La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a rendu, hier mardi, à Strasbourg, un jugement condamnant l’Italie pour avoir violé les droits de trois migrants tunisiens, alors que la crise migratoire ne cesse de prendre de l’ampleur en Europe.
Dans l’affaire Khlaifia et autres contre l’Italie, la CEDH a conclu que l’Italie avait violé la Convention européenne des droits de l’homme en plusieurs points, notamment le droit des migrants à la liberté et à la sûreté ainsi que le droit d’être informé dans le plus court délai des charges qui pesaient contre eux.
Trois ressortissants tunisiens Saber Ben Mohamed Ben Ali Khlaifa, Fakhreddine Ben Brahim Mustapha Tabal et Mohamed Ben Habib Ben Jaber Sfar avaient été interpellés par les autorités italiennes après avoir fui leur pays par la mer en septembre 2011. Après avoir été conduits vers un centre d’accueil sur l’île sicilienne de Lampedusa où ils ont été détenus, ils ont été finalement rapatriés vers la Tunisie. La Cour a indiqué que la détention des requérants était dénuée de base légale, que les raisons leur en sont restées inconnues et qu’ils n’ont pas pu la contester.
L’Italie coupable d’une expulsion collective illégale
La CEDH a également estimé que l’Italie s’était rendue coupable d’une expulsion collective illégale dans la mesure où les décrets de refoulement ne faisaient pas référence à la situation personnelle des trois migrants.
Cet arrêt peut faire l’objet d’un appel dans un délai de trois mois à compter de la date du jugement, renvoyant ainsi l’affaire devant la Grande Chambre de la Cour. S’il n’est pas remis en question, le Comité des ministres du Conseil de l’Europe (CoE) devra veiller à ce que les 47 Etats membres du CoE traitent bien chaque cas de migrants individuellement.
Cet arrêt de la CEDH survient alors que le débat autour de la crise migratoire fait rage en Europe où sont arrivés depuis le début de l’année des centaines de milliers de migrants irréguliers qui fuient les conflits et l’instabilité dans leurs pays d’origine.
Alors que la situation empire chaque jour, de nombreuses voix s’élèvent pour appeler au respect des droits fondamentaux des migrants.
« La crise migratoire fait peser de sérieuses menaces sur le respect des droits de l’homme dans de nombreuses régions d’Europe », a déclaré mardi Thorbjorn Jaglang, Secrétaire général du Conseil de l’Europe (CoE) dont fait partie la CEDH.
« Toute personne est titulaire des droits de l’homme »
L’arrêt rendu aujourd’hui rappelle opportunément aux 47 Etats membres du Conseil de l’Europe que les demandeurs d’asile et les migrants doivent être traités comme des êtres humains et des individus jouissant des mêmes droits fondamentaux que quiconque, tels qu’ils sont garantis par la Convention européenne des droits de l’homme.
Cette déclaration fait écho à celle du Commissaire européen aux droits de l’homme du CoE Nils Muiznieks: « Ce n’est pas parce que les migrants en situation irrégulière n’ont pas de papiers qu’ils n’ont pas de droits. En effet, toute personne est titulaire des droits de l’homme, quel que soit son statut ».
Le nombre de migrants irréguliers ne cesse de croître selon l’agence de l’Union européenne Frontex (Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures) qui avance le nombre de 107 500 migrants parvenus aux frontières de l’Europe en juillet dernier – soit trois fois plus qu’à la même période en 2014. Un chiffre jamais atteint depuis que Frontex a commencé en 2008 à comptabiliser les arrivées de migrants.
Selon les Nations Unies, cette année, plus de 300 000 personnes ont tenté une traversée de la Méditerranée pendant laquelle nombre d’entre elles ont perdu la vie, notamment lors du naufrage de deux bateaux au large des côtes libyennes le 27 août.
Remise en question des politiques européennes concernant les réfugiés
Le plus grand nombre de migrants irréguliers sont des Syriens et des Afghans. Beaucoup d’entre eux sont arrivés en Grèce depuis la Turquie.
Ces arrivées massives de migrants ont remis en question les politiques européennes concernant les réfugiés et les demandeurs d’asile. Selon le Règlement de Dublin, l’Etat membre de l’Union européenne (UE) où arrivent les migrants a la charge de l’enregistrement des demandeurs d’asile. Cette disposition s’attire les critiques en raison du poids qu’elle représente pour des pays comme la Grèce, l’Italie ou l’Espagne, portes d’entrée dans l’UE. La législation européenne oblige en effet les demandeurs d’asile à rester dans le pays de leur arrivée pendant le traitement de leur dossier.
La chancelière allemande Angela Merkel a appelé lundi les autres pays de l’UE à accueillir davantage de migrants. Berlin a fait savoir qu’il avait déjà suspendu le Règlement de Dublin afin de permettre aux Syriens arrivant en Allemagne de déposer une demande d’asile. L’Allemagne s’attend à l’arrivée de plus 800 000 migrants cette année, soit quatre fois plus que l’an dernier.