Selon l’économiste Mohamed Achir, en investissant dans le secteur automobile, « le gouvernement a agi dans la précipitation à cause d’une facture d’importation ayant frôlé les 7 milliards de dollars, » ce qui veut dire que ce choix ne repose sur aucune stratégie.
Maghreb Emergent : L’ex-ministre de l’industrie, Mahdjoub Bedda a mis en place un comité de réforme du cahier des charges relatif au secteur automobile. Il a exigé un taux d’intégration plus important. Avec l’arrivée de Yousfi, cette réforme semble écartée. Quel regard portez-vous sur ce secteur dans sa situation actuelle sachant que la contribution du secteur au PIB est passée de 15% au début des années 1990 à 3% à 6% aujourd’hui?
Mohamed Achir : En Algérie, paradoxalement, l’augmentation des revenus du pétrole a aggravé davantage le phénomène de la désindustrialisation. L’industrie ne contribue qu’à environ 5% du PIB, avec des taux faibles en termes d’intégration et de compétitivité. Les ressources financières générées par l’exportation des hydrocarbures ont favorisé une certaine tertiarisation de l’économie (services et commerce) et surtout la flambée des importation et des dépenses de consommation sans pour autant générer une homogénéisation sociale susceptible de relever le niveau de vie des classes moyennes. En effet, ce phénomène ne peut pas être appréhendé exclusivement dans son aspect économique. Il est multidimensionnel et nous invite à adopter une approche historique, culturelle et politique du développement et surtout braquer les projecteurs sur la dimension institutionnelle et structurelle. La question ne se limite pas donc à l’élaboration d’un simple cahier des charges, mais dans la capacité du gouvernement à faire sortir l’économie de sa culture rentière et créer une compétitivité structurelle permettant la génération d’une économie de production compétitive.
Certains experts disent que pour que les usines de montage automobile soient viables, elles doivent produire en moyenne 200 000 unités/an. Or, aucune des usines mises en place en Algérie ne va les produire. Dans le contrat de Renault, il est prévu que cette usine produise à terme 150 000 véhicules alors qu’en Iran, par exemple, Renault va commencer par produire 150 000 pour atteindre à terme 350 000. A quelle logique obéit le gouvernement algérien en faisant de tels choix ?
Ce n’est pas seulement le nombre de voitures à produire par an qui conditionne la rentabilité d’un projet du secteur automobile. Le secteur de l’automobile est très fortement concurrentiel. Il est en bouleversement grâce à l’accélération de la mondialisation et la forte diffusion des technologies de l’information et de la communication(TIC). Les grands constructeurs automobiles sont en quête d’optimisation des couts et de la rentabilité à travers la maitrise de l’innovation, la numérisation, la logistique internationale, la consommation d’énergie, etc. Ils sont également face au défi de l’exigence environnementale et doivent développer des voitures électriques et hydriques.
L’Algérie ne présente pas des atouts lui permettant de s’insérer rapidement dans cet écosystème complexe. C’est pourquoi il n’est pas facile d’exiger un taux d’intégration au démarrage. Faut-il souligner que c’est la capacité d’innovation opérationnelle des équipementiers automobiles qui procurent des marges bénéficiaires aux constructeurs et ces derniers sont en concurrence rude pour s’adapter à des besoins nouveaux des clients, notamment en termes de numérisation et d’économie d’énergie. Est-ce que l’Algérie dispose d’une compétitivité structurelle et d’une banque des sous-traitants capables de s’insérer dans cette chaine de valeur concurrentielle ? Je pense qu’il faut un temps nécessaire pour l’apprentissage et le développement de cette industrie et surtout faire un ciblage stratégique des marques à développer. Le gouvernement a agi dans la précipitation à cause d’une facture d’importation ayant frôlé les 7 milliards de dollars.
Le gouvernement algérien présente l’industrie automobile comme locomotive de l’industrialisation. Or, celle-ci est loin d’être prometteuse. C’est, comme dirait Bedda et bien des économistes, de « l’importation déguisée ». Cela veut-il dire que l’industrialisation du pays est remise aux calendes grecques ?
L’économie algérienne s’est basée sur des recettes externes et des importations. L’activité domestique étant très faible et les recettes externes n’ayant pas été transformées en économie productive intégrée. Les ressources financières abondantes générées par le pétrole n’ont pas produit un effet d’entrainement pour l’offre nationale industrielle. Aujourd’hui, on veut rapidement rattraper le retard. Ce n’est pas possible à court terme. L’industrialisation est un processus long et nécessite des réformes structurelles et la mise en place d’un système national d’innovation qui doit être articulé avec le système de formation et impliquer la diaspora algérienne. Il ne suffit pas de faire des déclarations d’intention et de remettre en cause partiellement des mesures administratives des équipes dirigeantes précédentes. Il faut rappeler que le système institutionnel est globalement rigide et présente des contradictions dans son fonctionnement et ses lois. Il faut instaurer une administration économique qui favorise l’attractivité de l’environnement des affaires et mettre en place un système de recherche et développement au service des filières industrielles à développer.
Quelles sont les filières industrielles sur lesquelles le gouvernement peut s’appuyer pour lancer une industrialisation viable sans trop de fanfaronnade ?
Je pense qu’il faut d’abord faire l’audit du secteur public marchand industriel (SPMI), consolider les entreprises stratégiques avec une profonde réforme managériale et actionnariale et engager une véritable stratégie industrielle intégrée susceptible de mobiliser le potentiel du secteur privé national et l’apport de la diaspora et des partenaires étrangers. Quant aux filières à développer, le ministère de l’Industrie a identifié, il y a deux ans, 13 filières à encourager : l’industrie sidérurgique et mécanique, automobile, chimie industrielle, agroalimentaire, textile…. Un régime fiscal incitatif a été également adopté dans le code de l’investissement, mais on ne relève ni une doctrine claire de ladite stratégie ni des objectifs à atteindre à moyen et long terme. On assiste à l’instabilité et l’incohérence des différentes décisions à cause de l’absence d’une palification stratégique et des instituions dédiés au développement économique. L’environnement institutionnel et le système de gouvernance constituent de vrais freins à la croissance et l’industrialisation du pays.