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Idées

La crise d’autorité du président Bouteflika, pic dans l’électro-encéphalogramme de son 4e mandat (Analyse)

Par Yazid Ferhat
décembre 24, 2016
La crise d’autorité du président Bouteflika, pic dans l’électro-encéphalogramme de son 4e mandat (Analyse)

En se rapprochant, l’ANP et le FLN, le gouvernement et le FCE de l’autre ont esquissé les contours de pouvoirs en voie d’autonomisation de la personne de Abdelaziz Bouteflika. Le président a réagi. Résultats et dégâts collatéraux.

 

Une nouvelle séquence politique a débuté en septembre dernier en Algérie. Elle a mis plusieurs mois à délivrer son sens. Elle est à la fin de cette année 2016, plus lisible. Le président Bouteflika est engagé dans une périlleuse opération de reprise en main directe de l’exercice de son autorité sur l’appareil de l’Etat et sur l’armée. Périlleuse parce qu’après une période relativement longue de deux années et demi de large délégation de pouvoirs principalement à son frère Said, Abdelaziz Bouteflika réagit brutalement et perturbe une scène de pouvoir bien installée depuis le début du 4e mandat. Il entreprend de réduire des positions de force consolidées sous son régime, qu’il juge aujourd’hui, certes toujours fidèles, mais devenues suspectes d’autonomie vis à vis de sa personne et de son agenda. Son action, aux allures de crise d’autorité, est chargée de chaos. Elle diffuse un stress supplémentaire dans un système pétrifié par la crise des ressources en devises et la montée de la contestation sociale. Elle risque de changer le cours jusque-là tranquille de son quatrième mandat.

 

 

Des têtes qui tombent, un accès d’autorité

 

 

Le 08 septembre 2016, en inaugurant le Centre international des conférences (CIC) à Club des pins, le président Bouteflika faisait sa première visite de travail de terrain depuis son AVC ischémique du 27 avril 2013, plus de trois ans plus tôt. Cet événement allait être suivi par trois autres sorties durant le trimestre, visite à la  Grande Mosquée d’Alger, inauguration (la 2e après celle de Sella) du nouvel Opera à Ouled Fayet, et le 11 décembre dernier inauguration de la ligne de train Zéralda Alger et un ensemble de citées à Sidi Abdellah. Cette partie publique, mesurée, de son redéploiement se révèle au fil des semaines comme un pendant d’une action plus politique de reconfiguration des pôles de pouvoirs construits les années précédentes. Une série de décisions, souvent brutales, portent la marque d’une volonté de rétablissement de l’autorité personnelle du président sur les affaires publiques. Le 27 octobre 2016 Amar Saidani, le secrétaire général du FLN, le porte-parole officieux du 4e mandat présidentiel est sèchement débarqué de son poste. Le 03 décembre Ali Haddad le puissant président du Forum des Chefs d’entreprise (FCE) est humilié devant plus de mille convives à l’ouverture du rendez-vous africain d’Algérie pour avoir contrevenu à l’ordre protocolaire des interventions verrouillé par le président lui même deux jours auparavant. Deux figures du quatrième mandat sont redimensionnées dans des destins à peine différents. Une série de rétorsions sèches s’ajoute à l’empreinte du président  dans la conduite des affaires : ambassadeur à Paris révoqué, marchés octroyés à Ali Haddad annulés, Wali de Béjaia remercié. Elles sont toutes liées à l’accès d’autorité du président en rapport avec ses inimitiés, anciennes (Cevital à Bejaia) et nouvelles (Haddad bénéficiant de facilités de visa à Paris pour l’événement africain).

 

 Un air de revanche type 2004-2005

 

La capacité d’agir du président s’est améliorée. Il a même vraisemblablement tenté de pousser « l’avantage » en recherchant des solutions de confort  qui améliorent ses aptitudes, lors de sa dernière hospitalisation début novembre à Grenoble. La conséquence immédiate de ce progrès ténu mais effectif, est qu’il a reçu plus de personnes ces derniers mois. Il est sorti d’un huis clos dans lequel il était maintenu de fait à cause de son état de fatigue, mais sans doute aussi par le calcul de son plus proche entourage, Saïd Bouteflika, son jeune frère en premier. De ce point de vue, la démarche défiante des 19 personnalités qui ont demandé audience au président de la république le 05 novembre 2015 a fini par lézarder le dispositif qui l’entourait. Abdelaziz Bouteflika a, sous le poids des échos alarmistes sur le délitement de sa propre autorité sur la conduite des affaires du pays, entamé une « reprise en main ». Elle est, par certains points, comparables à celle qui a suivi sa réélection en avril 2004 au détriment de son ex-premier ministre Ali Benflis. La reconquête musclée du FLN en est un. Le règlement de compte personnel en est un autre, qui vise à « sanctuariser » son image d’autocrate revanchard. Le maintien de Mohamed Tamalt en prison en dépit du risque avéré sur ses jours ressemble à l’acharnement sur la personne de Mohamed Benchicou dans la même phase de crise d’autorité après qu’elle est chavirée avant l’élection présidentielle d’avril 2004. Les ressemblances s’arrêtent là. Le chantier est différent. Il s’agit pour le président de 2016 physiquement affaibli de s’assurer que ses « relais de pouvoir » sont bien à sa main à la tête de l’ANP, au gouvernement, au FLN, et dans le monde des affaires. Deux obus sont déjà tombés sur la tête du FLN et sur celle du FCE. La suite de la reprise en main personnelle est lourde de risques. Le dossier du gouvernement, et celui de Abdelmalek Sellal, sont devenus plus compliqués à traiter sur mode du coup de pied dans la fourmilière  comme en septembre 2013. La crise financière s’est installée. Elle interdit les jokers d’erreur dans les prochains castings dans et à la tête du gouvernement. Reste le tracas de l’influence prise par le chef d’Etat major le général Ahmed Gaid Salah depuis l’affaiblissement puis la mise à la retraite du général Toufik.C’est sans doute le rabotage le plus délicat à entreprendre.  Abdelaziz Bouteflika a repris langue avec le général Toufik à la fin de l’été dernier. L’élimination de Saidani de la tête du FLN et l’isolement des dirigeants « bônois » au FLN, amis du chef d’Etat major est un premier mouvement sur l’échiquier de la réoccupation des diagonales. Elle peut suffire à maintenir l’attelage du quatrième mandat. Sauf si la crise d’autorité de Bouteflika, faute de remèdes à terme, s’accentue dans les prochains mois. 

