Internet est-il un service public ou une ressource marchande ? C’est la question qui est désormais posée avec la décision, aux Etats-Unis, de la Commission fédérale des communications (FCC, Federal Communications Commission) de mettre fin au principe de neutralité de la Toile.
Par trois voix contre deux, ses membres remettent ainsi en cause l’un des principes fondateurs du web, à savoir le fait que tous les flux de données qui y circulent sont traités sur le même pied d’égalité. Autrement dit, aucune donnée ne peut aller plus vite qu’une autre. Ou encore, aucun utilisateur n’est censé avoir priorité sur tel ou tel autre. Ou, enfin, la limitation des données transférées vaut pour tous, sans aucune distinction.
Des services plus chers
La fin de ce principe de neutralité annonce de grands bouleversements. D’abord, les fournisseurs d’accès à l’Internet (FAI) vont pouvoir revenir aux offres multicartes qu’ils avaient tenté de mettre en place aux débuts du boom Internet. La perspective d’un Internet à deux, voire plusieurs vitesses, relève donc du possible. Ici, un FAI pourra facturer plus cher la possibilité d’accéder plus rapidement à un site de vidéos (Youtube, par exemple) ou alors de télécharger un nombre plus important de documents, de photographies ou de données diverses. Pour simplifier, c’est comme si l’on transformait la Toile en un réseau routier avec des péages partout mais tous différenciés selon l’usage.
Certes, l’affaire n’est pas terminée. Des recours en justice ont été introduits aux Etats-Unis. De même, de nombreuses associations d’utilisateurs espèrent que les prochaines élections de mi-mandat (novembre 2018) vont modifier la composition du Congrès et permettre à des élus de remettre en cause la décision de la FCC. Mais, d’ici là, l’administration Trump est bel et bien décidée à mettre fin à la neutralité du web. Il faut y voir un lobbying intense mené par les entreprises de télécommunications. Ces dernières prétendent que la fin de la neutralité du web leur permettra d’investir dans de nouveaux services. Leurs détracteurs affirment, non sans raison, qu’il s’agira juste pour elles de faire payer plus cher ce qu’elles proposent déjà.
De plus, il est évident qu’avec le processus de convergence -les détenteurs des « tuyaux » (les réseaux) acquièrent les producteurs de contenu- le développement d’une entreprise ou d’une activité sur Internet ne sera plus le même. Un fournisseur d’accès, parce qu’il aura envie de se lancer dans telle ou telle activité (banque, jeux, etc.), favorisera sa filiale et appliquera des tarifs d’accès plus élevés pour les concurrents. Résultat, ces derniers seront pénalisés.
La fin d’une époque ?
De façon générale, cette question de la neutralité du web est liée à la bataille sans cesse renouvelée autour de son autonomie. Ses concepteurs voulaient un réseau décentralisé, coopératif. Une ambition qui va à l’encontre des intérêts économiques. Au vu de sa croissance impressionnante, du bouleversement qu’il induit dans tous les secteurs économiques, Internet est l’enjeu de vraies batailles de l’ombre pour son contrôle. On objectera que seuls les Etats-Unis envisagent de remettre en cause sa neutralité. Il est vrai que d’autres régions du monde, Chine comprise, n’y sont pas (encore). Mais, en matière de réseaux informatiques, c’est toujours l’Amérique qui donne le tempo. Le Net pour tous au même prix (ou presque), c’est peut-être bientôt fini.