Affronter la crise à mains nues, c’est possible. Mais avec le duo Tsipras-Varoufakis, pas avec le duo Bouteflika-Sellal.
Que serait devenue la Grèce si, à la place de Alexis Tsipras et Yanis Varoufakis, elle était dirigée par le duo Abdelaziz Bouteflika – Abdelmalek Sellal ? Où en serait aujourd’hui Athènes si elle n’avait pas un gouvernement aussi tonique, assis sur une légitimité aussi forte, capable d’utiliser avec une incroyable dextérité les faibles atouts dont dispose le pays face à la terrible machine européenne?
Ce qui vient de se passer en Europe est historique. Un des pays les plus modestes sur le plan économique, avec un Etat proche de ceux du Tiers-Monde, une administration inexistante et des institutions sans consistance, a réussi à imposer ses propres règles de négociation à des géants de l’économie mondiale. Il a contraint les dirigeants de grandes puissances économiques à parler grec pendant des semaines. Il les a empêchés de dormir, et les a obligés à mettre de côté l’essentiel de leurs préoccupations, pour s’occuper exclusivement de la crise grecque.
Il faut, à l’évidence, réunir de nombreux préalables pour réussir un tel exploit. En premier lieu, être en bonne santé. C’est rudimentaire, mais dans un pays comme l’Algérie, où le chef de l’Etat ne peut ni se déplacer, ni faire de discours, ni tenir de réunion, il est utile de rappeler l’abc de la bonne gouvernance. Et de rappeler aussi que la constitution sert à quelque chose : pour être candidat à la présidence de la république, il faut être en bonne santé. Un médecin doit en attester. Etre en bonne santé pour un chef de l’Etat ne signifie pas qu’il doit faire un cent mètres en onze secondes, ou un marathon en moins de trois heures. Cela signifie qu’il doit raisonnablement pouvoir tenir des réunions marathon en période de crise, travailler dix-huit heures par jour pendant des périodes de pointe, et se rendre à Ghardaïa pour organiser des rencontres non-stop jusqu’à ce que la crise soit réglée.
Le président Bouteflika ne peut pas le faire. Ce qui suffit à prouver que sa candidature pour un quatrième ne devait pas être validée. L’ancien président Liamine Zeroual l’avait publiquement souligné. Il n’a pas été entendu.
Vitalité exceptionnelle
Alexis Tsipras, de son côté, aligne des journées de 18 à 20 heures de travail depuis des semaines. Il est au parlement grec à 10 heures, à Bruxelles à 14 heures, au parlement européen à 18 heures, et sur une chaine de télévision à 20 heures, avant de clore la journée par d’autres rencontres, soigneusement préparées par des équipes d’une rare efficacité. Une telle débauche d’énergie a permis, en quelques semaines, de transformer un militant de la gauche radicale, dont on doutait du sens des responsabilités, en un redoutable dirigeant, capable de soulever des montagnes.
Mais contrairement à l’image que la très « vielle Europe » voulait donner de lui, M. Tsipras n’est pas apparu comme un agitateur à l’égo démesuré, avide de médias et soucieux seulement de faire de l’agitation. Il s’est aussi montré méthodique, organisé, capable de se battre à mains nues face contre des adversaires qu’il a soigneusement amenés sur son terrain à lui. Pour y parvenir, il avait un deux autres atouts déterminants : un projet politique et économique clair, même s’il est difficile à accepter pour ses partenaire européens, et une conviction très forte. Ce n’est visiblement pas M. Tsipras qui risque, demain, d’hésiter pendant des années avant d’appliquer la décision sur l’obligation d’utiliser les chèques dans les transactions commerciales. Ce n’est pas lui non plus qui cèdera face aux concessionnaires automobiles qui importent des véhicules non conformes aux normes édictées par le nouveau cahier de charges.
Abus de légitimité
Le parcours de M. Tsipras révèle, y compris dans ses excès, tout ce qui manque à l’Algérie pour aller à la bonne gouvernance. Au déficit démocratique de l’Algérie, il a opposé ce que ses adversaires considèrent comme un recours abusif à la légitimité populaire. En effet, acculé, le premier ministre grec a trouvé une esquive inattendue, qui a désarmé ses adversaires : le retour à la légitimité, à travers un référendum. Ses ennemis les plus irréductibles ont été contraints de s’incliner. Ce fut un coup de maitre. Aucun dirigeant européen ne pouvait remettre en cause une telle opératique de marketing démocratique.
Pour revenir à la table des négociations, il se devait aussi d’aplanir certaines difficultés secondaires. Il s’est séparé de son ministre des finances, Yanis Varoufakis, qui a quitté son poste avec panache. M. Varoufakis savait qu’il devait partir pour le bien de la Grèce. Il a joué le jeu jusqu’au bout, au point d’excéder la chancelière allemande Angela Merkel, la directrice générale du FMI Christine Largarde et le très lisse président de la commission européenne Jean-Claude Junker, avant de se retirer.
En Algérie, où les valeurs se sont totalement inversées, on assiste à un mouvement totalement opposé. Personne ne veut quitter le gouvernement, y compris quand le bilan est d’une indigence extrême, ou franchement honteux. M. Amar Ghoul est toujours au gouvernement. Le président Bouteflika s’accroche au fauteuil présidentiel, contre tout bon sens. La légitimité et l’efficacité dans la gestion ont totalement déserté les couloirs du pouvoir. Personne ne fera l’insulte de soupçonner M. Abdelmalek Sellal d’être porteur d’un grand projet politique : c’est dans ces conditions que l’Algérie, désarmée sur le plan politique et indigente sur le plan économique, s’apprête à faire face à la crise.