L’éthique, l’élite, la transition et la Constitution - Maghreb Emergent

L’éthique, l’élite, la transition et la Constitution

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L’auteur* de cette contribution estime nécessaire pour l’Algérie l’élaboration d’une vision cohérente et consistante sur l’éthique des affaires en général et sur l’éthique de la gouvernance des organisations en particulier.

 

 

En suivant les actualités relatives à toutes les problématiques des organisations sociales algériennes, il m’est venu l’idée de partager avec vous un certain nombre de réflexions qui ont trait à tous les projets existentielles de ces organisations sociales et qui concerne l’éthique.

Pourquoi ce sujet sur l’éthique ? On ne peut nier l’évidence que notre pays vit plusieurs crises (ce qui n’est pas de l’avis de Mr Ammar Ghoul, car je pense qu’il ne comprend pas le sens du mot « crise » en management des organisations). Le mot « crise » veut bien dire les effets suivants : i) corruption ; ii)  un système éducatif et universitaire dépassé par les besoins de la compétitivité ; iii) un système spirituel cédé à un fonds de commerce produisant l’ignorance comme lit de la médiocrité et de l’irrationnel ; iv) une économie basée sur la rente du pétrole ; vi) une cohésion sociale désintégrée (régionalisme) ; v) un gaspillage des ressources naturelles et humaines, etc. Si tout cela n’est pas synonyme de « crise », je souhaiterais avoir une autre définition afin que je puisse parfaire mon intellect. Au fait, la gouvernance des organisations sociales algériennes est bâtie sur trois éléments en synergie et destructeurs de tout épanouissement et anoblissement humain : l’ignorance, l’arrogance et le mépris. Ce sont les trépieds du tabouret algérien.

En revenant sur tous mes écrits, j’ai découvert quelques thèmes fédérateurs qui pourraient justifier de les mettre ensemble dans un endroit comme une sorte de billet à ordre d’une vision cohérente et consistante sur l’éthique des affaires en général, et plus récemment sur l’éthique de la gouvernance des organisations en particulier. Les thèmes traités dans la plupart des articles que j’ai écrits ne sont pas d’une profondeur suffisante pour constituer une théorie comme la théorie « des parties prenantes », ou une itération d’une faculté appelée «imagination morale » ou même une approche aussi clairement définie, « le capitalisme kantien ». Mais ils offrent un exemple d’un moyen courant de sens pratique pour aborder les questions éthiques auxquelles sont confrontées les responsables des institutions et des entreprises algériennes dans leurs tentatives de mettre des artifices de la bonne gouvernance. Pour les uns c’est la Constitution et pour les autres une vision, une mission et un système de valeurs. Donc, la gestion de la transition permet de passer d’une configuration de gouvernance avec beaucoup d’effets indésirables (territorialisme, corruption, clientélisme, défaut de moralité, déliquescence de la société, abus de pouvoir, passe droit, non-respect des valeurs humaines, gestion de la rente au lieu de la gestion de l’intelligence, manque de courage, stupidité et médiocrité), à un mode de gouvernance produisant des hyper-produits (éducation, richesse, santé, amitié, responsabilité, citoyenneté, cohésion sociale, liberté, production de richesse par l’intelligence et la créativité, défi et tous les attributs normaux et rationnels) permettant l’épanouissement et l’anoblissement humain.

Depuis les événements de 1988, il y a eu une impatience et des hésitations des responsables des organisations sociales et des « théoriciens de l’éthiques » de parler de ce qui constitue la douceur de vivre et de produire de la richesse à partir de l’intelligence créative et non pas à partir de l’intelligence négative. On a voulu fixer des règles de gouvernance mais il semble que les règles nécessaires n’ont pas tenu compte de la nature des êtres humains qui les établissent.

Au-delà du mécontentement relatif aux échecs à résoudre les dilemmes moraux, en matière pratique, il y a eu des moments où des considérations utilitaristes l’emportent sur les considérations déontologiques et vice versa. Donc, les théories semblent seulement servir comme points de départ pour la discussion plutôt que de supports de principes qui offrent le dernier mot. Enfin, il est une habitude discernable de trier les problématiques en utilisant un certain bon sens de réalisme et de « l’essentialisme. » Il y a des constituants nécessaires pour ce qui comptera aux yeux des gens comme vivre la vie en abondance, sur terre ou au paradis, et, allant de pair avec cette vie en abondance, l’impatience, avec ce que je considère comme une capitulation devant la suprématie des passions couplée avec la non-reconnaissance du fait que la relation des passions à la raison doit être élaborée. Cela a conduit à la décennie 1990.

