Cependant, les spécialistes sont formels. L’emprunt ne réglera rien. Seuls les investisseurs institutionnels seront tentés d’y souscrire. Pour les autres, notamment les détenteurs d’argent informel, il y a des débouchés plus rentables, comme l’achat de devises. Pour le gouvernement, l’équation reste donc entière: comment utiliser l’argent de l’informel pour compenser partiellement le tarissement de l’argent des hydrocarbures?
En annonçant le lancement prochain d’un emprunt obligataire pour faire face à la baisse des ressources financières du pays, Abdelmalek Sellal a fait un premier pas vers un retour à l’endettement, sans toutefois s’engager sur un terrain qui a laissé de mauvais souvenirs chez les Algériens. Agissant dans une tradition nationale bien établie, le Premier ministre a, en effet, ouvert une brèche, tout en se ménageant une sortie de secours si les choses tournent mal. Un emprunt interne n’a pas d’incidence majeure sur l’économie du pays, mais il permet d’aller sur un terrain contesté, au cas où la conjoncture l’imposerait.
Dans sa démarche, M. Sellal hésite. Il fait état d’une initiative qui aurait pu être intéressante si elle faisait partie d’une démarche globale et cohérente, destinée à réorganiser l’économie, à relancer la croissance et à limiter l’impact du déficit budgétaire. “Les bonnes affaires se font avec l’argent des autres”, déclarait à Maghreb Emergent un dirigeant d’une grande entreprise. Mais tel qu’énoncé, le projet d’emprunt ne constituera qu’une velléité isolée, sans suite ni incidence significative sur les équilibres financiers du pays. Il peut même se révéler contre-productif.
Les économistes se posent déjà une série de questions: à combien s’élèvera l’emprunt envisagé par le gouvernement? Dans quels délais pourra-t-il être lancé? Avec quels objectifs? Mais d’ores et déjà, relève un ancien PDG de banque, l’emprunt devrait intervenir une année après la fameuse offre de “mise en conformité fiscale”, une formule censée attirer l’argent informel vers les banques contre une taxe forfaitaire de 7%.
Impact économique limité
Lancée en août 2015, l’initiative d’amnistie fiscale est un fiasco. A peine 250 personnes y ont eu recours, pour des montants insignifiants. La récolte a été si faible qu’aucun haut responsable n’a osé en révéler le montant. Pourtant, le gouvernement estime à 40 milliards de dollars l’argent circulant dans l’informel. Le ministre des Finances, Abderrahmane Benkhalfa, espérait en capter une partie pour faire face à la rareté de l’argent qui se profile.
Ce n’est qu’une fois l’échec de la mise en conformité consommé que le gouvernement a décidé d’envisager une autre démarche, avec l’emprunt obligataire. Mais entre-temps, le pays a perdu une année, alors que les ressources financières continuent de fondre. Le temps d’affiner le projet d’emprunt obligataire, de le lancer, de collecter l’argent, de faire un premier bilan pour se rendre compte qu’il sera en-deçà des attentes, une autre année risque d’être perdue.
Pourtant, les spécialistes sont formels. L’emprunt ne réglera rien. D’une part, il n’est pas assez attractif. A cinq pour cent, il couvre à peine l’inflation. Seuls les investisseurs institutionnels, ceux qui obéiront docilement à leur tutelle bureaucratique, seront tentés d’y souscrire. Pour les autres, notamment les détenteurs d’argent informel, il y a des débouchés plus rentables, comme l’achat de devises, qui n’offre pas de difficultés particulières.
Capter l’argent informel
Pour le gouvernement, l’équation reste donc entière: comment utiliser l’argent de l’informel pour compenser partiellement le tarissement de l’argent des hydrocarbures? Deux sources de financement sont sollicitées: le Fonds de régulation des recettes, qui risque d’être épuisé fin 2017, et la baisse du dinar, qui génère des recettes supplémentaires.
L’amnistie fiscale et l’emprunt obligataire interviennent comme des mesures d’appoint. Leur impact sera limité, mais elles auront un rôle important à jouer pour la suite: elles pousseront l’Algérie à apprendre de nouveau à gérer la rareté. Entrepreneurs publics et privés apprendront à emprunter selon les dures règles du marché, plutôt que d’obtenir de l’argent sur injonction. Et si l’emprunt passe par la Bourse d’Alger, comme le suggère le patron de cette institution, Yazid Benmouhoub, il permettra au moins de dynamiser une structure appelée à jouer un rôle central dans la régulation et le financement de l’économie.