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Maghreb

La grande foire de l’audiovisuel algérien racontée de l’intérieur

Par Saïd Djaafer
juin 19, 2017
La grande foire de l’audiovisuel algérien racontée de l’intérieur

 

L’Algérie n’en finit pas de surprendre, cette fois-ci dans l’audiovisuel : les chaines de télévision les plus regardées ne sont ni algériennes, ni légales, selon Le président de l’Autorité de régulation de l’audiovisuel (ARAV), M. Zouaoui Benamadi. La grande foire, en somme.

 Chaines de télévision travaillant dans l’illégalité, opacité dans la gestion, absence de règles de fonctionnement, favoritisme, absence de règlementation, des rapports avec les pouvoirs publics gérés de manière aléatoire et peu transparente en raison de rivalités et d’incohérence au sein du pouvoir: le fonctionnement des chaines de télévision « privées « algériennes relève d’un chaos qui dépasse ce que pouvait dénoncer le plus radical des opposants.

Ce n’est pas un ancien ministre dépité qui le dit, ni un candidat malheureux aux élections législatives, ni même un patron de chaine de télévision en difficulté. C’est le président de l’Agence de Régulation de l’Audiovisuel (ARAV), M. Zouaoui Benamadi, qui dénonce une situation qu’il juge insupportable.

 Mis sous pression ces dernières semaines à la suite de nombreuses affaires dans lesquelles ont été impliquées des chaines de télévision, M. Benamadi décrit une situation faite d’une accumulation de décisions irréfléchies, en marge de la légalité, qui a fini par déboucher sur un magma ingérable, sous le regard bienveillant ou impuissant de ministres qui en tiraient parti.

 Et quand il lance cette formule : « on n’est tout de même pas dans la jungle », M. Benamadi a tout l’air de penser le contraire, tant ce qu’il décrit ressemble effectivement à une jungle.

 

Le détonateur Ennahar

 

L’ARAV a été mise en cause à la suite d’une caméra cachée de la chaine Ennahar, durant laquelle l’écrivain Rachid Boudjera a été traité de manière odieuse. Un rassemblement de protestation a été organisé dans la foulée devant le siège de l’ARAV, pour protester contre « l’inquisition » de la chaîne Ennahar, dont un représentant demandait à Rachid Boudjedra de prononcer la chahada, la profession de foi de l’Islam.

L’émission avait scandalisé une partie de l’opinion. Côté pouvoir, Saïd Bouteflika, frère et conseiller du président de la république, s’était rendu sur les lieux de du rassemblement pour désamorcer la crise. Mais côté officiel, tout le monde s’était renvoyé la balle.

Le tout nouveau ministre de la communication, M.  Djamel Kaouane, avait reçu le président de l’ARAV, pour l’assurer de « la disponibilité entière « du ministère de la Communication et du gouvernement « à lui apporter aide et soutien afin de lui permettre d’assumer pleinement ses responsabilités et ses missions tels que le stipulent les textes de loi en vigueur ».

Une manière comme une autre de jeter la balle dans le camp de l’ARAV. La Commission nationale des droits de l’homme, institution officielle, a enfoncé le clou en demandant à l’ARAV d’ »assumer ses prérogatives ».

 

Une institution sur papier

 

L’ARAV ne dispose ni des textes, ni du pouvoir nécessaire pour exercer une quelconque autorité, affirme M. Benamadi. « Sur la base de quoi l’ARAV peut-elle travailler ? « , demande-t-il, décrivant une institution paralysée par l’indécision du pouvoir, l’absence de vision, et l’absence même de budget.

Le statut de l’ARAV n’est pas encore en application. A cela s’ajoute un ostracisme imposé, selon lui, par l’ancien, ministre de la communication Hamid Grine, à la suite d’un différend. « En attendant, les choses continuent à s’alourdir ».

 Les chaines de télévision ont été lancées avant la création de l’ARAV, mais celle-ci ne sait par quel bout entamer son travail. « Ce n’est pas l’ARAV qui a ouvert ces chaînes. Il n’appartient pas à l’ARAV de réagir à quoi que ce soit dans le domaine audiovisuel privé si le cadre adéquat ne lui est pas tracé » dit-il.

 M. Benhamadi va plus loin quand il déclare que les 55 chaines existantes « ne sont ne sont ni algériennes ni légales ». Seules cinq d’entre ont été  » autorisées à ouvrir des bureaux de représentation », ce que l’ancien ministre de la communication considérait comme des « agréments ».

 

Les non-dits de M. Benhamadi

 

M. Benhamadi occulte cependant le rôle du pouvoir qui a été à l’origine de la création de ces chaines, avec pour but de polluer le paysage audiovisuel. Une gestion sécuritaire avait été à l’origine de ce processus. Des « amis » ont été invités à créer des chaines de télévision à l’étranger, pour en devenir des correspondants en Algérie.

 La formule permettait d’avoir un paysage audiovisuel apparemment varié, mais parfaitement illégal. De plus, ces chaines étaient totalement vulnérables, car elles n’avaient aucun statut. Leur fragilité garantissait leur obéissance.

Comment toutes les institutions du pays sont-elles devenues complices ensuite, en leur accordant registre de commerce, compte bancaire, transfert de devises, et invitations aux cérémonies officielles dont des médias algériens étaient exclus ?

 En fait, le pouvoir informel a créé un système audiovisuel informel. Tant qu’un chef d’orchestre, incarné par l’ancien patron des services spéciaux Toufik Mediène, gérait la boutique, une certaine discipline régnait. Mais depuis que cet « informel » plus ou moins identifié dans le milieu des médias s’est mis en position « absent », le peu de « cohérence » qui prévalait a laissé place à une grande foire.

 L’affaire Boudjedra, un homme qui n’a rien d’un opposant au régime, a servi surtout de révélateur de l’ampleur du sentiment d’impunité dont bénéficie une de ces chaînes qui ne sont « ni algériennes, ni légales » selon le désarmant constat du président de l’ARAV.

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