On m’a enseigné qu’il faut être à la fois sceptique et respectueux de la sagesse reçue ; l’analyse des revendications de cette sagesse permet de voir combien elle est vraie et combien est elle fausse. Que cette sagesse soit ancrée dans les clichés de l’époque ou dans la langue que nous parlons est de peu d’importance, car elle réside probablement dans les deux. Quoi qu’il en soit, il appartient à l’élite, qui veut pratiquer son métier d’une manière acceptable pour examiner attentivement une opinion commune, de rechercher la preuve qui la soutient et la modification de son avis lorsque la preuve la remet en cause. Par exemple, des responsables pensent qu’ils sont compétents mais les preuves montrent le contraire. Monsieur Ghoul pense que notre pays ne vit pas de crise, alors que les preuves montrent que l’Algérie vit des crises multidimensionnelles. Les responsables ne veulent pas changer d’opinion en usant de prétextes fallacieux pour rester au pouvoir relatif à leur poste. Cela est un manque d’éthique. On veut élaborer une Constitution en vase clos, cela aussi est un manque d’éthique. Un autre exemple : une fois j’ai appelé une « élite » qui est dans l’économie du savoir et qui a aussi le porte-voix des médias, je lui ai fait part de mon projet dans le cadre du développement des compétences des entreprises algériennes, il m’a rétorqué textuellement : « Qu’est ce qu’ils comprennent ces gens-là à ça ? » Je ne m’attendais jamais que ce type de pensée vienne de ce monsieur. Cela est aussi un manque d’éthique.

En écoutant la plupart des discours ou des opinions de « l’élite » algérienne, je trouve que souvent leurs réflexions philosophiques commencent avec quelques perspectives de bon sens. Mais l’analyse de leurs décisions et des comportements qui en découlent m’a permis de réduire une grande partie de la théorie éthique à un examen des motifs qui sont généralement donnés au jour le jour dans leurs discours et des justifications qui sont utilisées dans la défense d’une position éthique particulière ou d’une autre.

Avec le scepticisme quant à la théorie éthique contemporaine et l’utilisation du sens commun comme point de départ, il y a également eu une fascination persistante avec la question relative à l’endroit où la nature s’arrête et où la convention commence. Il a toujours semblé vrai pour moi que les êtres humains sont un mélange d’un noyau d’une nature immuable moulé par les conventions (paradigmes) de leur époque. Le système de gouvernance institutionnelle et entrepreneuriale que nous connaissons est une « forme de vie » conventionnelle taylorienne, bureaucratique et dictatoriale. Ce système aurait évolué différemment mais pas dans un nombre indéfini de façons. Le développement réussi de tout système nécessite de prendre en compte les propriétés fixes des individus dans le système (les principes ou les valeurs?)

Il y a des hyper-produits qui s’appellent éducation, santé, richesse, amitié, citoyenneté et liberté qui transcendent tous les systèmes. Les systèmes qui apprécient ces hyper-produits et les utilisent réussiront. Ceux qui ne le feront pas échoueront. Enfin, il y a également eu une fascination pour l’utilisation de la téléologie (théorie des systèmes), ou peut-être avec plus de précision les questions « Quelle est la raison d’être d’un système? » Ou « Quel est son but? » Et « quelles sont les mesures fondamentales qui montrent que le système a atteint son but ? » Et enfin « quelles sont les conditions nécessaires qui permettent au système d’atteindre son but ? » Car les réponses à ces questions en se basant sur l’intérêt individuel ou l’intérêt collectif détermineront deux modes de gouvernance diamétralement opposés vis-à-vis de la valeur offerte aux clients du système en termes des hyper-produits.

J’ai toujours cru que pour comprendre la nature de quoi que ce soit, il est impératif de comprendre son objet, ce qu’Aristote appelait la cause finale, qu’il a parfois assimilée à la cause formelle. Il y a ceux qui pensent que « le sens est l’utilisation adéquate des actions. » Pour comprendre ce qu’est une action, une pratique, une institution, un système ou une constitution, il faut comprendre la raison pour laquelle elle existe.

La question que je me pose est : est-ce que la révision de la Constitution se fait dans un contexte  éthique?  Il faut savoir que l’éthique fournit les raisons que nous devons utiliser pour évaluer de façon approfondie l’éthique de toute action. Il est nécessaire de comprendre que l’éthique ne doit pas seulement évaluer les actions individuelles mais également les organisations et les institutions. À l’intérieur et à côté de ces organisations et institutions, il existe diverses autres communautés éthiques avec des institutions et des systèmes. Ainsi l’éthique est en quelque sorte indissociable de ce qu’Averroès (Ibn Rochd) aurait appelé la politique. Par conséquent, il faut examiner les systèmes conventionnels que les responsables algériens ont mis en place depuis cinquante ans. Cela implique que si on regarde les problèmes d’éthique de la gouvernance, il faut examiner le système dans lequel les fonctions de cette convention de gouverner ont été élaborée.

Pour répondre au « pourquoi » de la Constitution, la théorie éthique dicte qu’il faut adopter une approche téléologique et examiner le but de la gouvernance des organisations sociales algériennes. Soutenant que son but est tout à fait différent de son principe motivant de s’acquitter de l’intérêt, grâce à la maximisation des hyper-produits (éducation, richesse, santé, amitié et liberté), et de fournir des biens et services pour les citoyens. Il faut prendre soin de faire la distinction entre un but qui est un motif clair, et des revendications qui ne sont pas un but. Cette position contraste clairement avec la notion néo-classique bien connue que le but de l’entreprise est le profit. Néanmoins, je soutiens que toute activité de gouvernance d’un état est finalement le but de satisfaire le citoyen par rapport aux hyper-produits. Les pratiques de gouvernance qui ne conduisent pas à la satisfaction du citoyen sont contraires à l’éthique et elles sont viciées.

