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Idées

L’épopée du fait national algérien et le rêve brisé (contribution)

Par Yacine Temlali
juillet 6, 2017
L’épopée du fait national algérien et le rêve brisé (contribution)

La nation algérienne est née dans la douleur, la souffrance, l’oppression et l’adversité. Sa cohésion n’aura d’égale que la déflagration de Novembre 1954 qui a cimenté les liens nationaux au-delà des clivages régionaux, tribaux et sociaux. Si le peuple dans sa majorité a adhéré spontanément à l’action armée comme unique voie de salut, l’élite politique est restée divisée*.

 

  

Pourquoi les Algériens ont-ils, de tout temps, résisté à toutes les invasions étrangères qui avaient toutes, au-delà des discours lénifiants, des dénominateurs communs : l’expansion, l’occupation et l’acculturation?

Les Algériens, à l’instar des peuples qui se sont opposés aux occupations étrangères, n’ont jamais accepté la domination. La liberté a toujours été un idéal sacré et le moteur de toutes les dynamiques ayant marqué les populations qui ont toujours vécu dans cet espace géographique qu’est l’Algérie.

Si avant 1830 on ne peut parler d’une nation au sens moderne du terme, ni du fait national, pour des raisons objectives dues essentiellement à la nature des Etats que le Maghreb central à connu depuis au moins les Rostomides jusqu’à l’occupation ottomane, les liens historiques, linguistiques et cultuels ont forgé une identité maghrébine commune à l’Afrique du Nord et qui se distingue d’un pays à l’autre à travers des nuances que vont affiner les différentes séparations politiques qui ont marqué l’espace maghrébin depuis l’occupation romaine.

Ainsi, l’espace algérien connaîtra une succession d’invasions, de résistances, d’interactions culturelles et linguistiques qui vont façonner l’identité propre des populations jusqu’à l’arrivée des Turcs. Les Turcs venus en sauveurs de l’Algérie au nom de la solidarité religieuse, se sont transformés au fur et à mesure que le pouvoir s’étendait, en occupants et en oppresseurs, notamment à travers l’imposition des paysans qui allait déraciner les tribus, les disperser et briser leurs liens avec la terre. Lorsque les armées françaises sont arrivées en Algérie, une partie de l’œuvre coloniale a été déjà mâchée par les Turcs qui ont livré le pays à la France.

La paysannerie, principale force et source des richesses du pays, était fragilisée, fragmentée et recluse dans des espaces peu arables et peu productifs. C’est dans cet état que l’armée française a trouvé la force vive de l’Algérie. Cette situation a facilité l’occupation notamment de l’Ouest riche en terres agricoles et fertiles.

La fédération des tribus autour de l’Emir Abdelkader a été un moment charnière de la cristallisation du sentiment identitaire qui transcende les appartenances tribales. Le fait que l’autorité d’Abdelkader se soit étendue d’Est en Ouest, a permis d’aiguiser ce sentiment national balbutiant et qui allait s’affirmer au fur et à mesure que les résistances populaires s’amplifiaient, s’élargissaient et convergeaient vers un objectif commun : libérer le pays de l’occupation étrangère.

Les autorités françaises ont alors compris que l’expropriation des paysans et des tribus et l’attribution des terres à des notables locaux, étaient un moyen efficace pour affaiblir la résistance et accélérer l’occupation. Cependant, la dépossession ne suffit pas.

Des milliers d’années de labeur, de pratique et d’expériences sociales ont produit une culture matérielle et immatérielle qui prémunit les populations contre toutes les pénétrations coloniales. Il faut donc saper ce fonds culturel et civilisationnel pour pouvoir occuper les esprits. Au-delà des génocides commis pour occuper l’Algérie – plusieurs observateurs s’accordent à dire que la conquête de l’Algérie a causé la disparition de presque un tiers de la population algérienne- le processus d’acculturation a constitué un objectif stratégique de la France et a causé des désastres inestimables pour les Algériens.

