« L’absence de cap qui a le soutien de la majorité des forces vives du pays est ce qui nous inquiète le plus », écrit l’économiste Nour Meddahi dans un document rendu public vendredi.
Nour Meddahi franchit le pas. L’économiste, professeur d’économétrie et finances à la Toulouse School of Economics, exprime son inquiétude face à « l’absence de cap » de l’économie algérienne. Dans un long texte rendu public vendredi, il maintient son analyse sur la nécessité de réformes économiques profondes, mais il situe désormais le problème sur un terrain politique.
« C’est le président qui doit mener les réformes en discutant avec les partenaires sociaux, en faisant les arbitrages et en s’adressant à la Nation pour expliquer les choix douloureux, écrit-il. Il réfute l’idée que les décisions à prendre soient de simples mesures techniques pour s’adapter aux fluctuations des revenus extérieurs du pays. « Les réformes structurelles de grande envergure, de fait impopulaires, ne peuvent être faites par un Premier ministre qui peut être débarqué du jour au lendemain », ajoute-t-il.
M. Medahi avait été associé à la réflexion sur les moyens de faire face à la chute des prix du pétrole. Il avait publié plusieurs documents sur la question lorsque M. Abdelmalek Sellal était à la tête du gouvernement. Résultat plus notable de cette réflexion, la « trajectoire budgétaire » qui devait contraindre le gouvernement à se soumettre à un stricte discipline budgétaire, politique abandonnée par M. Ahmed Ouyahia au profit du « financement non conventionnel ».
Feuilles de route divergentes
Nour Meddahi se place sur un terrain résolument politique quand il évoque les acteurs en compétition au moment où le pays traverse la crise actuelle. Il parle notamment des puissances d’argent, surreprésentées, alors que les autres catégories sociales sont absentes. « Les priorités et les ressources nécessaires doivent être définies. Les oligarques et les ultra-libéraux ont leurs priorités qui sont clairement affichées. Ils ont les moyens financiers (provenant de l’étranger pour certains) pour payer des études, organiser des évènements et financer des médias pour promouvoir leurs priorités. La gauche a un rôle historique dans la défense de l’Etat social. Elle est totalement désorganisée et presque inaudible. Elle doit absolument avoir un programme social soutenable dans le temps et loin de toute démagogie, ce qui implique un programme chiffré et soutenable. Dans le cas contraire, c’est les oligarques et les ultra-libéraux avec l’aide des organisations internationales qui vont établir ce programme ».
Rien à attendre de Ouyahia en matière de réformes
S’attend-il à une action du gouvernement pour réformer l’économie ? « Le plus probable est que rien d’important ne sera fait d’ici avril 2019. Le pire, à savoir le maintien du statu quo jusqu’à épuisement des réserves de change, n’est pas exclu », écrit-il.
Il regrette que les dirigeants algériens n’aient pas mené les actions nécessaires quand la situation était plus favorable. « Au début du contre-choc pétrolier », rappelle-t-il, « le pays possédait deux atouts majeurs pour faire face à la crise : une épargne importante (FRR) et des réserves de change très importantes » s’élevant à près de 200 milliards de dollars. Plus de trois ans plus tard, l’épargne a été totalement dépensée comme la moitié des réserves de change. Les niveaux des déficits budgétaires et de la balance des paiements sont à des niveaux extrêmement élevés ».
L’économiste met également en doute les prévisions du Gouvernement. « Un déficit de près 2.000 milliards de dinars est annoncé pour 2018. Comment croire que le déficit annoncé de 600 milliards de dinars pour 2019 sera respecté pour une année électorale, au moment où la première trajectoire budgétaire a été piétinée ? », se demande-t-il.
Mauvis présage
Certes, admet-il, « le niveau actuel des réserves de change permet d’utiliser un financement monétaire car la Banque d’Algérie est appelée à faire des bénéfices de change. Ce financement ne règle ni le problème de dépenses excessives par rapport aux ressources du pays, ni les problèmes structurels de l’économie du pays. Il donne de l’air pour que le Gouvernement fasse l’ajustement. L’annonce d’un déficit de 2.000 mds DA pour 2018 est un mauvais présage ».
Pour Nourd Meddahi, « il n’est plus possible de continuer sur la même trajectoire étant donné la contraction des ressources du pays ». Par contre, « il est vraiment urgent de réduire le train de vie du pays et de lancer les réformes structurelles ». Ce n’est pas le choix du Gouvernement Ouyahia, dont la politique « n’a rien de rassurant en ce qui concerne le redressement des finances publiques. Une importante échéance électorale est prévue dans 17 mois. L’absence de cap qui a le soutien de la majorité des forces vives du pays est ce qui nous inquiète le plus ».