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L’éclatant succès de l’Econometric Society meeting d’Alger et l’essentiel enjeu de l’ouverture scientifique (Tribune)

Par Saïd Djaafer
juillet 3, 2017
L’éclatant succès de l’Econometric Society meeting d’Alger et l’essentiel enjeu de l’ouverture scientifique (Tribune)

 

Le professeur Boucekkine qui dirige plusieurs projets de recherche à Aix-Marseille schools of economics et a conseillé le gouvernement algérien au sein de la task force en 2016-2017 nous a adressé cette importante tribune.

 

 L’éclatant succès de la conférence africaine de l’Econometric Society, qui a eu lieu la semaine dernière à Alger, donne finalement beaucoup de motifs de satisfaction et d’espérance. Ce n’était pas gagné d’avance.

Hommage vibrant soit ici rendu  à nos compatriotes,  Nour Meddahi et Kaddour Hadri, pour avoir été capables de faire venir dans notre pays quelques-uns des économistes les plus brillants des dernières décennies, un casting digne des conférences mondiales les plus huppées, et pour avoir tenu fermement le gouvernail aux moments les plus décourageants de l’organisation (et il y en a eu).

Hommage aussi à la Banque d’Algérie, organisatrice locale au capital organisationnel très impressionnant encore intact. Enfin, qu’il me soit aussi permis de saluer ici El Kadi Ihsane pour son regard passionné sur la science économique, et surtout sa fort compétente couverture de l’événement, saluée par quelques-uns de nos illustres invités. Cette satisfaction exprimée (comme un soulagement), il est de toute première instance que nous tirions de ce happy-end quelques enseignements utiles pour le pays.

 

Un pays encore peu ouvert aux grandes kermesses scientifiques internationales

 

Nous pâtissons encore de certains traits bureaucratiques hérités du système politique dominant dans les années 70. A titre d’exemple, quelques heures seulement avant le commencent de la conférence d’Alger, nombre de visas n’étaient pas encore délivrés.

Autre exemple plus récurrent encore: des compatriotes qui désirent organiser des conférences de haut niveau dans leur pays se voient souvent rétorquer : « Va donc au Maroc ou en Tunisie, ils sont plus habitués à organiser des événements internationaux ! ». Ces blocages et autres manœuvres visant à décourager les plus vaillants sont plus souvent l’œuvre d’individus situés à des niveaux hiérarchiques moyens.

L’ancien Premier Ministre, Abdelmalek Sellal, grand pourfendeur du « hna fi hna », a approuvé sans l’ombre d’une hésitation l’organisation de la conférence annuelle de l’Econometric Society à Alger comme il a du reste approuvé celle de l’ASSET (Association Sud-Européenne d’Economie Théorique) que j’ai l’honneur de présider depuis janvier 2017, et qui aura lieu fin octobre 2017.

 Il n’empêche, sans le dévouement du staff de la Banque d’Algérie constamment aux côtés de Nour Meddahi, la conférence dont nous sommes en train de célébrer le retentissant succès aurait pu parfaitement être torpillée, et de bien des manières. La très faible participation institutionnelle locale et la couverture médiatique peu conséquente sont autant de symptômes de la délicatesse de la tâche. Dans n’importe quel pays occidental, la présence concomitante de Jean Tirole, Philippe Aghion et Drew Fundenberg aurait suscité bien plus d’égards de l’environnement médiatico-institutionnel.

Il faudra bien en tirer les conclusions. Notre pays est encore malheureusement insuffisamment ouvert sur le plan scientifique. C’est valable aussi bien dans les sciences humaines et sociales comme l’économie qu’en sciences dures. Une partie du problème est d’ordre organisationnel. Faudrait-il toujours mobiliser la Banque d’Algérie pour tout événement d’envergure en économie ou en finance ?

 Une autre partie, toute aussi significative, vient de l’enracinement de la culture du « hna fi hna » dans nombre de milieux scientifiques et institutionnels nationaux. Il y a quelques années, j’ai sollicité quelques compatriotes ayant des responsabilités au pays pour faire rentrer l’Algérie dans l’International Economic Association (IEA), avec à la clé de nombreux avantages en termes d’interactions scientifiques et de formation.

 A l’époque, le président de l’IEA était Joseph Stiglitz et le secrétaire général était Omar Licandro (un vieux compagnon de route), qui est toujours en place du reste. Malgré de nombreuses relances, y compris de l’IEA que j’ai eu la malencontreuse idée de mettre dans la boucle, l’entrée de l’Algérie dans l’IEA n’a pas eu lieu.

 

Un enjeu économique

 

L’ouverture scientifique a un double enjeu économique. D’abord, il y a un enjeu fondamental en termes de formation. Dans le domaine économico-financier, nous souffrons d’une obsolescence très importante du capital humain. Il m’arrive d’avoir des sueurs froides en pensant à l’énorme mismatch qu’il y a entre nos besoins en compétences de pointe pour mettre en place des marchés financiers opérationnels, essentiels pour le décollage économique du pays, et notre capacité à produire ces compétences.

La Banque d’Algérie a fait des efforts, mais l’ESB (Ecole Supérieure de Banque) ne produit pas suffisamment de cadres de ce niveau et nombre d’entre eux se sont déjà expatriés. L’ouverture scientifique, notamment en économie et finances où le déficit en formation d’élite est énorme, permet de construire des coalitions internationales stables et efficaces qui non seulement facilitent la mise au point de filières d’excellence, mais aussi attirent les jeunes algériens les plus talentueux et les plus motivés.

 Dans cette perspective, Nour Meddahi est en discussion avec l’ESB et la Banque d’Algérie pour la création d’un Master d’excellence en économie quantitative, mais il est essentiel que ce type d’initiatives soit pris dans bien d’autres universités algériennes et dans bien d’autres domaines. 

 Enfin, l’ouverture scientifique donne accès à un formidable réservoir d’interactions de haut niveau qui ne peut être qu’avantageux aussi bien pour nos enseignants-chercheurs et doctorants que pour la conduite des réformes économiques dans notre pays.

Parmi les grandes stars présentes à Alger la semaine dernière, le cas de Philippe Aghion est emblématique. Ce très grand théoricien de la croissance, nobélisable depuis un certain temps déjà, a été tout émerveillé de découvrir l’Algérie « à un tel niveau de développement », m’a-t-il concédé.  

Son lien avec notre pays est en vérité plus viscéral : il est le neveu de Henri Curiel, ancien porteur de valises du FLN, fondateur de Solidarité, assassiné à Paris par les nostalgiques de l’Algérie Française fin des années 70. De l’avis général, sa lecture à Alger la semaine dernière a été la plus dense et la plus aboutie de toutes. Incidemment, elle montre un chemin de réforme pour notre pays, et Philippe Aghion a explicitement formulé le vœu de participer à toute initiative approfondissant la réflexion sur les voies de réforme en Algérie.

 

(*) Raouf Boucekkine est Professeur des universités, directeur de l’Institut d’Etudes Avancées d’Aix-Marseille (IMéRA)

 

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