Presque dans un black-out total, une quinzaine de jeunes ont péri il y a quelques jours à l’ouest d’Alger alors qu’ils tentaient de rejoindre l’Europe.
En cette nuit du 26 novembre, une petite embarcation de migrants clandestins « harragas » quitte discrètement les côtes d’Ain Benian, une commune de l’ouest d’Alger. À son bord, une vingtaine de passagers, pour la plupart jeunes. Comme d’autres avant eux et probablement après eux, ils sont animés par la quête du bonheur et l’espoir de trouver un avenir meilleur de l’autre côté de la Méditerranée. Un avenir que leur pays peine à leur garantir. Mais malheureusement pour eux, cette traversée, comme tant d’autres, a viré à la tragédie. Et à un cauchemar pour leurs familles.
En effet, au large des eaux de Rais Hamidou, à 12 km d’Ain Benian, leur embarcation a chaviré et plusieurs de ces harragas ont péri et portés disparus depuis. Seuls quatre rescapés ont pu échapper au cauchemar, d’après certains témoignages recueillis auprès des habitants de la zone.
Parmi les rescapés identifiés figure Zoubir, un homme de 40 ans, salarié et habitant de la commune de Rais Hamidou. Ce père de famille avait entrepris ce périlleux voyage accompagné de son épouse et de ses deux filles âgées respectivement de six et huit ans. Mais leur rêve a tourné au cauchemar : son épouse et sa plus jeune fille ont péri dans les eaux glacées. Et leurs corps ont été retrouvés. Tandis que lui et son aînée ont pu survivre à ce terrifiant drame. Aujourd’hui, ses proches décrivent un homme accablé par le choc, peinant à raconter l’horreur qu’il a vécue.
D’après les mêmes sources, l’autre survivant est un jeune homme d’environ 30 ans, vendeur ambulant de fruits et légumes, vivant à Ain Benian, alors que le quatrième rescapé est un ancien détenu d’opinion, identifié par les initiales. F.D., emprisonné à deux reprises pour ses positions politiques, F.D, relate ses proches, a décidé de fuir ce qu’ils qualifient de « climat de harcèlement judiciaire et sécuritaire ».
Le cimetière silencieux de milliers de migrants
Ces survivants, rares témoins d’une tragédie souvent passée sous silence, illustrent les destins brisés de ceux qui voient leur salut dans la « harga » à travers la Méditerranée. Voie de passage et frontière entre espoir et désespoir, la Méditerranée est devenue un cimetière silencieux pour des milliers de migrants. Ces traversées se font fréquemment à bord de petites embarcations surchargées et mal équipées, exposant les passagers aux pires dangers.
Les motivations de ces jeunes aventuriers désespérés s’enracinent dans une réalité socio-économique alarmante : un chômage endémique, des opportunités limitées et l’attrait de l’Europe perçue comme un eldorado. L’absence de perspectives dans leur pays pousse chaque année des milliers de jeunes algériens à tenter cette traversée périlleuse, souvent au prix de leur vie, laissant derrière eux des familles dans le désarroi et un flot de questions.
Dans le drame de la semaine écoulée, le sort d’un autre jeune homme du quartier Rais Hamidou, Hassan, demeure incertain. Âgé de 24 ans et pêcheur à la pêcherie d’Alger, il aurait plongé pour tenter de sauver des passagers en détresse. C’est lui qui aurait donné l’alerte en appelant son frère avant que son téléphone ne cesse de répondre. Le corps de Hassan demeure introuvable, et ses proches s’accrochent à l’espoir fragile d’une éventuelle survie. Mais pour beaucoup d’autres, la mer a emporté à jamais leurs noms et leurs histoires.
Des familles prisonnières d’une attente d’espoir et de désespoir
Les habitants de Rais Hamidou, endeuillés, replongent dans les souvenirs amers d’un drame similaire survenu en 2018, où une dizaine de jeunes avaient péri dans des conditions similaires. Cette fois encore, les témoignages divergent sur les circonstances du naufrage. Certains évoquent une attaque au large par un groupe de jeunes délinquants, armés de couteaux et de feux d’artifice, cherchant à dépouiller les passagers. Cette version expliquerait les brûlures observées sur le torse de la petite fille rescapée, bien que son père affirme, à son entourage, que celles-ci sont dues à un contact avec un bidon d’essence mélangé à l’eau salée.
Pour les familles des disparus, la douleur est immense. Elles vivent dans l’incertitude, incapables de faire leur deuil en l’absence de corps ou d’informations fiables. Ces familles restent prisonnières d’une attente interminable, oscillant entre espoir et désespoir. Chaque disparition est un déchirement, et derrière les statistiques, il y a des parents, des frères et des sœurs qui pleurent en silence. Ce drame humain, devenu presque banal par sa répétition, reste ignoré dans les discours politiques et médiatiques en Algérie.
Un phénomène qui avait fortement diminué durant les premiers mois du Hirak, en 2019, qui avait vu un vent d’espoir souffler sur l’Algérie. Cet espoir avait temporairement influencé la dynamique migratoire clandestine. En effet, le Hirak a suscité une ferveur nationale, redonnant espoir à une partie de la jeunesse. Cet espoir de changement et d’amélioration des conditions de vie a amené certains à retarder ou même à renoncer à leurs projets d’émigration clandestine.
L.A