Les historiens, notamment français, qui se réfèrent aux notes et rapports d’officiers français, affirment que des méthodes singulières ont été utilisées, telles que les enfumades, les massacres de prisonniers et de civils, les razzias, les destructions de cultures et de villages – couramment employées par les militaires français. Un nombre très important de bâtiments ont été détruits, cela dans l’objectif d’effacer l’identité culturelle ainsi que dans le cadre d' »aménagements ».

Dans un rapport adressé à Napoléon III, l’un des généraux français a résumé la détermination de l’administration française à combattre les institutions culturelles algériennes en écrivant : « Nous sommes tenus de créer des entraves aux écoles musulmanes… chaque fois que nous le pouvons… En d’autres termes, notre objectif doit être de détruire le peuple algérien, matériellement et moralement. »

On peut citer les 349 zaouïas détruites ou les chefs-d’œuvre architecturaux représentés par la mosquée d’Agadir fondée par Idriss en 790, détruite en 1845, fut l’une des premières mosquées au Maghreb et le Palais des souverains Zianides à Tlemcen. Daniel Lefeuvre, dans son livre Pour en finir avec la repentance coloniale, conteste les chiffres des victimes de la conquête en avançant notamment que la différence de population entre 1830 et 1872, qui est d’environ 875 000 personnes, serait en partie due au fait que de 1861 à 1872 il y a eu plusieurs crises sanitaires : invasions de sauterelle en 1866 et 1868 et un hiver très rigoureux (1867-1868) occasionnant une grave famine suivie d’épidémies (de choléra notamment).

L’œuvre coloniale

Selon l’historien Olivier Le Cour Grandmaison, la colonisation de l’Algérie s’est bien traduite par l’extermination du tiers de la population, dont les causes sont multiples, massacres, déportations, famines ou encore épidémies, mais étroitement liées entre elles.

Guy de Maupassant écrivait dans Au soleil (1884), récit de ses pérégrinations en terre algérienne notamment, parlant de la population autochtone : « Il est certain aussi que la population primitive disparaîtra peu à peu; il est indubitable que cette disparition sera fort utile à l’Algérie, mais il est révoltant qu’elle ait lieu dans les conditions où elle s’accomplit. »

Ce ne sont là que des exemples indicatifs non exhaustifs de l’œuvre et des méthodes coloniales. Vers la fin des années 1880, le glas de la résistance populaire a sonné à l’exception de quelques jacqueries qui éclatent çà et là sans impact réel sur la puissance coloniale décidée à pacifier l’Algérie.

Au début du vingtième siècle, la résistance algérienne passe à une nouvelle étape imposée à la fois par les limites objectives et subjectives des résistances tribales et par l’émergence d’un embryon d’élites, perméables aux valeurs de la Révolution française de 1789, aux idéaux de liberté, aux droits de l’Homme et à l’action politique.

C’est l’Emir Khaled, arrière petit-fils de l’Emir Abdelkader, qui allait être la figure de proue de cette période grâce à son mouvement les « Jeunes Algériens » et son action qui allait couvrir toutes les régions du pays. La conscience nationale commence alors à prendre forme de façon inégale en raison, notamment de l’immensité du pays qui entrave les contacts entre l’élite et les populations, l’analphabétisme qui atteignait 90% et les conditions socio-économiques des Algériens.

La métamorphose allait s’opérer en France même par le nombre croissant de l’immigration algérienne constituée des mobilisés qui ont pris part à la première Guerre mondiale et ceux qui sont partis chercher du travail. C’est dans les années vingt que les masses des travailleurs algériens allaient découvrir le syndicalisme, l’activité politique, la littérature révolutionnaire et les outils modernes de l’information.