Aussi, en développant l’argument de manière plus approfondie dans la notion d’éthique on constatera comment la dépendance de la notion de responsabilité dans la gouvernance crée une schizophrénie morale en raison du conflit entre la poursuite de l’intérêt personnel et le souci de ce qui est juste, honorable et digne. À ce stade, la notion d’une société sans âme – qui signifie sans point de repère final approprié ou vision – fait son apparition. N’est-ce pas le cas de notre Algérie ? La Constitution doit être bâtie et entraînée par une vision épanouissante et anoblissant le citoyen algérien, c’est-à-dire la cause finale. Ainsi, on peut affirmer que les institutions humaines comme des « formes de vie » obtiennent leur nature de leur but.

Cette approche téléologique d’Averroès avec le sens commun nous ramène à ses différentes vues sur les limites de la certitude et l’usage de la raison et du faillibilisme dans l’éthique (faillibilisme : l’idée que la quête de la vérité et de la connaissance scientifique n’est jamais absolue, c’est à dire qu’aucune connaissance n’est à l’abri d’une révision future possible). J’aurais souhaité que « l’élite consultée » pour la révision de la Constitution soit imprégnée de la rhétorique d’Averroès comme une méthode pour faire l’éthique et rappeler au lecteur que l’opinion commune est toujours le premier mot, mais pas nécessairement le dernier, et que la raison est le principe directeur ultime. Si nous comparons une approche aristotélicienne qui a de la place pour la raison, bien que la raison soit faillible, avec le courant des approches postmodernes en matière d’éthique, on découvrira que l’approche aristotélicienne possède la possibilité de la connaissance éthique et peut surmonter l’échec de la postindépendance et rendre compte de l’existence d’une vérité dans les jugements éthiques.

S’il ya une sorte de schizophrénie dans le traitement des affaires de gouvernance des organisations sociales algériennes, et s’il y a un sens de la justice qui impose des contraintes sur la poursuite de l’intérêt personnel, il témoigne d’une forme de vie qui a deux courants qui doivent avoir leur origine quelque part. Un des courants vient de la tradition musulmane et il est important de regarder les racines religieuses actuelles de nos points de vue éthiques.

Pour conclure cet article sur l’éthique de la gouvernance des organisations sociales algériennes je termine avec une autre question téléologique : à quoi sert l’éthique professionnelle ? Tout simplement à améliorer le comportement d’un Etat ou d’une entreprise. Cette affirmation plutôt hardie examine une série d’arguments, y compris l’argument de ceux qui prétendent que le comportement ne peut pas être amélioré à travers une formation sur l’éthique. Il y a des gens avec un argument plus tendancieux, l’argument des sceptiques/relativistes, dont les théories doivent logiquement les obliger à prétendre que la vérité en matière d’éthique est impossible. Pour contrer le scepticisme, il faut soutenir le savoir en matière d’éthique à partir de croyances du bon sens renforcées par l’analyse rationnelle des questions difficiles. Une telle présentation et son soutien permettront à « l’élite » consultée pour la révision de la Constitution de découvrir ce qui est impliqué dans une évaluation sérieuse, responsable des actions et des critiques de la société et de ses institutions. Dans la mesure où la connaissance est la vertu ou du moins contribue à la vertu, qui devrait conduire à une amélioration du comportement dans la gouvernance des organisations sociales algériennes.

Les responsables des organisations sociales algériennes doivent s’arrêter un moment et réfléchir avec raison à l’avenir de toute une nation. Depuis cinquante années d’indépendance on est revenu au point de départ : nous sommes toujours colonisés, c’est seulement la forme qui est différente. Il est temps de reconnaître les faiblesses du mode de gouvernance et de reconnaître les besoins futurs en termes d’hyper-produits. Suite à cela, on pourra définir les priorités et les problèmes prioritaires à traiter. Cela conduira à mesurer les éléments relatifs aux problèmes définis et les analyser. Cette analyse permettra d’innover le mode de gouvernance et de le standardiser à travers une constitution. Ainsi, le parlement servira, entre autres, comme outil de contrôle des standards définis dans la Constitution. Pour faire toute cette démarche, il faut bien une gestion de la transition, qui ne peut réussir que si elle est imprégnée d’intégrité, d’objectivité, de compétence, d’impartialité, de confidentialité et de diligence.

(*) Ammar Hadj-Messaoud dirige les opérations de Sciquom Conseil, firme spécialisée dans l’amélioration des capacités compétitives des entreprises et des institutions. Il est consultant auprès de plusieurs entreprises dans l’implantation de processus d’amélioration continue.

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