantitative easing comme la panacée contre le financement public dispendieux devenu rare, mais de penser le Qualitative Easing, comme moyen de permettre un système de financement de l’économie sur de véritables ressorts de croissance, capables de capter et sécuriser l’épargne, et d’irriguer les circuits économiques par une sélection minutieuse des projets les plus viables économiquement dans un environnement qui stimule la productivité et la performance économique.

 Au lieu de favoriser une allocation vertueuse des ressources bancaires, on continue par des dispositifs de subventions larges et indiscernés, d’une fiscalité parfois trop généreuse et injustement répartie d’allouer les ressources disponibles sur une forte concentration sectorielle d’investissements, évinçant d’autres secteurs non favorisés par des politiques publiques restrictives.

Les risques inflationnistes qui peuvent en résulter sont réels et nécessitent une utilisation pondérée de ces dispositifs, et une maîtrise redoublée des autorités monétaires qui peuvent cibler une inflation, comme le décrit remarquablement le prix Nobel d’économie Paul Krugman, permettant une meilleure fluidification économique par une meilleure allocation des ressources, une mobilisation accrue de l’épargne, pouvant permettre un meilleur rééquilibrage budgétaire et une plus grande rétribution des moteurs de la croissance. 

Choc pétrolier de 1986, erreurs et conséquences

Les erreurs commises suite au choc pétrolier de 1986 ont engendré une cascade de conséquences désastreuses pour le pays par de mauvaises décisions économiques.

Les leçons keynésiennes récusant des politiques d’austérité sévères peuvent permettre des ajustements graduels de la dépense publique sans gripper les moteurs de la croissance, et justifier des modes de financement non conventionnels de l’économie. Mais elles ne peuvent faire l’économie d’une remise en cause profonde du modèle de croissance qui peine à se dessiner sur une stratégie intelligible et partagée.

Il est toujours difficile en des périodes de crises de prétendre d’un coup de baguette magique régler les problèmes qui se sont accumulés et enchevêtrés depuis des années, pour ne pas dire des  décennies. Tout homme politique, expert économique ou autre acteur qui prétend détenir seul la clef du futur miracle algérien est ou un doux rêveur, un imposteur, ou un bonimenteur.

 La crise que vit l’Algérie, pour paraphraser un ancien président dans un discours à l’aube de tremblements majeurs, fait partie de la vie des nations qui ont besoin dans ces moments d’apprendre de leurs erreurs, de redéfinir des caps, de mobiliser les meilleures ressources et d’opérer des réformes graduelles et adaptées avec une vision lucide des priorités et des possibilités.

 La politique étant l’art du possible, ne doit-on pas s’atteler à définir des objectifs politiques et économiques réalistes avec une concertation la plus large possible, permettant ensuite à une équipe de réformateurs chevronnés de mettre en place les réformes nécessaires, parfois douloureuses, mais qui peuvent dans un délai de 5 à 10 ans inscrire l’Algérie dans sa propre  modernité économique et celle de son environnement régional et international, par une bien meilleure allocation de ses ressources matérielles et immatérielles.

 

 (*) Expert en risques financiers

 

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