 

Des tribus à la nation

 

En 1926, le fait national algérien s’est exprimé publiquement pour la première fois à travers la plate-forme de l’Etoile Nord-Africaine qui revendique l’indépendance nationale inscrite alors dans le cadre d’un Maghreb indépendant et uni. En 1929, l’ENA rompt ses liens organiques et idéologiques avec le Parti communiste français stalinisé et devient un parti algérien indépendantiste après le retrait des Tunisiens et des Marocains. Le Front populaire qui prend le pouvoir en France en 1936 dissout l’ENA qui sera remplacée par le PPA.

La même année, alors que le Congrès musulman, composé des Oulémas et des Elus algériens, quémandait à Paris, l’assimilation des populations algériennes, le PPA était en conclave dans un stade à Alger, avec des milliers d’Algériens, revendiquant l’indépendance de l’Algérie.

C’est à partir de là que la ligne de démarcation s’était établie entre la majorité des Algériens qui aspiraient à l’affranchissement de l’emprise coloniale et la minorité de notables et de privilégiés qui militait pour les droits sociaux, économiques et politiques des Algériens pour en faire des citoyens français à part entière. Le sentiment d’appartenance à une nation moderne prend forme et est porté par le peuple.

Le fait national et l’identité commune seront consacrés à jamais par les massacres de Mai 1945 qui ont touché plusieurs villes et villages de l’Est et de l’Ouest du pays. Le printemps de la nation algérienne a été arrosé par le sang de ses enfants qui ont semé les graines de la rébellion et de la révolution.

La nation algérienne est née dans la douleur, la souffrance, l’oppression et l’adversité. Sa cohésion n’aura d’égale que la déflagration de Novembre 1954 qui a cimenté les liens nationaux au-delà des clivages régionaux, tribaux et sociaux. Si le peuple dans sa majorité a adhéré spontanément à l’action armée comme unique voie de salut, l’élite politique est restée divisée.

Abbane Ramdane a décidé alors de parachever cette unité nationale en négociant avec tous les courants politiques algériens pour rejoindre la Révolution en marche d’une part pour rassurer le peuple et d’autre part, pour doter la révolution de cadres compétents et surtout pour empêcher l’administration coloniale d’utiliser ces divisons pour affaiblir la dynamique de Novembre.

Le même Abbane a joué un rôle clé dans la dotation de la Révolution de textes de références qui structurent la lutte armée, créent des institutions et définissent la nature de l’Etat de l’Algérie indépendante.

Le Congrès de la Soummam aura donc été la dernière pierre qui a parachevé la superstructure de la nation algérienne en lutte pour son émancipation politique et économique. Cet idéal, qu’est l’émancipation politique, économique ainsi que le recouvrement de l’identité nationale dans sa totalité et la consécration de la citoyenneté comme unique source de légitimité et du pouvoir, a-t-il était atteint ?

 

Que reste-t-il de l’idéal de l’indépendance

 

L’enfant qui naquit le 5 juillet 1962, frôle déjà ses cinquante ans. Cet Algérien, aujourd’hui adulte, n’a pas connu les affres du colonialisme. Mais a vécu les différentes étapes de l’indépendance et a sûrement hérité la mémoire de la période coloniale, notamment l’épopée de la guerre de Libération qui était l’une des plus illustres du XXe siècle. La majorité des Algériens est composée de la génération de l’indépendance.

Cette jeunesse est victime de préjugés que la réalité et les événements ont démenti lorsque les symboles de la nation ont été souillés par les inconditionnels du régime de Moubarek, avant et après l’épopée d’Oum Dorman. A l’image du 5 juillet 1962, le ciel d’Algérie a brillé des jours et des nuits des couleurs nationales arborées par cette même jeunesse accusée d’amnésie, de méconnaissance de l’Histoire nationale, de harraga…

Les sources devant abreuver la jeunesse sont les institutions de la République que sont l’école, le cinéma, les médias, les associations… Si ces dernières ne jouent pas le rôle qui leur est dévolu, peut-on reprocher à la jeunesse de méconnaître son Histoire ? Lorsqu’on laisse le terrain libre aux thèses révisionnistes qui disposent de moyens de communication aussi lourds que sophistiqués, peut-on en vouloir à la jeunesse d’être influencée ?

