Il faut toujours écouter un avocat proche de la famille Bouteflika lorsqu’il parle de régulation de la corruption et de préserver la croissance économique. La proposition de Me Farouk Ksentini, Monsieur observateur des droits de l’homme dans la planète post violence algérienne, est un des événements économiques de la semaine.
L’avocat qui a occupé durant 14 ans la fonction de liquidateur de la société par actions “SPA années 1990” propose une amnistie sur les faits de corruption. Sur le modèle de l’amnistie sur les crimes de sang. La symétrie est bien inspirée. La concorde civile, puis la loi sur la réconciliation nationale ont, en mode subliminal, ramené la confiance dans le pays. Elles ont rendu la croissance économique possible. Aujourd’hui que la confiance et la croissance sont entrain de se retirer, agissons donc sur le levier qui permet de les restituer : amnistions les égarés de la république qui ont altéré le climat des affaires. Aux analystes qui s’étripent à trouver un sens caché à la tournée nationale de Chakib Khelil dans les zaouias, Farouk Ksentini suggère donc une piste herméneutique.
Racheter son âme dans les cieux avant de la monnayer sur terre. L’idée d’une amnistie des faits de corruption durant les années Bouteflika ne doit pas être balayée d’un revers de la main. Il faut espérer que Ahmed Attaf qui a rejoint l’opposition de Zeralda depuis deux ans, n’en dira pas trop vite qu’elle est rejetée “globalement et dans le détail”. Il l’avait dit de la proposition du “contrat national” de Sant Egidio en 1995 lorsqu’il était ministre des affaires étrangères.
L’Etat algérien peut récupérer beaucoup d’argent avec une loi d’amnistie. C’est ce que fait le parti communiste chinois depuis 2013 sous Xi. Qui il est vrai envoie tout de même les corrupteurs et les corrompus en prison. La notion d’intégrer une clause de remboursement par laquelle un processus d’amnistie peut être engagé est au cœur de l’action de l’administration américaine avec les fraudeurs du fisc. De nombreux pays européens s’en sont inspirés pour rapatrier des flux sortants vers les paradis fiscaux. Il faut pour cela avoir une administration forte, compétente, adossée à une gouvernance politiquement légitime. L’inverse du casting actuel en Algérie. L’idée de Ksentini en devient un peu plus compliquée lorsqu’il ne s’agit pas simplement d’évasion fiscale mais de faits de corruption. Sonatrach s’est équipée entre 2004 et 2010 en moyenne entre 5% et 10% plus cher en choisissant des fournisseurs liés en affaires avec Chakib Khelil à travers le versement de commissions sur les contrats (Saipem, Hyundai, Samsung …).
Cela peut faire des montants extravagants dont le chèque de 197 millions de dollars fait par Saipem à Farid Bedjaoui donne une première mesure. Il apparaît donc difficile d’engager une négociation d’amnistie sur la base de la contre partie remboursement. Même par jeu intellectuel. Tant pis pour la croissance que la tête sauvée de Chakib Khelil est supposée ramener en Algérie. Plus sérieusement. La proposition de Farouk Ksentini porte les limites cognitives du siècle passé. Elle n’est pas adaptée à celui là. Pourquoi ? Parce que la corruption est une information asymétrique que l’ère digitale a rendue démocratique. Et cela change tout.
L’émergence des lanceurs d’alerte rendue possible par la digitalisation des flux d’information est entrain de ruiner l’industrie du maquillage d’actifs financiers et de “l’optimisation fiscale”. C’est une donnée qui échappe à Me Farouk Ksentini. La mise à nue de la corruption n’est plus un incident impromptu qui se produit tous “les mandats olympiques”, un peu comme une guerre civile qui ne se révèle pas toutes les générations. C’est une activité connexe de l’économie numérique mondiale. Les multinationales ont inventé seules, à la fin des années 70 des “solutions” de “prix de transferts” de “localisations d’actifs” et de “délocalisation d’adresse fiscale” qui se sont démocratisées dans le monde des affaires ensuite. La majorité des revenus du capital se sont mis à chercher à ne pas en restituer les prélèvements prévus dans le pays hôte de l’activité. Les vendeurs d’influence, en exercice comme Chakib Khelil ou candidat potentiel comme Abdeslam Bouchouareb, se sont emparés depuis eux aussi, depuis longtemps pour certains, de ces outils masquants des flux d’affaires. Mais la mondialisation n’a pas que son mauvais côté, celui du rapprochement des paradis fiscaux.
Elle a ouvert une plate forme unique des flux d’information qui corrige l’asymétrie historique entre les faiseurs d’affaires et les citoyens contributeurs au trésor public. Cette tendance au rattrapage a débuté avec l’ère des Wikileaks, les fuites mises en liens. Le grand public en sait autant que les grands présidents de conseil d’administration sur les pratiques de gestion invisible d’actifs.
C’est le début d’une révolution gigantesque qui rend la délinquance en col blanc aussi dangereuse que le dopage à l’EPO avant l’invention du marqueur qui le rend visible dans les urines des cyclistes et des coureurs de fonds. Les élites d’argent et celles, politiques, toujours prêtes pour partie d’entre elles, à vendre leur parcelle de pouvoir trouveront bien sur de nouvelles parades pour relancer le commerce de la commission et de l’évasion fiscale. Quitte à en rendre licite les formes les plus douces, comme nous le suggère l’anthropologue de la corruption Farouk Ksentini.
Il en reste pas moins que la transparence des pratiques frauduleuses est une splendide opportunité pour construire un vrai pacte citoyen de la recevabilité des élus à l’égard de leurs mandants. Le surcroît de croissance économique par la promotion de l’image pays vient de là. C’est pour cela que les IDE dans les pays de droits continuent, en dépit du dumping social planétaire, à être supérieurs à ceux qui vont dans les pays Ksentiniens.
Le gouvernement a choisi le secteur de l’automobile pour faire sa première victime expiatoire de la crise montante des finances publiques. La publication des quotas d’importation de véhicules en 2016 a provoqué un séisme dans le microcosme de la distribution automobile. Les licences d’importation ont été attribuées pour un total de 87 000 véhicules. Bien en deçà des 150 000 promis. L’Algérie a importé plus de 550 000 véhicules en 2012. La décélération est de type létal.
Elle peut tuer un secteur d’activité. A cette échelle un calcul économique s’impose. Pour un ou deux milliards de dollars d’importation économisés par la balance commerciale combien d’emplois détruits en 2016 dans la filière de la distribution ? Quelle assiette fiscale perdue ? Les Algériens ont généralement une image peu amène des concessionnaires automobiles. Enfants gâtés dans la décennie dorée du pétrole cher ils ont autant fait rêver les Algériens qu’ils les ont exaspéré. Délais de livraison, Qualité du service après vente, politique des prix : les clients râlaient sur tous les fronts. Aujourd’hui que cette filière est mise au ban, deux observations surviennent. Elle détient une force lobbying spectaculairement faible comme l’atteste le quasi silence religieux de son organisation professionnelle l’ACAA.
Elle risque d’entraîner dans sa chute celle du secteur des assurances, largement précarisé par une politique de marge peu incitative, et aujourd’hui en première ligne pour subir les contre coup d’un tel recul des nouvelles immatriculations. Parmi les assureurs il y a des entreprises publiques. Peut être que le gouvernement va regarder de plus près la portée réelle de ce qu’il a à gagner à laminer à ce point la distribution automobile en Algérie après l’avoir porté aux nues.