 

Ali Haddad redimensionné, Gaid Salah amputé

 

Les motivations de l’opération « reprise en main » personnelle de Abdelaziz Bouteflika divisent ceux des observateurs qui conviennent qu’elle existe bien. Faire place nette pour un 5e mandat ? Anticiper les difficultés promises à la seconde moitié du 4e mandat ?  Simplement rappeler qui est le chef dans une crispation égocentrique ? Il y a peut être un peu de tout cela dans une combinaison qui fait tout de même du terme le plus court la première priorité. Et le terme le plus court est d’éviter de laisser penser que l’axe Gaid Salah-Saidani ou, autre appellation, « l’axe Annaba-Oued Souf » puisse devenir une force politique autonome. De même que sur l’autre front l’urgence serait d’empêcher un axe Gouvernement pro-business-FCE  (Bouchouareb-Haddad) de devenir un pôle trop influent sur la décision politique, loin de l’avis présidentiel. A ce stade des ruades, la mise au pas est réussie. Avec des dégâts collatéraux, la mort en détention de Mohamed Tamalt étant le plus dramatique, l’implosion du rendez-vous africain d’Alger stratégiquement le plus ravageur. Abdelaziz Bouteflika ne devrait, raisonnablement, pas avoir besoin d’en rajouter. Ali Haddad est redimensionné. Gaid Salah amputé de son aile politique au FLN et des services affiliés à la présidence de la république. Les ministres, les ambassadeurs et les walis prévenus. Le maitre à bord c’est lui.

 

Said Bouteflika remis de fait en concurrence restreinte 

 

Un homme a discrètement pâti de l’implication plus directe de Abdelaziz Bouteflika dans les affaires publiques. C’est bien sur son fondé de pouvoir Said Bouteflika. La solidarité « filiale » n’est pas entamée. Elle est amendée. Said Bouteflika a sans doute sous estimé la capacité de « ses amis » à dépasser le périmètre de « compétences » que leur octroyait leur proximité avec le frère du président. Ali Haddad est l’exemple type de ce dépassement. Said Bouteflika a également manqué d’autorité pour faire rentrer dans le rang Amar Saidani qui incommodait l’équilibre du clan présidentiel en poursuivant ses attaques contre le général Toufik et contre Abdelaziz Belkhadem. C’est le général Tartag qui  a transmis le message présidentiel invitant prestement l’insortable ancien secrétaire général du FLN à céder sa place au comité central du 22 octobre dernier. Trop lié à Abdeslam Bouchouareb le ministre de l’industrie et des mines, Said Bouteflika a également perdu sa distance de jugement de l’action du gouvernement Sellal au profit de son frère ainé. Sans compter que face à l’activisme de Ahmed Gaid Salah, il n’a jamais fait le poids lorsque des arbitrages nécessitaient, à la présidence, de recadrer l’omnipotence du chef d’Etat-major, vice ministre de la défense. On peut rajouter que le retour, traumatisant pour l’opinion algérienne, de Chakib Khelil en mars dernier, même s’il n’a pas pu se produire sans le feu vert du président, n’est peut-être plus considéré comme une initiative profitable politiquement au clan présidentiel. C’est Said Bouteflika qui en a été le principal facilitateur. Le jeune frère du président reste cependant, et de loin, la personne la plus influente dans le réseau de pouvoir autour de la personne de Abdelaziz Bouteflika. Avec un bémol. Il devra s’employer plus qu’auparavant pour emporter les décisions qu’il souhaite voir son frère président prendre. Cela ne sera pas sans conséquence sur l’étendue de son influence. Toutefois, tout le monde garde en tête l’épisode  de l’été 2013 lorsque Abdelaziz Bouteflika a du faire une longue convalescence suite à son AVC du 27 avril. Le remaniement ministériel de la rentrée en septembre 2013  (douze ministres ont sauté) a été inspiré pour l’essentiel par Said Bouteflika sur la base du critère de fidélité et de zèle en faveur d’une nouvelle candidature du président malade. Même contrit, le jeune frère peut redevenir le faiseur suprême des carrières, qu’il est toujours dans une bonne mesure. Il suffit pour cela que le relatif regain d’énergie du président se démente brusquement dans les prochains mois. Ce qui est une éventualité toujours présente dans les jeux de pouvoirs à Alger. Peut être d’ailleurs celle qui en silence travaille le plus les stratégies des pôles de pouvoirs nés sur les flancs du quatrième mandat. On reparlera alors de cet épisode de la crise d’autorité présidentielle comme un vain soubresaut sur la trajectoire de l’enlisement politique qui doucement se précise.

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