A propos de révisionnisme, n’est-il pas lamentable que ce soit la chaîne de télévision publique qui ouvre ses portes à une descendante des Bengana, qui depuis 1835 jusqu’à mars 1962, n’ont pas cessé de soutenir le projet colonial et de participer au massacre des résistants algériens ? Que Fériel Furon défende la mémoire de ses ancêtre en les glorifiant dans un livre truffé de déformation de l’histoire, à la limite c’est de bonne guerre, mais que des institutions nationales comme l’ENTV et l’APN lui ouvrent les portes pour légitimer des thèses révisionnistes, c’est le comble de l’avilissement.

Pourtant, cette jeunesse tant décriée, porte l’Algérie à bras le corps et refuse de succomber au chant des sirènes qui font miroiter « les printemps colorés » de révolutions tardives, de révolutions sur commande, de révolutions téléguidées.

Cette jeunesse a défendu l’Algérie, ses symboles, ses martyrs avec une force inégalée. Mais cette jeunesse veut comprendre aujourd’hui, pourquoi une si grande révolution qui a été « jetée au peuple » et que le peuple a prise et menée à bon port, n’a pas atteint ses objectifs tracés au-delà de l’indépendance.

Cette jeunesse est assoiffée d’Histoire autant qu’elle est assoiffée de compréhension de son présent. Pourquoi le sang a coulé entre algériens durant l’été 1962 ? Pourquoi le sang a coulé entre Algériens en avril 1980 ? Pourquoi le sang a coulé entre Algériens en 1988 ? Pourquoi le sang a coulé entre Algériens dans les années quatre-vingt-dix ? Pourquoi l’école algérienne a été ruinée ? Pourquoi l’élite algérienne a été laminée ? Pourquoi les rêves de liberté, de démocratie, de justice, de probité et d’égalité des citoyens ont été brisés?

Autant de questions aussi légitimes que pertinentes que se posent les Algériens pour comprendre leur cheminement et pour envisager leur avenir en toute quiétude. L’Algérie navigue à vu et tâtonne sans perspective claire, sans projet de société, sans idéal national depuis des années. On a l’impression que le navire Algérie est sans capitaine, sans équipage compétent et sans boussole.

Lorsque la crise des subprimes a plongé la finance mondiale dans la tourmente et les économies fragiles dans la récession, des voix se sont élevées pour demander aux autorités algériennes de profiter de l’aisance financière du pays pour entamer un réel processus de développement économique alternatif qui libérerait l’Algérie d’une rente pétrolière tributaire d’un marché que l’OPEP ne maîtrise plus en raison des divergences qui minent l’organisation. Rien n’a été fait.

Les alertes lancées par des économistes et des observateurs avertis ont été vaines car, l’oligarchie avait commencé à prendre les commandes du pouvoir et à dilapider les réserves en devise de l’Algérie comme elle avait déjà dilapidé les richesses du pays notamment le foncier agricole et urbain. La corruption a atteint des proportions gravissime ayant attenté à la crédibilité de l’Etat y compris au sein des instances internationales.

Depuis le troisième mandat de Bouteflika, l’Algérie a entamé sa descente aux enfers et le désespoir a pris racine dissipant le rêve résiduel qu’entretenait cette résistance indicible à la fatalité. Lorsque le couteau a touché l’os, on commence à parler d’une économie alternative tout en improvisant des solutions immédiates à des problèmes qui traînent depuis le milieu des années quatre-vingts. L’indépendance qui a coûté tant de sacrifices est aujourd’hui hypothéquée en raison de l’indigence des gouvernants et de la médiocrité érigée en mode de gouvernance.

 

(*) Ce texte a été initialement publié par le Huffington Post Algérie.

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