La crise a frappé juste avant le démarrage de la préparation de la saison d’été, qui habituellement commence en Avril, mai.
Un arrêt total de l’activité.
La crise sanitaire qui frappe le pays est un véritable désastre pour les agences de voyage. Elles ont baissé le rideau et ont libéré leur personnel faute de pouvoir assurer les salaires et à défaut de pouvoir réaliser le moindre dinar de chiffre d’affaire.
Mustapha est gérant d’une agence de voyage importante à Alger. Il est dans le métier depuis plus de 25 ans. Il n’a jamais vécu une situation de blocage total telle que celle que son agence vit actuellement. Il s’occupe personnellement de répondre à ses clients qui n’ont pu utiliser leurs billets d’avion à la suite de l’arrêt total des vols aussi bien domestiques qu’internationaux.
Il a libéré ses vingt-deux employés après leur avoir payé leurs droits au congé. Ils sont en chômage technique, mais sans salaire puisque les autorités n’ont initié aucune mesure pour venir en aide à ces opérateurs et les aider à garder leurs emplois. Mustapha ne se fait aucune illusion.
La crise les a frappé juste avant le démarrage de la préparation de la saison d’été, qui habituellement commence en Avril, mai. Un arrêt net pour les 3000 agences que compte le pays. Même la Omra, très prisée pendant le mois de Ramadan, et le Hadj, pourtant prévu en Juillet, ont été annulées suite à la fermeture des lieux saints par les autorités saoudiennes.
Au déconfinement, il envisage de reprendre deux agents qui se chargeront de prendre en charge les clients qu’il faut rembourser ou orienter. Tous les billets qui ont été vendus avant l’arrêt du transport aérien feront l’objet soit d’un bon d’achat qui permettra au client d’échanger son billet contre un autre pour une date ultérieure ; soit d’un remboursement quand la compagnie libérera cette option, qui est pour le moment bloquée sur tout le système de réservation.
D’ailleurs tous les systèmes de réservation pour toutes les compagnies qui opèrent en Algérie sont inaccessibles pour l’instant. « Mais ils seront combien, à vouloir échanger leur billet ? » S’interroge le gérant d’agence. Si c’est pour voyager à l’étranger, les visas sont toujours bloqués et beaucoup de frontières demeurent fermées. Quelques pays européens envisagent de rouvrir l’accès au pays mais à l’intérieur de l’espace Schengen. D’autres, comme l’Espagne, très durement touchée par la pandémie, veulent soumettre les voyageurs en provenance d’autres pays, y compris d’Europe à une « quatorzaine » d’isolement. Rares sont les voyageurs qui accepteront cette isolation.
Et puis ,ajoute Mustapha, les prix des billets risquent de s’envoler. Il évoque l’obligation faite aux transporteurs, pour des raisons de distanciation, de n’utiliser que 40% des capacités de leurs avions. C’est le cas actuellement des avions assurant les vols domestiques en France. Pour lui, les voyageurs qui oseront et qui pourront voyager devront payer les places laissées libres. Il faut ajouter à cela les coûts de la décontamination des avions utilisés.
Aux billets il faut ajouter les délais supplémentaires qu’exigera le contrôle sanitaire avant embarquement, comme c’est le cas actuellement dans les pays qui ont rouvert leurs aéroports. Mustapha estime qu’il faudrait peut-être se présenter à l’aéroport cinq heures avant le vol.
Sombres perspectives pour l’avenir.
Mustapha ne prévoit pas le retour du voyage d’affaires à son niveau habituel avant longtemps. Les entreprises, impactées aussi par la crise sanitaire, et qui ont découvert le travail à distance, préféreront les réunions par visioconférence aux déplacements coûteux de leurs managers et de leurs cadres. L’application Zoom compte désormais plus de 250 millions d’utilisateurs dans le monde. Le chiffre est appelé à augmenter. Il avoue que le scénario le plus optimiste pour le retour à un niveau normal d’activité pour le tourisme serait 2023, puisque même l’organisation IATA ne prévoit pas de reprise du transport aérien, à son niveau antérieur à la crise, avant 2023.
Il préfère parler de tourisme car les marges sur les billets d’avion ne dépassent pas le 1% en hors-taxe. C’est sur les séjours et les réservations de chambres d’hôtel que les agences font l’essentiel de leur chiffre d’affaire. L’impact de la crise sanitaire est venu s’ajouter à un recul des activités depuis au moins 4 à 5 ans, dû essentiellement au recours des clients à la réservation en ligne grâce aux cartes de crédits délivrées par certaines banques, et au recul du pouvoir d’achat des classes moyennes.
Mustapha envisage sérieusement de changer de lieu d’activité, s’il doit rester dans cette activité. Il ne peut se permettre le loyer qu’il paye actuellement. Il pense même à un autre travail en parallèle pour pouvoir continuer à payer ses factures et nourrir sa famille. A la question de savoir s’il croit que les pouvoirs publics lanceront un plan pour venir au secours de ces milliers d’agences et leurs employés, Mustapha répond « ils ont d’autres priorités, la crise sanitaire » et il ajoute avec un sourire, «la révision de la constitution, les élections… ».
Raouf Makhloufi